
Avocat spécialiste en droit de l’environnement et docteur en droit
Le 18 décembre dernier, quatre ONG ont annoncé vouloir déposer un recours devant le tribunal administratif de Paris pour que soit engagée la responsabilité de l'Etat à raison de sa carence fautive dans la lutte contre le changement climatique. Près de 2 millions de personnes ont signé une pétition en soutien à cette action.
La pétition relative à ce recours contre l'Etat pour "inaction climatique" possède un grand mérite : elle a suscité nombre d'articles, de commentaires, de déclarations et de débats sur la question du changement climatique. Pour ce seul motif, elle était certainement utile et ses auteurs doivent en être remerciés. Toutefois, l'unanimisme ne servant aucune cause, notre propos est de souligner que l'annonce de ce recours contre l'Etat a pu susciter quelques malentendus qu'il est important de lever, non pour affaiblir la démarche mais pour en asseoir la crédibilité.
Sur le juge qui pourrait être saisi du recours
Premier malentendu : la lecture des articles de presse relatifs à ce recours très médiatique révèle une confusion permanente entre le procès pénal et le procès administratif. Le procès qui s'annonce sera administratif et non pénal. Or, nombre d'articles ont utilisé le vocabulaire du procès pénal pour préciser, à tort, que l'Etat serait "sur le banc des accusés", "poursuivi", objet d'une "plainte". Dans un registre plus civil, l'Etat aurait même été "assigné". Rien de tout cela ne se produira. L'Etat ne comparaîtra pas devant un juge pénal. Personne ne plaidera contre l'Etat devant une cour d'assise, il n'y aura pas d'effets de manche ou de grande plaidoirie et personne n'encourt de peine de privation de liberté. Le procès qui pourrait se tenir devant le tribunal administratif de Paris est bien moins "spectaculaire" que ce d'aucuns en espèrent. Ce procès n'est pas fait à une personne mais à un acte : l'acte administratif. Toute personne désireuse de sanctions ou de condamnations personnelles sera nécessairement déçue. Il est donc nécessaire de lever ce premier malentendu : le juge pénal n'est pas saisi et personne ne passera des menottes à l'Etat.
Sur la personne visée par le recours
Deuxième malentendu : celui sur la personne visée par le recours. Parmi les soutiens et auteurs de cette démarche, d'aucuns soutiennent que le "gouvernement" ou "l'exécutif" actuels seraient concernés par ce recours pendant que d'autres soutiennent, en sens contraire, que la responsabilité du changement climatique est en réalité, non pas individuelle mais collective. Sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes ont exprimé le souhait que le président de la République ou le Premier ministre actuels soient inquiets de ce recours qui serait dirigé contre eux. Nouveau malentendu : c'est bien la responsabilité de l'Etat et non celle d'Emmanuel Macron ou d'Edouard Philippe qui peut être recherchée et, au demeurant, il ne peut en être autrement.
Or, l'Etat c'est tout le monde en général et personne en particulier. Ce qui permet ici à chacun de mettre le nom et le visage qu'il souhaite sur le mot "Etat". Ce qui permet aussi à aucun responsable politique de ne se sentir visé. Un tel recours ne peut en effet être dirigé contre un dirigeant politique ad hominem. Ce n'est donc pas Emmanuel Macron, Edouard Philippe ou aucun de leurs prédécesseurs qui peut être ici personnellement recherché en responsabilité. Au demeurant, il est très probable qu'aucun dirigeant politique ne se sente personnellement interpellé par "l'affaire du siècle". La réaction du gouvernement par la voix de son ministre chargé de l'écologie - François de Rugy – est intéressante. Dans une vidéo postée sur son compte twitter, le ministre s'est rapidement réjoui de cette action et a invité ses auteurs à contribuer au ""Grand débat national" mis en place à la suite du mouvement des "Gilets jaunes". Brune Poirson, secrétaire d'Etat à l'écologie a également déclaré que le gouvernement actuel n'était pas visé par ce recours.
Ils ont raison : non seulement le gouvernement n'est pas visé par ce recours mais, au surplus, ses membres ne se sentent pas visés. Ni les membres des gouvernements précédents. C'est ainsi que Cécile Duflot, ministre du Logement lors du quinquennat de François Hollande ne se sent sans doute pas personnellement responsable de l'inaction de l'Etat qu'elle dénonce aujourd'hui en étant à l'origine de l'annonce de ce recours très médiatique. Et elle aurait parfaitement raison. En définitive, à supposer même que le tribunal administratif de Paris soit saisi, aucun responsable politique ne s'y rendra. Au contraire : il y a fort à parier que le gouvernement actuel se saisira de ce recours pour souligner l'inaction climatique de ses prédécesseurs, comme Brune Poirson a déjà commencé à le faire. Plus encore : lorsque ce recours sera définitivement jugé, sans doute pas avant cinq ans, les responsables politiques actuels ne seront, pour la plupart, plus là et leurs successeurs ne se sentiront pas concernés par une action relative à un constat d'inaction opéré en 2018.
Sur l'objet du recours
Troisième malentendu : sur l'objet exact de ce recours. En réalité, ses auteurs ne demandent pas tant une indemnisation du préjudice subi par leurs organisations qu'une injonction de l'Etat par le juge administratif. Injonction tendant à ce que l'Etat "prenne toute mesure utile". Au-delà de celle relative à la précision d'une telle demande, celle-ci pose deux questions. La première tient à la personne désignée : est-ce bien contre l'Etat français qu'il faut agir ? Il faut tout d'abord rappeler que la plupart des règles qui composent notre droit de l'environnement sont élaborées, non par l'Etat français mais par les institutions de l'Union européenne. A notre sens, là réside le problème principal : le droit de l'Union européenne fixe souvent des objectifs ambitieux mais laisse les Etats membres assez libres de définir les moyens qu'ils estiment adaptés pour atteindre lesdits objectifs. Faire progresser le droit pour lutter efficacement contre le changement climatique suppose d'agir d'abord à l'échelle européenne en commençant par voter pour des eurodéputés compétents et avertis de la crise climatique. Certes, l'Etat conserve une responsabilité dans la transposition des directives et l'application des règlements de l'Union européenne. Toutefois, le recours ne lui fait pas encore de reproches précis sur ce point et le respect du droit de l'Union européenne ne dépend pas que de l'Etat, souvent soumis à des injonctions contradictoires.
Deuxième question : quelles sont les fautes précisément reprochées à l'Etat ? Pour l'essentiel, le recours préalable reproche à l'Etat de ne pas respecter ses "engagements et objectifs" en matière de réduction des émissions de GES, de production d'énergies renouvelables et d'efficacité énergétique. Plus précisément encore, le recours préalable précise : "La carence fautive de l'Etat est donc caractérisée au regard de ses engagements et objectifs contraignants et spécifiques de lutte contre le changement climatique. Cette carence est d'autant plus patente que l'Etat reconnaît et admet lui-même, non seulement ne pas pouvoir atteindre ses objectifs futurs, pour les échéances de 2020 ou de 2050, mais également ne pas avoir respecté ses objectifs annuels, qui constituent tout autant des obligations de résultats". (p 27/41) Ainsi, ce n'est pas réellement une "inaction climatique" qui est reproché à l'Etat mais plutôt un manque de vitesse dans l'atteinte des objectifs à long terme que le droit lui fixe. Il n'existe pas de précédent sur ce point, la responsabilité de l'Etat n'ayant pas encore été admise par le juge administratif pour un tel fait générateur.
Sur la nature juridique ou politique de la question posée
En conclusion, en l'état actuel des choses, la pétition est sans doute plus justifiée que le recours lui-même. A supposer que le recours soit déclaré recevable, il ne sera sans doute pas définitivement jugé avant plusieurs années. Or, nous n'avons pas le temps d'attendre. On m'objectera que la simple annonce du recours peut d'ores et déjà avoir une vertu pédagogique mais les décisions récemment prises dans les dossiers "Europacity" ou "GCO de Strasbourg" permettent d'en douter. Au surplus, à supposer également que le juge administratif accède à la demande d'injonction qui lui est soumise, il faudra bien du temps avant que les mesures à prendre ne soient précisément définies, exécutées et produisent des effets concrets.
Nul doute que le recours au droit peut être une arme efficace pour faire progresser la protection de l'environnement lorsqu'il est pensé dans le cadre d'une stratégie contentieuse globale. Nombre de recours ont permis des avancées notables du droit de l'environnement dans son histoire. Reste que, s'agissant du changement climatique, la question est moins juridique que politique. Elle est moins celle de la responsabilité de l'appareil administratif que celle, plurielle et plus complexe, des politiques et de l'ensemble des acteurs économiques et corps intermédiaires. C'est une question politique au sens le plus noble qui nous est posée à toutes et tous.