L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) confirme que la conception de la cuve des réacteurs EPR est défectueuse. L'appui technique de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) estime donc qu'il n'est pas possible aujourd'hui d'autoriser la mise en service de l'EPR de Flamanville (Manche) en bonne et due forme.
EDF a cherché à démontrer que ce défaut de fond de cuve n'interdit pas un fonctionnement de l'EPR. Mais ce fonctionnement serait plus encadré, ce qui interdirait certaines opérations. À titre provisoire, l'IRSN juge acceptable ce « fonctionnement réduit ». Mais, à plus long terme, seule une « modification matérielle pérenne » du déflecteur de fond de cuve apporte des garanties suffisantes.
Cet avis (1) , daté du 21 juillet et déniché ce mois-ci par Le Canard enchaîné, confirme les informations rendues publiques en novembre 2021 par la Criirad. Pour rappel, l'EPR de Taishan (Chine) a été mis à l'arrêt de juillet 2021 à août 2022, après la découverte de ruptures de gaines ayant entraîné des fuites de matières radioactives dans le circuit primaire. L'ASN annonçait alors « examiner dans quelle mesure le retour d'expérience de la situation d'exploitation à Taishan peut être pris en compte dans le cadre de l'instruction en cours de la demande de mise en service de l'EPR de Flamanville ».
Défaut de conception du fond de cuve
Comme l'avait signalé la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), ces fluctuations sont connues sur les réacteurs de type Konvoi, « dont la conception du fond de cuve est similaire à celle des réacteurs de type EPR ». Ces fluctuations ont deux conséquences. Elles entraînent des « oscillations latérales des assemblages de combustible et des variations des jeux entre ces assemblages (lames d'eau) » et des « des fluctuations de température de l'eau ».
L'IRSN confirme aussi que ce défaut de conception avait été identifié « lors des essais de qualification du fond de cuve réalisés sur une installation expérimentale ». Mais les conséquences sur les assemblages de combustible n'ont pas été anticipées. Pour l'IRSN, cette défaillance impose de renforcer les exigences associées à la conception des cuves des prochains réacteurs.
Un réacteur moins manœuvrable
Surtout, l'Institut revient sur les mesures prises jusqu'à présent par EDF. Il explique que l'entreprise a développé un modèle mathématique pour évaluer les conséquences sur la démonstration de sûreté et sur les seuils de surveillance et de protection du cœur. En contrepartie de la révision de certains seuils de sûreté, EDF propose de modifier le fonctionnement du réacteur. « Ce domaine de fonctionnement réduit peut se traduire en termes de manœuvrabilité du réacteur, par exemple en limitant la possibilité de faire du suivi de charge, c'est-à-dire le réglage de la puissance en fonction des besoins du réseau électrique », explique Karine Herviou.
Pour autant, l'IRSN émet trois critiques. Premier reproche : le modèle mathématique « n'est pas satisfaisant », car il n'est pas valide sur le plan règlementaire. Les données qui en sont tirées ne devraient donc pas être utilisées dans la démonstration de sûreté (sauf à être validées conformément à la réglementation). L'IRSN déplore ensuite que les calculs présentés par EDF concernent surtout les conditions de fonctionnement normales. Les éléments relatifs aux fonctionnements accidentels « sont insuffisants ». Enfin, la solution d'EDF est jugée périlleuse : l'Institut « souligne la complexité de la démarche d'analyse de l'impact des fluctuations de flux neutronique sur la démonstration de sûreté ».
Et l'IRSN d'en conclure que cette démarche « [ne peut] constituer une démonstration de sûreté pérenne acceptable ». En revanche, les résultats d'EDF « constituent une analyse de sûreté intermédiaire (…) acceptable [pour] un fonctionnement réduit ». Mais à une condition : « que les caractéristiques des fluctuations de flux neutronique considérées dans l'analyse d'EDF soient vérifiées expérimentalement ».
Pour un fonctionnement à long terme, « l'IRSN estime qu'EDF doit définir et mettre en œuvre, aussi rapidement que [possible], une modification matérielle pérenne ». Cette modification, qui concerne un déflecteur fixé en partie basse des équipements internes amovibles de la cuve, doit permettre d'optimiser l'hydraulique du fond de cuve et de résorber définitivement l'anomalie de conception.