"Un nucléaire sans solution pour ses déchets, c'est comme un avion sans piste d'atterrissage", explique Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace France. L'ONG a rendu public ce mercredi 30 janvier un rapport, rédigé par un groupe d'experts internationaux, qui fait le point sur la gestion des déchets issus de la chaîne du combustible du nucléaire en France mais aussi dans six autres pays fortement nucléarisés.
Cette chaîne, qui va de l'extraction jusqu'au retraitement, génère de grandes quantités de déchets radioactifs, dont certains, comme le plutonium 239, conservent leur radioactivité pendant des centaines de milliers d'années. Selon le rapport, le stock mondial des déchets nucléaires s'élève à 2,4 milliards de tonnes de résidus de traitement de l'uranium et 370.000 tonnes de combustibles usés. "Aucune solution, nulle part, n'a été trouvée pour la gestion à long terme des énormes volumes de déchets nucléaires", constatent les auteurs du rapport. De plus, ajoutent-ils, "aucun pays ne dispose d'une estimation crédible de la totalité des coûts qui seront supportés pour gérer les déchets nucléaires pendant de nombreuses décennies, voire des siècles".
Saturation de l'usine de La Hague
La France, de son côté, est confrontée à la saturation de l'usine de retraitement du combustible usé de La Hague. Plutôt que de construire une nouvelle piscine d'entreposage centralisée, comme le projette EDF sur le site de la centrale de Belleville-sur-Loire (Cher), et de poursuivre le projet Cigéo de stockage géologique des déchets, Greenpeace préconise de stopper le robinet de la production de déchets, d'abandonner la politique de retraitement poursuivie par la France et de privilégier un entreposage des déchets à sec en sub-surface.
La France est en effet l'un des derniers pays à poursuivre sa politique de retraitement des déchets. Le contrat stratégique que la filière nucléaire a signé avec l'Etat, le 28 janvier, affirme l'objectif de "promouvoir une économie circulaire", qui passe par le recyclage des combustibles usés. "Il permet d'économiser les matières premières et de minimiser le volume des déchets, tout en les conditionnant de manière sûre", affirme le document. "Le retraitement est une ineptie", estime au contraire Yannick Rousselet pour qui il s'agit d'un leurre qui se traduit dans les faits par une accumulation au fil du temps des déchets les plus dangereux sur tout le territoire français. "On sépare la radioactivité en des tas de morceaux qu'il faudra ensuite traiter", explique Bernard Laponche, physicien nucléaire, auteur de la partie du rapport consacrée à la France.
Moins mauvaise solution
Quant au stockage géologique du combustible usé, les déchets nucléaires les plus dangereux, il reste l'option privilégiée par les sept pays étudiés. "Pourtant, nulle part dans le monde, un stockage souterrain viable, sûr et durable à long terme, nʼa été mis en place", indique Greenpeace. "Le projet Cigéo présente des défauts techniques et une absence de réversibilité : en cas de fuite d'un colis, on ne peut pas le récupérer", explique Bernard Laponche. "L'expérience la plus similaire à celle de Cigéo est le Waste Isolation Pilot Plant, ou Wipp, aux Etats-Unis où plusieurs centaines de milliers de fûts peuvent être stockés dans des cavernes de sel à 640 mètres de profondeur. Ce stockage des déchets nucléaires issus de l'armement a connu un incendie qui a provoqué un dégagement radioactif", rappelle Michèle Rivasi, eurodéputée écologiste et cofondatrice de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad).
Deux alternatives au stockage géologique sont envisageables : la transmutation et l'entreposage à sec en sub-surface. Greenpeace préconise cette dernière option, qu'elle qualifie de "moins mauvaise solution", en l'état actuel des connaissances. "Orano vend de très bons conteneurs aux Etats-Unis. On pourrait appliquer cette solution en France", suggère M. Laponche. Ce qui n'empêche pas de poursuivre les recherches en vue de réduire la nocivité et la durée de vie des déchets actuels, ajoute le physicien, compte tenu de la durée limitée à environ 300 ans d'un tel entreposage.
Greenpeace a bon espoir de voir ces options débattues dans le cadre du débat public sur le prochain Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). "Nous souhaitons que ce débat permette une prise de conscience du problème industriel et humain posé par les déchets nucléaires", explique Yannick Rousselet. Repoussé à plusieurs reprises, ce débat, envisagé pour le mois d'avril, pourrait voir son organisation perturbée par la période de réserve liée aux élections européennes.