L'équipe de chercheurs Agrican a publié, en novembre, le troisième bulletin de la cohorte, présentant les résultats issus de l'analyse des questionnaires remplis par des professionnels agricoles entre 2015 et 2017, affiliés à la Mutualité sociale agricole (MSA). Depuis 2005, cette cohorte étudie les expositions professionnelles agricoles qui peuvent avoir une influence sur la survenue de cancers. « Cette étude vise à contribuer à améliorer les actions de prévention et de réparation des maladies professionnelles », explique le bulletin.
L'enquête montre un risque majoré de suicide au sein de la cohorte (+ 14 % chez les hommes et + 46 % chez les femmes), notamment chez les non-salariés (+ 29 % chez les hommes et + 105 % chez les femmes). Elle note également un excès de décès par certaines maladies de l'appareil digestif (+ 27 % chez les hommes et + 29 % chez les femmes), « sans qu'il soit possible à ce stade d'en proposer des explications ». Un excès de décès du fait d'arthrites rhumatoïdes et ostéoarthrites (+ 14 %) est également observé. Il pourrait être lié à l'utilisation de pesticides et d'engrais chimiques.
Si, globalement, les cancers sont moins fréquents chez les hommes et les femmes de la cohorte Agrican qu'au sein de la population générale (respectivement - 7 % et - 5 %), six cancers ont été retrouvés plus fréquemment au sein de la cohorte. Il s'agit du mélanome de la peau chez les femmes (+ 29 %), le myélome multiple (+ 20 % chez les hommes et + 21 % chez les femmes), le cancer de la prostate (+ 3 %), le cancer des lèvres (+ 55 % chez les hommes), l'ensemble des lymphomes (+ 9 % chez les hommes) et le lymphome plasmocytaire/maladie de Waldenström (+ 49 % chez les hommes et + 58 % chez les femmes). « À ce stade du suivi, d'autres cancers du sang notamment chez les femmes (l'ensemble des lymphomes dont les leucémies lymphoïdes chroniques), les tumeurs du système nerveux central, les cancers de l'ovaire apparaîtraient aussi plus fréquemment, mais ces résultats nécessitent d'être confirmés », indique le bulletin. À partir des cas avérés de cancers, les chercheurs investiguent en effet les pratiques professionnelles agricoles passées et évaluent les excès de risque.
Prostate : insecticides et pesticides augmentent le risque
Chez les professionnels agricoles, la cohorte a mis en évidence « un excès de risque de 20 % de cancer de la prostate chez les personnes utilisant des insecticides sur bovins, augmentant avec le nombre de bovins traités (+ 60 % chez ceux traitant plus de 150 bovins) mais semblant concerner davantage des traitements réalisés dans les années 1960 », note l'étude. L'excès de risque est de 10 % chez les éleveurs de porcs. Certaines pratiques culturales et certaines expositions (traitement des semences, utilisation de pesticides sur le blé, l'orge, le tabac, les pommes de terre, l'arboriculture) conduisent également à une augmentation du risque de cancer de la prostate. « Ainsi, les utilisateurs de pesticides sur blé ou/et orge avaient une élévation de 20 % du risque de développer un cancer de la prostate. Ce risque n'existait plus chez les personnes déclarant toujours porter des gants de protection lors des traitements. Enfin, les arboriculteurs réalisant des traitements pesticides ou des récoltes sur plus de 25 ha avaient un doublement de risque de cancer de la prostate », note l'étude.
Lymphomes : traitements et désinfection
L'enquête a montré que les hommes et les femmes de la cohorte étaient davantage touchés par des lymphomes (+ 9 % chez les hommes et + 7 % chez les femmes), et notamment par les lymphomes plasmocytaires (+ 50 %) et les myélomes multiples (+ 20 %). « Nous avons mis en évidence un excès de risque de 40 % de myélome multiple chez les personnes utilisant des pesticides sur cultures, augmentant avec la durée d'utilisation ». Cette prévalence est encore plus marquée selon les cultures : pommes de terre (+ 70 %), blé et/ ou orge (+ 30 %), maïs (+ 30 %). Le recours à des semences traitées (blé, orge, colza, pois, févéroles) augmente également le risque de ce cancer du sang et de la moelle osseuse, tout comme la désinfection de locaux d'élevage (+ 70 % en élevage de moutons/chèvres, + 40 % chez les bovins). « L'utilisation d'insecticides sur animaux augmentait le risque de myélome multiple dans ces mêmes élevages (+ 50 % en élevages de moutons/chèvres et + 40 % en élevages de bovins). Enfin, la désinfection des machines à traire en élevages de brebis/ chèvres conduisait quasiment à un triplement du risque de myélome multiple ».
Concernant les leucémies lymphoïdes chroniques, le risque apparait plus élevé pour les cultures de blé, orge, maïs et tournesol. Il est 50 % plus élevé lorsque des pesticides sont utilisés ou que les semences sont traitées. L'utilisation d'insecticides sur animaux augmente également le risque (+ 50 % en élevage de chevaux,). Enfin, pour le lymphome diffus à grandes cellules B, le risque « tendait à être plus élevé chez les applicateurs d'herbicides sur prairies et plus particulièrement pour les grandes surfaces et les durées longues, mais aussi pour les applicateurs de pesticides en viticulture et sur la culture du tabac ». En élevage, la désinfection des locaux augmente aussi le risque.
Parkinson : certaines molécules augmentent le risque
Pour la maladie de Parkinson, le risque est plus élevé chez les utilisateurs de pesticides. L'étude s'est donc penchée sur les molécules déjà pointées du doigt pour leur lien avec cette maladie neuro-dégénérative. « En prenant en compte les expositions aux autres pesticides, nous avons mis en évidence une augmentation de risque de 40 % de maladie de Parkinson en lien avec l'utilisation de deux molécules dithiocarbamates ([les fongicides] zinèbe et zirame). Pour les autres dithiocarbamates ainsi que pour la roténone, des élévations de risque étaient généralement observées, mais elles étaient moins marquées et/ou non statistiquement significatives lorsqu'on prenait en compte les expositions aux autres pesticides étudiés ». Même constat pour les expositions aux herbicides à base de diquat et de paraquat.