La crainte d'être progressivement évincé du mix énergétique croît chez Engie. L'ex-GDF redoute que la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) réduisent le gaz à portion congrue. "Nous voyons arriver des scénarios irréalistes et utopiques", explique Didier Holleaux qui voit se dessiner "des décisions néfastes" à court terme. Le directeur général adjoint d'Engie fustige tout particulièrement la trop grande attention accordée à l'électricité et un "débat confisqué par les pro et anti nucléaires".
Réduire la consommation de gaz de 480 à 114 TWh
Au printemps dernier, le gouvernement a présenté aux acteurs du secteur énergétique une première version de la SNBC. Celle-ci se base sur un scénario proche du "tout électrique", voir du "tout nucléaire", qui abaisse sensiblement la consommation de gaz. L'entreprise estime qu'une telle stratégie bas carbone réduirait l'avenir énergétique français à quatre sources d'approvisionnement : le nucléaire, le photovoltaïque, l'éolien à terre et l'hydraulique. L'entreprise fait valoir qu'une telle stratégie est risquée : les choix qui seront fait dans les semaines à venir seront structurants pour le système énergétique français, car ils fermeront des options. "Si on ne prépare pas les solutions alternatives, on n'aura qu'un choix : construire des centrales nucléaires", résume Didier Holleaux.
Or, défend Engie, l'éolien flottant est essentiel pour développer l'éolien en mer en France. Il permet d'éloigner les parcs des côtes, ce qui répond aux problèmes d'acceptabilité. Il permet aussi d'installer des parcs lorsque la hauteur d'eau est importante.
Le scénario initial de l'administration table sur une consommation énergétique de 1.000 térawattheures (TWh) en 2050, contre 1.876 TWh en 2012. Celle-ci serait couverte à hauteur de 114 TWh par le gaz (en l'occurrence de gaz renouvelable), alors qu'actuellement la France consomme 460 à 480 TWh de gaz. Engie ne s'oppose pas à une réduction de la consommation de gaz, mais l'entreprise voudrait préserver un socle de 300 TWh qu'elle juge possible de couvrir avec du gaz vert en 2050. Les pouvoirs publics ont semble-t-il partiellement entendu les arguments d'Engie : aujourd'hui un scénario "haut" prévoit un maximum de 290 TWh de biogaz. Mais il s'agît là de l'option la plus favorable à Engie.
Faire les choses dans le bon ordre
L'inquiétude est d'autant plus grande que s'ajoute à ces scénarios la pression grandissante en faveur du retour au chauffage électrique dans les logements neufs, par le biais des pompes à chaleur. Didier Holleaux fait notamment référence à une tribune de Brice Lalonde dans Les Echos qui s'attaque au chauffage au gaz et plaide pour un usage accru de l'électricité. Avec l'éclairage et les équipements intérieurs, "l'électricité a déjà 65% de « part de marché » dans les bâtiments neufs", s'agace Didier Holleaux. Le directeur adjoint d'Engie fustige aussi "le pamphlet de France Stratégie" publié fin septembre. Dans cette note, l'expert public rattaché au Premier ministre, recommande de réduire les usages du gaz pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050. France Stratégie juge en effet que "le remplacement du gaz fossile par du gaz renouvelable relève encore largement du pari".
Au stade actuel, Engie estime que le gouvernement s'apprête à prendre une mauvaise voie en voulant augmenter la part de l'électricité avant d'avoir décarboné la production d'électrons. L'argument en faveur de l'électricité est son faible niveau d'émissions de CO2. Mais il s'agit là d'une moyenne portant sur la production française. Recourir à l'électricité pour chauffer les bâtiments revient à augmenter les pointes de consommation hivernales et à recourir à faire appel aux importations pour y répondre. Et augmenter les importations hivernales, c'est recourir à l'électricité des centrales allemandes au lignite, fait valoir Engie.
"Nous devons faire les choses dans le bon ordre", plaide Didier Holleaux. La première chose à faire est d'économiser l'énergie grâce à l'efficacité énergétique. Il faut ensuite décarboner l'énergie grâce aux renouvelables.
Preuve que les craintes d'Engie sont fortes : dans l'idéal, l'entreprise voudrait que la PPE garantisse l'objectif de 10% de gaz renouvelable pour 2030, voire l'avance à 2028. On est loin de l'objectif de 30% de biogaz en 2030 avancé au printemps par le Syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais, aujourd'hui, la modification de la loi de transition énergétique début 2019 fait surtout peser un risque de réduction de l'objectif de 10% inscrit dans la loi.