La réutilisation des eaux usées n'est pas très développée en France où la ressource hydrique est historiquement abondante. Mais face à son appauvrissement, lié aux changements climatiques mais aussi aux différentes atteintes qu'elle subit, les professionnels de l'eau et les organisations agricoles souhaiteraient deserrer l'étau de la réglementation. Celle-ci encadre strictement la réutilisation pour des raisons sanitaires, les eaux pouvant contenir des micro-organismes pathogènes et modifier l'équilibre des sols.
C'est dans ce contexte que le ministère de la Transition écologique a soumis à la consultation du publi (1) c entre le 26 juillet et le 17 août un projet d'arrêté (2) autorisant une expérimentation d'utilisation d'eaux usées pour irriguer et fertiliser par aspersion des grandes cultures dans le département des Hautes-Pyrénées. Ce texte permettrait de déroger à la réglementation applicable. Un assouplissement qui va dans le sens du plan d'actions annoncé par les ministres de l'Ecologie et de l'Agriculture le 9 août dernier. Nicolas Hulot et Stéphane Travert ont en effet annoncé vouloir "favoriser la réutilisation des eaux usées traitées, quand cela est pertinent".
Connaître en temps réel la composition en éléments fertilisants
Le projet a été proposé par la société Sede Environnement, filiale du groupe Veolia, dans le cadre de l'appel à projets "France expérimentation" lancé en 2016 par la direction générale des entreprises du ministère de l'Economie. Ce projet, développé en partenariat avec la FNSEA, consiste en "une solution d'irrigation par aspersion innovante qui fertilise les cultures grâce aux éléments nutritifs (azote, phosphore, potassium) contenus dans les eaux résiduaires urbaines traitées".
Le dispositif permet, selon son promoteur, de connaître en temps réel la composition en éléments fertilisants de l'eau apportée en irrigation. "La composition de l'eau distribuée à chaque irrigant peut ainsi être adaptée afin de distribuer la dose d'éléments fertilisants prévue par le plan de fertilisation de chaque irrigant participant au projet", assure la note de présentation (3) du projet d'arrêté.
Pour mettre en œuvre ce projet, le texte prévoit de déroger à l'arrêté du 2 août 2010 modifié sur deux points : lever les contraintes liées à la vitesse de vent maximale admissible, ainsi que celles liées aux distances de sécurité entre les zones sensibles (habitations, voies de circulation, bâtiments publics, entreprises, etc.) et les asperseurs.
Une plateforme pour valoriser les eaux usées
Le plan d'actions sur la gestion de l'eau présenté le 9 août par Nicolas Hulot et Stéphane Travert met en avant la recherche et l'innovation en matière de ressource en eau. Parmi les projets financés par le pôle de compétitivité Eau, la plateforme collaborative Hotspotreuse vise à sécuriser les projets de réutilisation des eaux usées traitées des professionnels de l'agroalimentaire, de l'assainissement et des collectivités. Soutenue à travers le dispositif "Green Tech verte" du ministère de la Transition écologique, cette plateforme est développée par la start-up Ecofilae.
Le ministère de la Transition écologique met en avant un certain nombre de garanties : avis favorable de la mission interministérielle de l'eau en date du 29 juin, avis technique de l'Anses (4) en date du 10 juillet, nécessité d'un arrêté préfectoral complémentaire pour définir les modalités concrètes de mise en œuvre de l'expérimentation qui sera examiné par les ministères de la Santé, de l'Environnement et de l'Agriculture.
Le ministère de Nicolas Hulot omet toutefois de préciser que l'avis de l'Anses sur le projet d'arrêté est clairement défavorable et particulièrement sévère. L'agence doute en premier lieu de l'innovation annoncée par les promoteurs du projet. D'une part, les concentrations en azote et en phosphore dans les eaux usées traitées sont faibles, ce qui impliquerait un ajout important d'éléments nutritifs, d'autre part, les besoins des plantes en éléments fertilisants et en eau ne sont pas synchrones, relève-t-elle. Une irrigation par aspersion avec des eaux usées dopées en nutriments en dehors de la période appropriée pour la croissance des plantes favoriserait en outre les fuites d'azote et de phosphore dans l'environnement, ajoutent les experts.
Plus grave, "aucun argument scientifique concluant à l'absence de risque sanitaire pour la population générale et les travailleurs" n'est présenté, pointe l'Anses qui juge clairement que "la suppression des dispositions réglementaires relatives à la vitesse de vent et aux distances de sécurité n'est pas justifiée". Les signataires de l'avis relèvent "l'absence totale de description du projet" concernant sa localisation, l'origine des eaux usées, le traitement appliqué, la rose des vents, les superficies d'épandage, les populations exposées ou encore les distances par rapport aux habitations et aux voies de circulation.
Pourtant, la volonté de l'exécutif semble être une généralisation de cette expérimentation, dont le terme est prévu fin 2021. L'ensemble des données collectées par les porteurs de l'expérimentation seront mises à disposition du législateur, indique en effet le ministère de la Transition écologique, en vue de faire évoluer le cas échant les prescriptions techniques rattachées à l'irrigation agricole.