Selon France Nature Environnement (FNE), le rapporteur public a indiqué hier que, pour lui, il ne faudrait pas rétablir l'autorisation.
Le dossier est sensible. Vieux serpent de mer, le projet de création et d'exploitation d'une retenue d'eau sur le ruisseau de Caussade, sur la commune de Pinel-Hauterive (Lot-et-Garonne) avait, après plusieurs tentatives infructueuses, finalement reçu l'aval (1) en juin 2018 de la préfecture du Lot-et-Garonne.
Des tensions sur la ressource
Le dimensionnement du barrage prévoit un volume total de 920.000 m3 qui se répartit en 433.200 m3 destinés à l'irrigation, 233.280 m3 au soutien d'étiage (2) , 233.520 m3 pour une gestion interannuelle et 20.000 m3 qui correspondent au culot du barrage (3) .
Le projet s'inscrit dans un contexte de tensions sur la gestion de la ressource. Le diagnostic sur le territoire montre que le déficit en eau aujourd'hui s'élève à 200-250 millions de m3 à l'étiage et pourrait atteindre entre 1 à 1,2 milliard de m3. "Une période d'adaptation jusqu'à 2021 pour atteindre l'équilibre entre les besoins et la ressource est prévue, indique quant à lui le Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux du bassin (4) (Sdage). Ce délai doit permettre de construire certaines retenues et de travailler sur des changements des pratiques agricoles, des économies d'eau et une optimisation de la gestion de la ressource".
Considérant que le projet ne remplissait pas les exigences demandées par deux documents, la directive européenne cadre sur l'eau ainsi que le Sdage, des associations (5) ont déposé, en septembre 2018, des recours pour faire annuler l'arrêté d'autorisation.
Une autorisation retirée en octobre
Leurs arguments ont été entendus et en octobre l'arrêté d'autorisation a été retiré, non pas par un tribunal mais par le préfet de département à la demande des ministères de la Transition écologique et de l'Agriculture. "En raison du risque de contentieux sur la compatibilité du projet de création de la retenue d'eau collective de Caussade avec le Sdage pouvant conduire à un enlisement du dossier et à un retard significatif dans sa réalisation, le ministre d'Etat, ministre de la Transition écologique a estimé nécessaire que le préfet de Lot-et-Garonne retire (6) l'autorisation délivrée le 29 juin 2018", indiquait dans un communiqué le préfet du département. Ce dernier a également demandé des précisions aux porteurs de projet sur la prise en compte de l'impact de celui-ci sur les espèces protégées, de rappeler les modalités de soutien d'étiage ainsi que la contribution du projet à l'adaptation des productions agricoles au changement climatique.
Des demandes a posteriori qui exaspèrent les porteurs de projet : "Nous ne comprenons pas les réactions des ministères de l'Agriculture et de l'Environnement : pourquoi donner l'aval à un projet et ensuite abandonner l'autorisation dans un second temps. Il fallait considérer ces éléments avant, quand nous avons déposé le dossier, oppose Patrick Franken, jusqu'alors président de la Coordination rurale 47. Tous les acteurs locaux ont massivement soutenu le projet".
Pour FNE, le contexte local pèse sur le dossier. "Ce syndicat agricole détient la chambre d'agriculture depuis plus de 10 ans et impose sa politique qui est une politique de l'intimidation. Il empêche l'Agence française pour la biodiversité de faire son travail, met une pression sur les agents de l'Etat en délivrant chaque année un prix à ceux qui ont gêné leurs actions. Certains membres ont été condamnés à des peines avec sursis pour des violences commises sur des gendarmes", indique la juriste de FNE.
Une poursuite des travaux illégale
Les porteurs de projet ont décidé de poursuivre les travaux, malgré le retrait de l'arrêté d'autorisation. Aujourd'hui la retenue est construite et devrait bientôt être mise en eau. "Le droit de l'environnement n'est pas très bien respecté en général et particulièrement dans ce dossier", pointe Anne Roques, juriste en environnement pour FNE. Différentes procédures de justice pour stopper les travaux se sont succédées sans aucun effet. Par ailleurs, le préfet de région a saisi le parquet d'Agen (7) et transmis plusieurs procédures administratives relatives aux sanctions prévues au code de l'Environnement.
En janvier 2019, le nouveau préfet de Lot-et-Garonne a ordonné la pose des scellés sur les engins de chantier et a informé le procureur de la République. "La vingtaine de gendarmes qui ont été envoyés se sont retrouvés face à une centaine d'agriculteurs qui se sont opposés et au final, les scellés n'ont pas pu être posés", précise toutefois Anne Roques.
L'Etat a proposé une conciliation en février. François de Rugy, ministre de la Transition écologique et solidaire, a reçu successivement une délégation de la chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne et une délégation des représentants d'associations de défense de l'environnement. Dans un communiqué, il a condamné la "méthode du coup de force" et a annoncé que serait commandée une mission d'inspection conjointe au ministère de l'Agriculture et de la Transition écologique "sur la construction d'une solution alternative à ce projet, inscrite dans une démarche de territoire, et susceptible de satisfaire les besoins en eau des activités agricoles locales tout en étant respectueuse de l'environnement". Après cette rencontre, le préfet de Lot-et-Garonne en a informé le Tribunal de Grande Instance d'Agen.
Plusieurs procédures juridiques sont lancées en parallèle, que ce soit par les porteurs de projet, l'Etat ou les opposants. Aboutiront-elles au final à la déconstruction de cette retenue officiellement illégale ou à sa régularisation ? Les premiers éléments de réponse viendront dans les prochaines semaines avec le verdict du Tribunal administratif de Bordeaux.