Les experts de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) viennent de recommander à EDF de réparer les huit soudures défectueuses situées au niveau de l'enceinte de confinement de l'EPR de Flamanville. A ce stade, EDF n'y est pas favorable. "EDF n'écarte pas [ce scénario] pour des raisons associées à la faisabilité des opérations mais plutôt en raison des délais", dévoile le rapport du groupe permanent d'experts pour les équipements sous pression nucléaires (GPESPN). En effet, la reprise des huit soudures "nécessitera des études détaillées et des opérations de préparation dans des délais qu'EDF ne juge pas raisonnablement compatibles avec la mise en service du réacteur".
Actuellement, la mise en service du réacteur nucléaire est déterminée par l'échéance du décret qui autorise sa construction. Celui-ci a été accordé le 10 avril 2007 pour une durée de 10 ans, puis prolongé jusqu'en avril 2020. Pour contourner cette difficulté, EDF propose de réparer les soudures après la mise en service du réacteur, à l'occasion de son premier arrêt.
Une démonstration insuffisante
En janvier dernier, Bernard Doroszczuk avait fait le point sur les défauts constatés sur les soudures du circuit secondaire de l'EPR. Le président de l'ASN expliquait alors que l'entreprise EDF s'était engagée à les reprendre, à l'exception de huit difficiles d'accès : deux pour chacune des quatre traversées de l'enceinte de confinement. Une de ces soudures est défectueuse et les sept autres sont non conformes. Pour valider ce scénario, EDF devait démontrer qu'il n'est pas nécessaire de les refaire. Les calculs de l'entreprise devaient être évalués par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et le groupe permanent d'experts de l'ASN. L'IRSN a transmis son avis à l'ASN le 22 mars et l'a présenté aux membres du groupe permanent lors de sa réunion des 9 et 10 avril 2019.
Pour l'IRSN, la réponse est claire : "plutôt que rechercher à justifier une acceptabilité en l'état, [EDF devrait] procéder à la remise en conformité des soudures concernées". En effet "la confiance dans la qualité des [huit soudures] n'atteint pas le haut niveau attendu, ce qui remet en cause l'hypothèse de conception d'EDF basée sur une démarche d'exclusion de rupture". En l'occurrence, des essais (effectués sur des assemblages témoins réalisés en parallèle de ceux installés sur le réacteur) ont montré que les valeurs règlementaires de rupture ne sont pas respectées. EDF a bien essayé de démontrer que les soudures sont suffisamment résistantes, mais trop d'incertitudes pèsent sur la démonstration, estime l'IRSN. Les doutes sont liés aux écarts de matériaux et de référentiel de soudure constatés entre les pièces utilisées pour les essais réalisés par EDF et celles installées sur le réacteur. En outre la modélisation du vieillissement des soudures a mis en lumière un "résultat inattendu" et défavorable.
Attendre le premier arrêt du réacteur
Lors de sa réunion, le GPESPN "a [lui aussi] considéré que la nature et le nombre particulièrement important des écarts (…) constituaient des obstacles majeurs". Il préconise donc de réparer les soudures. Il propose aussi une autre solution : qu'EDF "renonce à la démarche d'exclusion de rupture les concernant en apportant des modifications au réacteur". Mais cette option semble théorique. En effet, "EDF considère que le renoncement à l'hypothèse d'exclusion de rupture est très complexe voire impossible pour les soudures [concernées]", révèle son rapport. C'est justement parce qu'il est très difficile de renoncer à l'hypothèse d'exclusion de rupture et que le délai de réparation est trop long, qu'EDF privilégie de démontrer que les soudures sont suffisamment sûres.
Une troisième solution se dessine qui permettrait à EDF de mettre en service l'EPR en temps et heure. Le rapport du GPESPN nous apprend qu'EDF étudie une remise en conformité des soudures qui "pourrait être réalisée, si nécessaire, au premier arrêt du réacteur". Cette solution ne serait cependant pas idéale et pourrait aboutir sur un long arrêt du réacteur. Les premières études d'EDF ont permis d'identifier "plusieurs risques majeurs présentant des effets falaises pouvant conduire à l'indisponibilité de la tranche pendant une durée importante", note le GPESPN. Ce sont ces premières conclusions qui ont renforcé la volonté d'EDF de privilégier le maintien en l'état des soudures. Elles ont aussi renforcé la volonté d'un report de la réparation, si l'ASN devait l'imposer. "Une remise à niveau post démarrage, est aujourd'hui prioritairement motivée par les risques techniques associés à une telle opération et la nécessité de les sécuriser, via notamment des entrainements en taille réelle."
EDF se prépare à réparer les soudures
EDF se prépare déjà à mettre en œuvre ce scénario. Le 22 février, les directions d'EDF et Framatome ont décidé de créer une structure ad hoc et de rassembler les compétences nécessaires. Objectif : "étudier en détails les risques associés au scenario de remise à niveau des soudures [et] lancer au plus tôt les approvisionnements nécessaires". "Ces activités sont en cours", précise le GPESPN.
Initialement, l'ASN devait rendre sa décision en mai. EDF évoque aujourd'hui un rendu "dans quelques semaines". En l'occurrence EDF n'a pas totalement renoncé à maintenir les soudures en l'état et doit encore compléter sa démonstration d'ici juin, ce qui laisse augurer un report de la décision de l'ASN à l'été.