A l'occasion du colloque organisé début novembre par l'Office franco-allemand pour la transition énergétique (Ofate), les professionnels du secteur des grandes centrales photovoltaïques au sol ont défendu le développement de parcs sur des terres agricoles. Un pacte gagnant-gagnant pourrait lier le solaire à une activité agricole.
L'accès au foncier jugé complexe
Le cahier des charges des appels d'offres pour les grandes centrales photovoltaïques accorde un bonus aux projets implantés sur des terrains dégradés (9 % de la note finale). "Ca fait souvent la différence", insiste Cédric Bozonnat, du bureau des énergies renouvelables au ministère de la Transition écologique, puisque "les conditions économiques des projets sont souvent proches". Près de la moitié des projets retenus sont situés sur des terrains dégradés. Les autres terrains éligibles sont ceux à urbaniser et ceux situés dans certaines zones naturelles qui ne nécessitent pas défrichement. L'Etat veut ainsi épargner les zones agricoles, pastorales et forestières.
Pour l'instant, la principale difficulté reste administrative. Faute de cadre règlementaire dédié, les projets "ne rentrent pas dans les cases des dossiers". Lorsque l'administration reçoit une demande, le porteur du projet "a droit à de gros yeux ronds", déplore Neige Bréant.
Mais les porteurs de projets craignent que la concurrence, pour accéder au foncier, limite la qualité des terrains proposés et renchérisse les coûts. "L'accès au foncier est complexe. On n'arrivera pas à mobiliser des terrains uniquement avec les sols dégradés et les parkings", estime Antoine Dubos, directeur du développement de Photosol. Il juge que la politique actuelle limite l'offre à des parcelles de petite taille, impose des coûts de dépollution, rallonge les délais du fait de la mise à jour des documents d'urbanisme et pose des problèmes de biodiversité lorsque "la nature a repris ses droits".
L'Allemagne pour exemple
Les porteurs de projets aimeraient développer des parcs sur des terrains agricoles "délaissées" ou "défavorisées". L'Allemagne l'autorise, à condition que les terrains soient classés comme tel par l'Union européenne et que le Lander concerné donne son feu vert. Un tiers de la surface agricole allemande est concernée. Outre-Rhin le photovoltaïque au sol (12,3 gigawatts (GW) installés) couvre un peu plus de 27.000 ha, essentiellement d'anciennes zones industrielles ou des terrains militaires (16.800 ha). Les terres agricoles arrivent en deuxième position avec 7.100 ha, soit 0,1% de la surface agricole. Pour l'instant, les pouvoirs publics enregistrent peu de conflits. Mais la situation pourrait évoluer puisque le recours aux terrains agricoles était quasi inexistant il y a deux ans.
Cette politique suscite l'intérêt des acteurs français. "Lorsque la location d'un terrain rapporte plus que l'activité agricole, ça doit nous interroger", estime Xavier Daval, directeur de kiloWattsol. Selon lui, "utiliser les jachères feraient sens". En l'occurrence, il ne souhaite pas substituer le photovoltaïque à une activité agricole, mais promouvoir "la symbiose entre la production solaire et l'activité agricole". Cet "agrivoltaïsme" est aussi défendu par Photosol. Mais ce "contrat gagnant-gagnant" ne fonctionne que "si on a une vraie exploitation agricole, c'est-à-dire avec une prairie et une herbe de qualité", insiste Antoine Dubos.
Opposition stricte de la FNSEA
Reste à convaincre les agriculteurs. La tâche s'annonce délicate : Patrick Benezit, secrétaire général adjoint de la FNSEA, est "strictement opposé aux centrales photovoltaïques sur les terres agricoles". Ce type de projet "est un contresens environnemental", explique-t-il. Pour les agriculteurs, la priorité reste l'équipement des toitures, notamment agricoles. "Il faut saturer les toits, pour familiariser les agriculteurs aux solaire, avant d'explorer la piste de l'agrivoltaïsme"…
Pour l'instant, les pouvoirs publics semblent du même avis. L'agrivoltaïsme peut être expérimenté dans le cadre de l'appel d'offres "innovation", mais l'Etat n'est pas prêt à aller plus loin. Le sujet "n'est pas du tout mûr pour être inclus dans les appels d'offres classiques", explique Cédric Bozonnat. Le représentant du ministère de la Transition écologique explique surtout qu'il y a suffisamment de candidats. En outre, le ministère privilégie plutôt l'élargissement de la liste des sites éligibles aux délaissés autoroutiers (les bandes de 100 m de large qui bordent les autoroutes) et aux terrains militaires.
Reste toutefois que l'accès aux terres agricoles n'est pas impossible. Lorsqu'il y a un contentieux, il porte essentiellement sur l'analyse de la valeur agricole des terres, explique Paul Elfassi qui a passé en revue la jurisprudence. L'avocat associé au cabinet BCTG ajoute qu'"un dossier solide peut justifier d'aller contre un avis négatif de la chambre d'agriculture". Enfin, en matière d'agrivoltaïsme, le juge n'exige pas d'activité agricole identique à celle existante, mais il veut un projet solide et conforme aux pratiques agricoles de la région.