
Co-directeur de Tara Oceans
Eric Karsenti : Depuis le départ de l'expédition en septembre 2009, nous n'avions pas encore eu le temps de rentrer dans les détails de l'aspect scientifique. Pour la première fois j'ai pu mesurer réellement la cohérence de l'expédition et de l'ensemble des travaux menés à bord comme à terre.
Chaque coordinateur a parlé de sa vision du projet, mais les exposés étaient groupés par thèmes (des virus aux zooplanctons, mais aussi par méthodologies, telles que le séquençage, l'imagerie et la modélisation des écosystèmes océaniques).
Ainsi j'ai pu avoir une vision globale des résultats qui pourraient sortir de l'expédition et de leur analyse qui a déjà commencé. Il est maintenant clair que nous parviendrons à établir une cartographie des écosystèmes marins en fonction des caractéristiques physico-chimiques des océans. Et il est très probable que cela conduira à de nouveaux modèles théoriques sur la distribution géographique des espèces et leurs réactions aux changements climatiques.
La plupart des coordinateurs ont montré à cette réunion d'Heidelberg des résultats préliminaires qui démontrent que le système fonctionne bien et il est clair que nous avons déjà énormément de données à traiter. Nous avons choisi deux stations de prélèvement à analyser en détail pour écrire un premier article scientifique collectif qui aura pour but de démontrer clairement comment fonctionne la méthodologie que nous avons imaginée pour cette expédition.
A l'issue de cette réunion, nous avions vraiment tous la certitude que nous sommes dans une aventure nouvelle et historique pour la science et pour la compréhension des écosystèmes marins au niveau de la planète. Nous avons aussi tous eu énormément de plaisir à échanger sur un domaine commun alors que nous venons tous de disciplines très différentes. C'est quelque chose de très excitant. Le niveau des discussions a été extrêmement élevé.
Si jamais je vous demande très rapidement le lien entre les micro-organismes marins (but des recherches de Tara) et les humains quel est-il ?
EK : Ce lien est primordial à plusieurs niveaux : notre existence dépend directement de ces micro-organismes ; ils sont à la base de notre chaîne alimentaire ; c'est eux, en grande partie, qui régulent le climat de la planète ; ils étaient sur terre avant nous et les plantes ! Donc en quelque sorte on descend d'eux dans la grande chaîne de l'évolution.
Ce que Tara Oceans va apporter c'est une compréhension de l'évolution de ces organismes, la façon dont ils se distribuent dans les océans et comment ils réagissent à l'environnement. Nous allons ainsi obtenir des modèles de meilleure qualité pour l'évolution du climat, mais aussi des marqueurs de l'état de ces écosystèmes ainsi que de meilleurs moyens d'anticiper les régions qui peuvent êtres pêchées ou non.
Le bateau est entré dans l'Océan Indien, quel est l'intérêt d'aller étudier cette zone en particulier ?
EK : La zone Nord de l'Océan Indien est spécialement intéressante car c'est une région océanique particulièrement acide tout comme le Pacifique Est. Il est important d'étudier la composition des écosystèmes dans ces zones et de les comparer avec ce que nous allons prélever dans des zones beaucoup moins acides (plus au sud dans l'Océan Indien). Ces contrastes sont indispensables à étudier. Par ailleurs Tara va se trouver dans ces régions à une période de l'année où on observe des « blooms1» (floraisons) d'algues unicellulaires particulièrement intéressants à étudier. Ces « blooms » apparaissent en rendant la mer lumineuse et disparaissent soudainement. Il semble que des virus jouent un rôle important dans la régulation de ces phénomènes.
Quand allez-vous revenir sur le bateau ?
EK : Entre Mayotte et Madagascar et jusqu'au Cap en Afrique du Sud
Quel est votre moment préféré à bord ?
EK : Les stations, le travail pendant les prélèvements et les manœuvres. Pouvoir allier mes deux passions, la science et la navigation, c'est un rêve.
Celui que vous aimez le moins ?
EK : Il n'y en a pas. En mer je suis bien.
En tant que directeur de Tara Oceans comment se répartit votre emploi du temps quand vous n'êtes pas sur le bateau ?
EK : Mon temps est à 100% consacré à l'organisation Tara Oceans depuis quelque temps, mais je pense que je vais avoir à pas mal travailler sur la mise en place de la coordination de la collecte et de l'analyse des données scientifiques à partir de l'automne prochain à Heidelberg. Pour l'instant, à terre, je fais le suivi de toutes les décisions et des échanges entre scientifiques. J'ai un rôle de coordination important. Je prépare aussi l'avenir en essayant de trouver des financements pour la deuxième et la troisième année de l'expédition. Je donne beaucoup de séminaires aussi, je m'occupe également de l'organisation des données scientifiques de Tara Oceans qui sont centralisées à Heidelberg. Enfin cela m'arrive de me rendre aux escales ou naviguer sur Tara mais je n'ai pas eu le temps d'y être beaucoup jusqu'à présent ! Je vis entre Heidelberg, Paris, et Tara. C'est un peu dingue.
Propos recueillis par David Sauveur pour le Fonds Tara