La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu mardi 25 septembre la décision tant attendue dans le procès de l'Erika. Refusant de suivre les réquisitions de l'avocat général, la Cour a confirmé les condamnations prononcées en appel, ne cassant la décision que sur l'exonération de responsabilité civile de Total et la recevabilité de la constitution de partie civile de l'association Robin des Bois pour un motif de pur droit.
La France compétente pour sanctionner un rejet involontaire dans la ZEE
La Cour de cassation a reconnu, contre l'avis de l'avocat général, que la Cour d'appel de Paris était compétente pour statuer tant sur l'action publique que sur l'action civile.
Sur l'action publique, la chambre criminelle a posé pour principe que plusieurs dispositions de la convention des Nations unies sur le droit de la mer portant sur la protection et la préservation du milieu marin justifiaient l'exercice par la France de sa compétence juridictionnelle pour sanctionner un rejet involontaire d'hydrocarbures dans sa zone économique exclusive (ZEE) par un navire étranger, entraînant un dommage grave dans sa mer territoriale et sur le littoral.
Total civilement responsable
Sur l'action civile, l'arrêt retient que l'ensemble des intervenants à l'acte de transport poursuivis devant le juge pénal et ayant commis une faute de témérité pouvaient voir leur responsabilité civile recherchée. Et ce, pour l'ensemble des catégories de dommages retenus par la cour d'appel, préjudice écologique compris, sur le fondement de la convention internationale de 1992 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures.
De ce fait, la Cour retient la responsabilité civile de Total qui a commis également une faute de témérité et qui avait bénéficié à tort d'une immunité de responsabilité. Le pétrolier se voit donc condamné à réparer les conséquences du dommage solidairement avec ses coprévenus condamnés en appel, à savoir la société de classification Rina, l'armateur du navire Giuseppe Savarese et le gestionnaire Antonio Pollara. La cour d'appel avait fixé à 200 millions d'euros les indemnités accordées aux parties civiles.
L'avocat de Total, Me Soulez Larivière a évoqué à l'issue de l'audience la possibilité d'introduire un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg, après qu'il aura étudié les 300 pages de la décision. "Ce n'est pas ce que nous souhaitions, c'est un échec aussi pour l'avocat général, c'est une situation très originale pour le droit", a déclaré l'avocat immédiatement après la lecture de la décision.
Satisfaction mêlée de vigilance chez les ONG
"Cette décision nous soulage. Si la Cour de cassation avait cassé les condamnations, cela serait revenu à distribuer un permis de polluer à tous les pétroliers", commente Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace. Mais l'ONG reste vigilante reconnaissant la pertinence juridique des conclusions de l'avocat général "qui met en avant une loi internationale complètement inadaptée à la réalité du transport maritime", là où Robin des Bois y avait vu au contraire des "conclusions absurdes et non fondées".
Quant un navire pollue depuis les eaux internationales, seul le pays dont le bateau porte le pavillon peut poursuivre les responsables, poursuit Greenpeace. "On voit mal l'Etat de Malte poursuivre Total pour une pollution sur les côtes françaises. C'était pourtant, selon la loi internationale, le seul à pouvoir faire condamner le pétrolier", ajoute l'ONG.
De la même façon, EELV salue un arrêt "historique et innovant" mais continue à regretter "les lacunes persistantes du droit actuel" et appelle le Gouvernement "à ouvrir les chantiers du droit de la mer et du préjudice écologique". La formation politique considère comme fort probable que cette décision "ne soit pas reconnue, donc inapplicable, à l'étranger" et s'interroge, au jour d'aujourd'hui, sur la conformité du droit français au droit international "même si les textes ont évolué dans le bon sens depuis 1999". Une analyse non partagée par Robin des bois qui, grandiloquent, considère que cette décision "va se répandre comme une traînée de poudre sur l'océan mondial".
Quant à la reconnaissance du préjudice écologique par la Cour de cassation, EELV la qualifie de "grand pas, attendu depuis longtemps", même si "son régime juridique devra être affiné".