La protection des paysages français les plus remarquables est-elle menacée ? Le ministère de la Transition écologique soumet à la consultation du public jusqu'au 20 juin deux projets de textes qui justifient la question. Tout d'abord, le projet de décret qui prévoit la déconcentration de la délivrance des autorisations de travaux dans les sites classés. Un projet qui suscite l'indignation du Conseil national de la protection de la nature (CNPN), des inspecteurs des sites et de plusieurs ONG en raison des menaces qu'il fait peser sur l'intégrité de sites remarquables situés notamment sur la Côte d'Azur ou dans le Val-de-Loire. Cette levée de bouclier explique sans doute la discrétion du gouvernement sur le sujet. Soucieux de verdir sa politique avant l'échéance des élections européennes, il a préféré reporter le lancement de la consultation publique qui était prévue à une date antérieure.
Double recul
Le ministère propose un deuxième décret qui vient, quant à lui, enlever à 577 sites français la protection assurée par leur inscription au titre de la loi de 1930. L'inscription d'un site est moins contraignante que le classement mais elle impose tout de même de recueillir un avis conforme de l'Architecte des bâtiments de France (ABF) sur les démolitions et un avis simple sur les travaux. Un premier recul a été constaté par rapport à l'intention originelle de la loi qui était de faire de l'inscription une première étape vers le classement : la procédure a plutôt été utilisée au fil du temps pour reconnaître la valeur de sites présentant un intérêt local ou pour compléter une mesure de classement.
Un deuxième recul, même si l'ambition première était de renforcer la crédibilité de la politique d'inscription des sites, a été acté par la loi de reconquête de la biodiversité de 2016. Cette dernière prévoit un réexamen sur dix ans des 4.800 sites inscrits avec trois issues à la clé : le maintien de leur statut, leur classement au titre de la loi de 1930 ou du code du patrimoine, ou leur désinscription lorsqu'ils font l'objet d'une double protection ou qu'ils sont irrémédiablement dégradés.
C'est à ce dernier titre que le ministère de la Transition écologique propose la désinscription de 557 sites après "un travail de recensement effectué conjointement par les inspecteurs des sites et les architectes des bâtiments de France dans chaque département". Ces listes ont été soumises aux commissions départementales de la nature, des paysages et des sites (CDNPS). Le texte proposé détaille les sites concernés par département en précisant, pour chacun d'eux, la date d'inscription et la commune d'accueil. Le ministère indique que ces listes comprennent 47 sites considérés comme "uniformément dégradés et non restaurables" et 510 sites couverts par "une protection patrimoniale de niveau au moins équivalent", dont 423 par un site patrimonial remarquable, 46 par un périmètre délimité des abords de monuments historiques, 40 par un monument historique, et un par une réserve naturelle nationale.
Sites ne présentant plus de qualité patrimoniale
Le ministère de la Transition écologique précise que cette opération de tri "ne saurait conduire à un recul en matière de protection des paysages, dans la mesure où seuls sont abrogés les sites ne présentant plus de qualité patrimoniale ou ceux qui sont protégés au titre d'une autre législation garantissant un niveau de protection au moins équivalent". Très remontée contre le décret sur la déconcentration des autorisations de travaux en sites classés et contre celui supprimant l'avis de l'Office national des forêts en cas de défrichement d'une forêt publique, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF) est en revanche beaucoup moins critique sur ce nouveau texte. "Le toilettage a été négocié et on a obtenu le maintien du double classement (site inscrit/site classé) alors qu'il était question de supprimer totalement les sites inscrits", témoigne Julien Lacaze, vice-président de l'association. "Il y a une part d'objectivité et de réalisme dans ce projet", estime également David Couzin, président de l'Association des inspecteurs des sites (AIS). Cette réforme devrait en effet permettre d'alléger les services de l'Etat qui consacreront moins de temps sur des sites qui n'en valent plus la peine.
Pourtant, cette désinscription pose question pour plusieurs raisons. D'abord, parce que l'on acte ainsi l'échec de la protection de 47 sites, ce qui crée un précédent. L'Etat reconnaît ainsi l'impuissance de ses services à résister à certaines pressions d'urbanisation planifiées par des documents d'urbanisme. "Dans ce cas, l'avis au cas par cas de l'ABF ne tient pas toujours (…) face à des élus qui ne les relayent pas", expliquait, en mars 2014, le ministère de l'Environnement dans l'étude d'impact du projet de loi sur la biodiversité. Il donnait pour exemple des sites comme le golfe du Morbihan ou le littoral des Alpes-Maritimes. Curieusement, aucun site de ce dernier département ne figure pourtant sur la liste aujourd'hui proposée. "On a maintenu des sites inscrits, pourtant très dégradés, pour ne pas donner de mauvais signal", explique David Couzin. L'inspecteur mentionne des sites péri-urbains à forte pression urbanistique comme la Vallée de l'Erdre (Loire-Atlantique) ou le Vexin (Val-d'Oise, Yvelines, Oise).
D'autre part, la liste mise en consultation ne fait pas de distinction entre les sites qui sont retirés du fait de leur dégradation irréversible, et perdent donc toute protection réglementaire, de ceux qui font l'objet d'une autre protection. Le texte n'indique pas non plus la nature de la protection qui subsiste pour chacun de ces derniers sites pris individuellement. "La nouvelle protection doit impérativement recouvrir l'intégralité du site inscrit et un avis conforme de l'ABF en cas de permis de démolir est toujours nécessaire", rassure toutefois Julien Lacaze, qui ne voit pas a priori de régression dans la protection.
L'outil des "sites inscrits" n'a en fait tout simplement pas résisté à la décentralisation et à la pression urbanistique qui l'a accompagnée. "C'est très révélateur de ce qui pourrait advenir si la seule gestion locale était retenue pour les sites classés", avertit gravement David Couzin.