Avant la fin d'année, chaque État membre de l'Union européenne doit déposer son Plan stratégique national (PSN) de mise en œuvre de la nouvelle Politique agricole commune (PAC). Validée en juin dernier par la Commission, le Parlement et le Conseil européens, cette PAC sera effective de 2023 à 2027. Une première version du PSN français a été élaborée, cet été, par le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, avant d'être soumise à évaluation par l'Autorité environnementale (Ae) du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD). Cette dernière a rendu son avis, ce vendredi 22 octobre, et il est, pour ainsi dire, assez critique.
Le nouveau Plan stratégique national
Pour rappel, le PSN dicte le montant des futures aides fournies par la PAC aux agriculteurs à l'échelle du pays. Ces aides se répartissent en deux « piliers » : le Fonds européen agricole de garantie (Feaga) et le Fonds européen agricole pour le développement durable (Feader). Le premier est financé à 100 % par l'aide européenne et bénéficient directement aux revenus des exploitants agricoles. Le second, quant à lui, est cofinancé, en partie, par l'État et les Régions. Il comporte des aides au développement durable, notamment dans l'innovation, la gestion des risques ou les engagements en matière d'environnement et de climat.
D'après les chiffres délivrés par la Cour des comptes dans une note d'octobre 2021, les dépenses publiques destinées à l'agriculture au titre de la PAC se sont élevées à 9,4 milliards d'euros en 2020 – sur un financement total d'environ 63 milliards d'euros, sur la période 2014-2020. Ce budget sera maintenu, peu ou prou, en 2023-2027 avec un léger transfert du premier vers le second pilier.
Le label HVE décrié
La nouvelle PAC a néanmoins fait l'objet d'une réforme, laquelle apporte plusieurs nouveautés. La plus notable constitue l'apparition d'un « écorégime » parmi les aides du premier pilier du PSN. Ce nouveau cadre européen doit représenter au moins 25 % de l'enveloppe des aides du Feaga – hauteur à laquelle la France l'a fixé – et récompenser les pratiques agricoles les plus vertueuses sur le plan environnemental. Les modalités d'accès aux aides de cet écorégime se composent d'un niveau de base, de 54 euros par hectare (€/ha), et un niveau supérieur, à 76 €/ha. Le PSN envisage de considérer le label Haute Valeur environnementale (HVE) – de même que le label Agriculture biologique (AB) – comme moyen d'accès automatique au niveau supérieur de l'aide en question. Et c'est principalement là que le bât blesse.
Dans une analyse approfondie de la certification HVE publiée en mars 2021, l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) arrivait même à la conclusion « qu'en l'état actuel de son cahier des charges, cette certification ne peut prétendre accompagner une réelle démarche de transition agroécologique », à l'instar des nouveaux écorégimes. L'Iddri préconisait donc une « révision profonde » du dispositif pour ne pas « décrédibiliser » les futurs écorégimes français : privilégier une approche thématique plus stricte, aux dépens d'une approche globale trop peu discriminante. Ainsi, dans son avis, l'Ae souligne que d'éventuelles modifications du « cahier des charges de ce label ne pouvant pas être finalisées avant la transmission du dossier à la Commission européenne fin 2021, une inconnue subsiste sur le gain environnemental attendu » par les modalités de l'écorégime français.
La nécessité de « rehausser l'ambition »
« Le dossier n'évoque d'ailleurs pas l'existence d'une démarche d'évaluation environnementale de l'élaboration du référentiel européen de la PAC qui aurait permis de s'assurer de la juste prise en compte, à l'amont, des cadres et engagements environnementaux européens », énonce en outre l'Ae, en écho notamment à l'objectif de réduction de l'usage des produits phytosanitaires. Dans cette optique, elle invite l'État, en premier lieu, à « établir un bilan complet et quantifié » de l'efficacité environnementale des mesures de la précédente PAC en France, sur lequel s'appuyer objectivement.
« Le choix du PSN de la continuité pour les équilibres financiers entre les deux piliers, l'absence de territorialisation et la référence au dispositif HVE dont le cahier des charges n'est pas encore finalisé témoignent d'une absence de prise en compte au juste niveau des enjeux environnementaux auxquels le projet de PSN aurait dû apporter une réponse robuste et ambitieuse, à la hauteur des engagements nationaux et européens, constate l'Ae, en conclusion de son rapport. La trajectoire tracée par le futur PSN ne rejoindra pas d'ici à 2030 celle de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) ni celle du Plan biodiversité ni celle de la directive-cadre sur l'eau (DCE). » En somme, l'Autorité recommande à l'État français de « rehausser le niveau d'ambition » environnementale de son PSN, en vue de la soumission de sa version finale et de sa validation définitive par la Commission européenne au cours du premier semestre 2022.
Une dernière consultation publique
Avant que le gouvernement ne revoie sa copie, l'avis de l'Ae ouvre désormais la voie à une nouvelle consultation publique, cette fois par voie électrique. Ouverte du 13 novembre au 12 décembre prochains, elle fait suite au premier débat public mené par la Commission nationale du débat public (CNDP) en la matière. Intitulé « ImPACtons », il avait eu lieu de septembre à novembre 2020. « S'il n'y a pas consensus sur le rythme et les moyens de cette transition, le débat a montré que la réalité est éloignée des présentations antinomiques entre défense des agriculteurs et défense de l'environnement, avait alors conclu Chantal Jouanno, présidente de la CNDP. Les participants ne veulent ni opposer ni choisir entre environnement et agriculture. »
Le collectif « Pour une autre PAC » appelle désormais le public à participer en masse à cette dernière phase de consultation. « L'avis de l'Autorité environnementale et cette toute dernière occasion de donner son avis sur le PSN viendront s'ajouter à l'ensemble des éléments devant inciter la Commission à contraindre la France à changer la trajectoire de son PSN, déclare le collectif dans un communiqué. Une transformation profonde de l'agriculture française est nécessaire pour rendre le secteur plus durable, résilient et évolutif. Le prochain PSN a le potentiel de permettre une telle transformation grâce à la fois aux conditions obligatoires sur les subventions et aux engagements volontaires. Mais pour que le PSN permette ce virage, les mesures pertinentes devraient bénéficier des ressources budgétaires les plus élevées pour optimiser leur impact. »