Le projet d'ordonnance organisant la séparation capitalistique des activités de vente et de conseil spécifiques à l'utilisation de produits phytopharmaceutiques est soumis à consultation du public, du 1er au 24 février. Chère au président de la République, cette mesure a été inscrite dans la loi sur l'agriculture, adoptée à l'automne dernier. Elle vise à rendre indépendant le conseil sur l'utilisation des produits phytosanitaires vis-à-vis des bénéfices générés par la vente de ces produits. Mais la concertation sur le projet d'ordonnance, menée à l'automne avec les parties prenantes, a été particulièrement houleuse.
Cette séparation va entraîner une véritable révolution dans le monde de la vente et de la distribution des produits phytosanitaires. De nombreuses coopératives mais aussi des négoces exercent aujourd'hui ces deux activités. Ils vont désormais devoir choisir laquelle poursuivre. Selon les estimations du ministère de l'Agriculture, 3.000 à 4.000 postes de conseillers vont devoir être réorganisés. La fédération du négoce agricole (FNA) pointe du doigt "le risque de déstructuration totale des filières agricoles et agroalimentaires" et dénonce un "plan social dans les zones rurales". Même son de cloche chez Coop de France (1) , qui dénonce "une déstructuration de l'organisation actuelle du conseil aux agriculteurs, (…) avec, à la clé, des conséquences lourdes en termes d'emplois sur les territoires".
Ce nouveau dispositif devrait aussi redessiner les coûts. Dispensé de conseil, l'achat de produits phytosanitaires devrait devenir moins onéreux. En revanche, le conseil stratégique, rendu obligatoire, encadré et indépendant, devrait avoir un coût pour les exploitants agricoles.
Le projet d'ordonnance prévoit une entrée en vigueur de cette séparation au 1er janvier 2021, pour laisser le temps aux acteurs de se réorganiser. Les très petites entreprises et les départements d'outre mer bénéficient d'un délai supplémentaire, jusqu'au 31 décembre 2023.
Une distinction claire des missions de chacun
Le gouvernement a fait le choix, dès la loi, d'une séparation capitalistique des activités de vente/distribution et de conseil à l'utilisation de ces produits. "Cette séparation, qui concerne toutes les utilisations (agricoles ou non), est appréciée au regard des participations au capital et de la composition des organes de surveillance, d'administration et de direction des établissements concernés", indique le ministère de l'Agriculture. Le contrôle sera effectué lors de la délivrance de l'agrément nécessaire à l'exercice des différentes activités. Le vendeur ou le distributeur pourra seulement conseiller l'utilisateur, lors de l'achat d'un produit phytopharmaceutique, sur les conditions d'emploi du produit et les risques associés.
En parallèle, le projet d'ordonnance encadre ce qui relève des activités des conseils stratégiques et spécifiques. Tout d'abord, ceux-ci doivent s'inscrire dans un objectif de réduction de l'usage et des impacts des produits phytopharmaceutiques. Ils doivent privilégier les méthodes alternatives (non chimiques ou de biocontrôle) et recommander, "le cas échéant", le recours à des produits phytopharmaceutiques adaptés. "Un tel conseil sera un levier majeur de réduction de la dépendance de notre agriculture aux produits phytopharmaceutiques, un des éléments clé de la transition agro-écologique", souligne le ministère.
Des conseils rendus obligatoires pour les utilisateurs
Tous les utilisateurs professionnels de produits phytosanitaires devront avoir recours au conseil stratégique, au minimum deux fois sur une période de cinq ans et espacés d'au moins deux ans. Ce conseil devra s'appuyer sur un diagnostic du contexte pédoclimatique, sanitaire et environnemental ; prendre en compte la situation économique et organisationnelle du professionnel, les moyens humains et matériels, ainsi que les cultures concernées et l'évolution des pratiques de traitement.
In fine, il devra permettre d'établir une stratégie de traitement des végétaux et être formalisé par écrit. Les professionnels devront pouvoir justifier de la délivrance de ce conseil.
"Afin de prendre en compte le fait que certaines entreprises ou exploitations agricoles n'ont que de faibles surfaces concernées par les traitements phytopharmaceutiques, le contenu et la fréquence de ce conseil seront adaptés pour les utilisateurs professionnels dont les surfaces susceptibles d'être traitées sont inférieures à des plafonds qui seront fixés par décret", précise le ministère. Les professionnels ayant recours au biocontrôle, aux produits à faible risque (2) et à des substances de base ne sont pas concernés par cette obligation de conseil. De même, seront dispensés : "les exploitations agricoles et autres utilisateurs professionnels déjà engagés dans des démarches favorables de réduction de l'usage et des impacts des produits phytopharmaceutiques. Ces démarches seront définies par arrêté des ministres chargés de l'agriculture et de l'écologie". Les exploitations en agriculture biologique ou certifiées haute valeur environnementale (c'est-à-dire ayant acquis le niveau 3 de la HVE) devraient notamment être dispensées de conseil stratégique.
Le conseil spécifique doit quant à lui porter sur un bioagresseur donné, en cours de campagne. Il doit être réalisé à la demande de l'agriculteur et préconiser la substance active ou la spécialité recommandée, la cible, la ou les parcelles concernées, la superficie à traiter, la dose recommandée et les conditions d'utilisation. Il doit être formalisé par écrit également.
Articulation avec les certificats d'économie des phytos
Alors que les détracteurs de cette réforme dénoncent son incohérence avec le dispositif des certificats d'économie de produits phytopharmaceutiques (Cepp), le ministère estime que l'articulation entre les deux dispositifs est garantie. Le distributeur conserve "la possibilité de pouvoir faciliter le déploiement des fiches actions prévues dans ce dispositif". Les conseils stratégiques et spécifiques doivent également promouvoir les fiches actions adaptées. "En contrepartie de ce repositionnement des conseillers et de cette nouvelle obligation qui leur est fait, ils ne seront plus éligibles du dispositif, catégorie d'opérateur qui est donc supprimée", souligne le ministère.