A l'occasion de sa première conférence de presse, Bernard Doroszczuk, le nouveau président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a expliqué que "l'ASN est résolument tournée vers l'avenir". Il a notamment insisté sur trois enjeux essentiels pour assurer l'avenir du secteur nucléaire à moyen terme. Pour pérenniser la filière, les professionnels doivent anticiper, assurer des marges de sûreté suffisantes et renouveler les compétences, prévient-il.
Des marges pour éviter une sortie de rails
Il est essentiel d'anticiper a d'abord rappelé Bernard Doroszczuk, soulignant que le nucléaire est une industrie du temps long. "Ce qui ne sera pas démontré ou engagé [dans les années qui viennent] ne sera pas disponible dans les dix ans à venir", prévient-il. Il s'agit dorénavant d'appliquer la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) sur le point d'être adoptée et notamment de préparer le maintien du retraitement des combustibles usés à l'horizon 2040, explique-t-il pour illustrer son propos.
L'ASN devrait rendre une décision sur le sujet en mai 2018. Si elle refuse la démonstration d'EDF, il ne sera pas possible de mettre en service l'EPR dans les délais annoncés par EDF (fin 2019). En l'occurrence, la validation des travaux de reprise des soudures, la formation du personnel et la réalisation des travaux seraient longs, prévient l'ASN.
Le deuxième enjeu est la maitrise des marges de sûreté face aux aléas. Les exploitants ne devraient pas réduire ces marges pour répondre à des enjeux de court terme, explique le nouveau président de l'ASN. Il a notamment illustré ce point en rappelant que l'aval du cycle ne dispose plus des marges nécessaires pour faire face à l'arrêt prolongé d'un des ateliers de retraitement des combustibles de l'usine de La Hague (Manche). La saturation des piscines fait peser un risque d'engorgement si les installations de retraitement devaient tourner au ralenti. Bernard Doroszczuk demande donc aux exploitants d'assurer des "marges importantes" pour réduire ce risque. Dans le même esprit, Bernard Doroszczuk estime que la PPE "va dans le bon sens", car en repoussant de dix ans la réduction à 50 % de la part du nucléaire elle étale dans le temps les fermetures de réacteurs. Cette politique assure des marges face au risque d'arrêt temporaire de plusieurs réacteurs si un défaut générique affectait le parc. L'ASN veut donc trouver le bon équilibre entre les marges de sûreté et l'optimisation des matériels et de leur utilisation.
Les compétences de base posent problème
Le dernier sujet d'inquiétude à moyen terme est la perte des compétences industrielles. Bernard Doroszczuk rappelle que le secteur a rencontré des difficultés pour mener à bien les grosses opérations, qu'il s'agisse de travaux sur les réacteurs ou de la construction de l'EPR de Flamanville (Manche). Mais dans l'esprit du nouveau président de l'ASN, ce n'est pas la filière nucléaire à proprement parler qui est en cause : les industriels du nucléaire savent concevoir des réacteurs, mais le tissu industriel français ne dispose plus forcément des "compétences de base" nécessaires à leur construction. C'est notamment ce qu'ont montré les problèmes rencontrés avec les opérations de soudure et les contrôles non destructifs réalisés sur l'EPR. Ce constat fait peser des "doutes sur la capacité de la filière à assurer le prolongement des installations et la mise en œuvre de nouveaux programmes". Il appelle donc de ses vœux "un ressaisissement collectif" des acteurs impliqués.
Enfin, s'il est encore trop tôt pour dresser le bilan complet de l'année écoulée, Bernard Doroszczuk estime que les premiers éléments dont dispose l'Autorité montrent que la radioprotection et la sûreté nucléaire "se sont maintenues à un niveau satisfaisant". Pour autant, la reprise des anciens déchets radioactifs et le démantèlement des installations nucléaires nécessitent une plus grande attention de la part des exploitants. Le président de l'ASN déplore en particulier des retards, des ajournements et des changements de stratégie. De même l'état des installations reste "à améliorer", car l'ASN a détecté des écarts entre leur état réel et les exigences de sûreté auxquelles elles sont censées répondre. La maîtrise du vieillissement des installations et la qualité de leur maintenance sont deux éléments clés pour réduire ces écarts.