« Les conséquences du déclassement de l'ESA métolachlore sont importantes, car c'est l'une des principales substances à l'origine de non-conformités de l'eau potable », a souligné Pauline Cervan, chargée de mission scientifique et réglementaire de l'association Générations futures, jeudi 6 octobre. « On assiste à un affaiblissement des mesures prises par les autorités », a-t-elle ajouté.
À l'origine du mécontentement de l'association, la publication de deux avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) qui réévaluent le classement de deux métabolites, le ESA et le NOA métalochlore, issus d'un herbicide, le S-métolachlore. Avec pour conséquence la modification de la manière de considérer la ressource contaminée par ces métabolites.
En effet, en France, deux seuils contribuent à arbitrer la gestion de la consommation d'eau. La limite de qualité, tout d'abord : elle est fixée à 0,1 microgramme par litre (µg/l). Cette limite correspond aux seuils de détection des méthodes d'analyses disponibles au début des années 1970, pour les pesticides recherchés à cette époque. L'idée d'alors était de limiter la pollution au minimum détectable. Lorsqu'elle est dépassée, l'eau est considérée comme non conforme, mais sans risque pour la santé. Elle peut continuer à être distribuée à condition que le préfet établisse un arrêté dérogatoire et que les collectivités mettent en œuvre un plan d'action pour réduire les teneurs en polluants.
Un second seuil concerne plus précisément les potentiels impacts sanitaires : l'Anses établit en effet pour chaque substance – considérée comme pertinente – des valeurs sanitaires maximales. Lors du dépassement de cette limite, le responsable de la production et de la distribution de l'eau doit informer les abonnés, « dans les meilleurs délais », que l'eau ne doit plus être consommée.
Désormais une valeur de vigilance de 0,9 µg/l
Pour les métabolites non pertinents, la limite réglementaire de qualité de 0,1 µg/l pour l'eau distribuée ne s'applique pas. Elle est remplacée par une valeur de vigilance de 0,9 µg/l. C'est dans ce cas de figure que se placent désormais l'ESA et le NOA métalochlore, considérés depuis peu comme métabolites non pertinents par l'Anses.
« Il y a également des conséquences dans la gestion de l'eau brute, a indiqué Pauline Cervan. Lorsque la teneur dépasse 2 µg/l, pour des métabolites pertinents, le producteur d'eau potable devait demander à l'Anses une autorisation d'utilisation. Ce ne sera plus le cas pour le ESA et le NOA métalochlore. »
En 2021, pour apporter des éléments complémentaires sur cette question, la société Syngenta, détentrice de l'autorisation de mise sur le marché du S-métolachlore, a transmis de nouvelles études de génotoxicité à l'Anses. « Ces études sont confidentielles, nous avons accès à quelques éléments à travers l'avis de l'Anses, a noté Pauline Cervan. Nous avons toutefois relevé des points de doutes : par exemple, une des études a été réalisée uniquement sur des souris mâles, alors qu'il est recommandé d'utiliser les deux sexes. »
Certaines données sont indisponibles
Quoi qu'il en soit, à la lumière de ces nouvelles études, l'Anses a considéré que le doute pouvait être levé concernant le potentiel génotoxique des deux métabolites. Point à noter : ce critère est le seul qui en cas de manque de données, conformément au principe de précaution, implique que la substance soit automatiquement considérée comme pertinente.
Pour les autres critères toxicologiques – la toxicité sur la reproduction, la cancérogénicité, le potentiel de perturbation endocrinienne –, un manque de données ou des résultats ambigus n'induisent pas ce classement. C'est le cas pour les métalochlores ESA et NOA. Pour l'ensemble de ces critères, les études permettant de trancher n'ont pas été identifiées par l'Anses, que ce soit dans la littérature scientifique ou les rapports d'évaluation européens.
« Des molécules peuvent être cancérogènes sans être génotoxiques, a relevé Pauline Cervan. À travers l'eau, la population, dont des personnes sensibles, est exposée de façon chronique, tous les jours : le principe de précaution n'est pas appliqué. »
Des procédures en cours concernant la substance active
La procédure de renouvellement de l'approbation de la substance active (SA), le S-métolachlore, est par ailleurs en cours sur le plan européen. Sa durée a été prolongée, car l'Autorité de sécurité des aliments (Efsa) a demandé des données complémentaires pour évaluer son potentiel de perturbation endocrinienne (PE). « Si la SA était classée PE à l'issue de l'examen de sa demande de réapprobation au niveau européen, il serait nécessaire de réévaluer le classement de la pertinence pour ce[s] métabolite[s] », a toutefois indiqué l'Anses dans les deux avis sur le ESA et le NOA métolachlore.Le retour de l'Efsa est attendu pour le printemps 2023.
En revanche, la proposition de classement en cancérogène possible pour l'homme du S-métalochlore ne modifie pas la position de l'Anses concernant ses métabolites. « L'officialisation de cette classification à l'issue de la procédure de réévaluation de la SA ne justifierait pas un classement du métabolite comme pertinent », a indiqué l'agence. Sa réponse est la même concernant la proposition de classement comme toxique pour la reproduction du S-métolachlore.
« Nous avons demandé à nos avocats d'étudier les voies de recours, indique François Veillerette, porte-parole de Générations futures. L'Anses n'applique pas le principe de précaution. ».
Sollicitée pour expliquer certains points de la méthodologie suivie et, pour finir, les déclassements, l'Anses n'est, pour l'instant, pas revenue vers Actu-Environnement.