La Cour de justice de l'UE (CJUE), suivant les réquisitions de l'avocat général, a rendu le 21 décembre un arrêt validant la directive 2008/101 qui prévoit l'intégration des activités aériennes dans le système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (ETS) à compter du 1er janvier 2012.
Le principe de souveraineté et de territorialité des Etats tiers n'est pas méconnu
Plusieurs compagnies aériennes américaines et canadiennes avaient contesté les mesures de transposition de la directive au Royaume-Uni devant la High Court of Justice of England and Wales. Selon les requérantes, l'UE, en adoptant cette directive, aurait enfreint un certain nombre de principes du droit international coutumier ainsi que la Convention de Chicago, le Protocole de Kyoto et l'accord dit "de ciel ouvert". La juridiction britannique avait saisi la CJUE d'une question préjudicielle portant sur la validité de la directive au regard de ces dispositions du droit international.
La Cour a considéré que seules certaines dispositions de l'accord "ciel ouvert" et trois principes de droit international coutumier pouvaient être invoqués. Pour les juges de Luxembourg, l'application de l'ETS aux exploitants d'aéronefs "ne méconnaît pas le principe de territorialité ni celui de la souveraineté des Etats tiers dès lors que ce système ne leur est applicable que lorsque leurs aéronefs se trouvent physiquement sur le territoire de l'un des Etats membres de l'Union". Il ne remet pas non plus en cause le principe de la liberté de survol de la haute mer, indique la Cour.
La CJUE considère aussi que "la directive ne viole pas l'obligation d'exonérer le carburant de droits, de taxes et de redevances". Les compagnies avaient en effet fait valoir que l'ETS constituait une taxe ou une redevance sur le carburant en violation de l'accord "ciel ouvert".
Les juges concluent enfin que l'application uniforme du système à l'ensemble des vols au départ ou à l'arrivée d'un aéroport européen est conforme aux dispositions de cet accord tendant à établir une interdiction de traitement discriminatoire entre les opérateurs américains et européens.
Vers une guerre commerciale ?
Cette décision constitue une victoire judiciaire pour l'UE mais risque d'ouvrir une guerre commerciale. Dans une lettre datée du 16 décembre et adressée à la commissaire chargée du climat, Connie Hedegaard, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a enjoint l'UE de "renoncer" à cette taxe carbone ou "au moins de différer" sa mise en œuvre, sous peine de "mesures appropriées".
La Chambre des représentants avait adopté fin octobre un projet de loi interdisant aux compagnies aériennes américaines de s'acquitter de cette taxe.
Mais l'Europe n'entend pas plier. "L'Union européenne a toujours respecté les lois américaines et nous attendons que les Etats-Unis respectent la législation européenne", a averti la commissaire, soutenue par les députés européens. " On ne va ni renoncer, ni différer. La mesure sera de pleine application le 1er janvier 2012", a confirmé son porte-parole, Isaac Valero Ladron, en réponse aux mises en garde d'Hillary Clinton.
La Chine a également menacé l'UE de rétorsions commerciales, notamment contre le constructeur Airbus, si ses compagnies n'étaient pas exemptées de cette taxe.
L'OACI, institution des Nations unies créée en 1944, a adopté début novembre une résolution non contraignante par laquelle elle recommande d'exempter les compagnies étrangères de la taxe carbone. Le texte a été soutenu par 26 des 36 membres de l'OACI, dont les Etats-Unis, la Chine et la Russie.
Les compagnies européennes redoutent d'être victimes de rétorsions. "Si ces tensions débouchent sur une guerre commerciale, il n'y aura pas de vainqueur", a averti le directeur général de l'Association des compagnies régionales européennes (ERA).
380 millions d'euros en 2012
L'entrée en vigueur du système devrait coûter 380 millions d'euros aux compagnies desservant l'UE et cette facture est amenée à croître en 2013, les quotas d'émission attribués gratuitement devant être ramenés de 85 à 82 %.
Connie Hedegaard a déjà conseillé aux compagnies aériennes qui trouvent la facture trop salée d'augmenter leurs tarifs de 2 à 14 euros par trajet, la commissaire trouvant même légitime que les transporteurs fassent payer à leurs clients la totalité de leurs émissions, dont elle estime la valeur à 20 milliard d'euros.