Dimanche 28 novembre, la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad) a annoncé avoir reçu des informations selon lesquelles les problèmes rencontrés, cet été, par le premier EPR mis en service seraient liés à la conception du réacteur. L'association explique que des vibrations pourraient être à l'origine des ruptures de gaines constatées en Chine. Le défaut pourrait concerner tous les réacteurs EPR. Au-delà de l'alerte, l'association « interpelle l'ASN et demande la plus grande transparence ».
Pour rappel, en juin dernier, CNN révélait la détection d'une concentration anormale de gaz rares dans le circuit primaire du réacteur 1 de Taishan, une anomalie liée à des ruptures de gaines de combustible. Le mois suivant, EDF mettait en avant ses doutes concernant la gestion de l'incident par l'exploitant du réacteur, la coentreprise TNPJVC, détenue à 70 % par l'entreprise chinoise CGN et à 30 % par EDF. En France, le réacteur serait déjà à l'arrêt, expliquait EDF, faisant ainsi pression sur son partenaire. Finalement, le réacteur a été arrêté la semaine suivante, le 30 juillet.
De son côté, dès juin, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), annonçait avoir engagé « un dialogue technique » avec son homologue chinois (la NNSA). Le gendarme du nucléaire français compte « examiner dans quelle mesure le retour d'expérience de la situation d'exploitation actuelle à Taishan peut être pris en compte dans le cadre de l'instruction en cours de la demande de mise en service de l'EPR de Flamanville [Manche] ».
Un défaut identifié sur la cuve ayant servi de modèle
Selon les informations transmises à la Criirad par « un lanceur d'alerte travaillant dans l'industrie nucléaire », « les ruptures des gaines de combustible radioactif proviendraient (…) d'un défaut de conception de la cuve de l'EPR ». Ce défaut « entraînerait une mauvaise répartition du flux hydraulique et, par voie de conséquence, des vibrations très importantes sur les assemblages ». Ces vibrations seraient à l'origine d'une usure anormale des grilles de maintien des crayons et de ruptures de gaines, aboutissant à la dispersion de débris radioactifs dans le cœur du réacteur. L'usure de certaines gaines aurait été constatée dès le premier cycle de fonctionnement du réacteur. Le deuxième cycle aurait accentué l'usure des assemblages fragilisés à l'issue du premier cycle.
« Si ces éléments sont avérés, ils pourraient concerner toute la filière des EPR », poursuit la Criirad, jugeant que ce retour d'expérience doit aussi être pris en compte dans le design de la nouvelle version du réacteur (EPR2). La Criirad explique que la cuve de l'EPR, de conception franco-allemande, s'inspire de celle du réacteur allemand Konvoi dont l'« hydraulique en fond de cuve [n'est] pas très réussi ». Conséquence : « Un courant transverse se crée dans le cœur [des réacteurs Konvoy] et fait bouger les assemblages, surtout ceux en périphérie. S'agissant de l'EPR, le problème aurait été identifié dès 2007-2008, lors d'essais sur maquette à l'échelle 2/10ème, sans que ne soit trouvée de solution satisfaisante, explique la Criirad. « Si ces faits sont avérés : pourquoi la géométrie du fond de cuve EPR n'a-t-elle pas été remise en cause à ce moment-là ? », interroge la Criirad.
Une série de questions précises
Pour l'instant, la Criirad explique que « les informations dont elle dispose restent à vérifier et valider ». Mais elles sont « suffisamment solides et cohérentes pour justifier » l'envoi d'un courrier à l'ASN. Si le problème est avéré, il « pourrait hypothéquer le démarrage des réacteurs de Flamanville et Olkiluoto ». En effet, les travaux de réparation d'un tel défaut « [pourraient] s'avérer particulièrement complexes et onéreux, si tant est qu'ils soient réalisables ».
Dans son courrier, la Criirad demande à l'ASN de confirmer plusieurs points. La Commission aimerait notamment savoir si l'autorité a été informée d'un niveau anormal de vibration des assemblages de combustible de l'EPR de Taishan 1 (et cela, dès le démarrage). A-t-elle aussi été informée des dégradations affectant les assemblages de combustibles. Il semblerait qu'une trentaine d'entre eux présentent des fuites et qu'environ 70 crayons sont « fuyards ». Il semblerait aussi que les assemblages endommagés étaient tous en périphérie lors du premier cycle. Il semblerait enfin que « beaucoup de ressorts de maintien des crayons ont cassé » et que « certaines grilles n'ont plus de plaquettes côté réflecteur neutronique ».
En effet, en octobre, l'ASN a donné un accord de principe pour traiter les défauts affectant les soudures de trois piquages sur le circuit primaire principal de l'EPR de Flamanville sans avoir à les reprendre. Jusqu'à cette annonce la « solution de référence » imposée par l'ASN a toujours été la réparation des soudures avant la mise en service du réacteur.
Enfin, la Criirad aimerait être tenue informée des conséquences de l'incident en termes de contamination de l'eau du circuit primaire et de rejets radioactifs dans l'atmosphère.
Des vibrations déjà observées sur le pressuriseur
Les révélations de la Criirad interviennent après une première alerte concernant d'éventuels problèmes de vibrations lancée par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et relevée par Bernard Laponche dans une note publiée dans le Journal de l'énergie, qui lie les déboires de l'EPR à sa puissance hors norme. En mars dernier, un avis de l'IRSN, concernant l'EPR2 en cours d'élaboration, pointait « la problématique de vibrations élevées de la ligne d'expansion du pressuriseur (LEP) observée sur différents réacteurs EPR ». Le pressuriseur est l'équipement qui permet la maîtrise de la pression dans le circuit primaire, afin de maintenir sous forme liquide l'eau chauffée à plus de 300 °C.
Ce problème n'est pas anodin, selon l'IRSN, qui estime que « une nouvelle conception de la LEP ne doit pas être exclue quand bien même cela devrait mettre en cause la conception du génie civil ». Il pourrait notamment s'avérer nécessaire de modifier la disposition de certains gros composants. Pour l'instant, Framatome « considère que le tracé actuel de la LEP pour les futurs réacteurs EPR2 est le meilleur compromis pour prendre en compte les différentes exigences de conception (dilatation thermique, encombrement, résistance mécanique...) ». Et l'IRSN de déplorer que, pour l'entreprise, ce tracé « [apparaisse] figé alors qu'aucune solution au regard du retour d‘expérience disponible n'a encore été définie ». Or, selon une source interne à EDF, « si une rupture intervenait [sur cet équipement], il y aurait forcément des rejets radioactifs importants à l'extérieur, pour éviter que l'enceinte ne monte en pression ».