Ce samedi 23 novembre, la dix-neuvième conférence des Parties sur le changement climatique (COP19) de Varsovie a bien failli s'enliser dans les méandres de la négociation. Avec vingt-quatre heures de retard, les délégués, épuisés par les nuits sans sommeil, ont adopté un accord qui, du bout des lèvres, engage pays du Nord comme du Sud à s'orienter vers des « contributions » à la lutte contre le changement climatique d'ici à 2015, année fatidique où la COP 21 devra adopter, à Paris, un nouvel accord international prenant le relais du Protocole de Kyoto. La négociation a abouti à une nouvelle version du compromis de Durban (1) (Afrique du Sud) où, en 2011, les 195 membres de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques se sont donné quatre ans pour parvenir à un accord mondial qui impliquera désormais tous les grands pays pollueurs, au Nord comme au Sud, et non plus les seuls pays occidentaux. La feuille de route adoptée à Varsovie (2) prévoit que les pays « qui le peuvent » fourniront leurs « contributions » de réduction des émissions (plutôt que des engagements) « en avance » de la conférence de Paris (COP 21), au début de l'année 2015. La nature juridique de ces contributions devra être précisée plus tard.
Des contributions plutôt que des engagements
Derrière ces euphémismes diplomatiques, des clivages lourds de rancoeurs accumulées : celles des pays dits émergents, qui réclament le droit de croître à leur tour à renfort d'énergies fossiles, celles des pays industrialisés, Etats-Unis et Union européenne, qui estiment que le temps est venu pour les nouveaux grands émetteurs mondiaux, Chine et Inde en tête, de prendre leurs responsabilités et ne veulent plus assumer seuls des engagements contraignants. Sur fond d'événements climatiques extrêmes, comme le récent typhon Haiyan aux Philippines, qui frappent les plus vulnérables. Une rhétorique édulcorée aura donc permis d'arracher un compromis et d'éviter provisoirement le schisme Nord-Sud : « contributions » plutôt qu' « engagements », mais tous, pollueurs historiques comme « émergents » du groupe des BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) consentent à « contribuer », au gré d'annonces de réductions volontaires, à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Un calendrier serré
Une telle rhétorique annonce « un accord pas très contraignant » en 2015, selon l'analyse de Ronan Dantec. Pour le porte-parole climat de l'organisation mondiale Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU), rompu à ces négociations, « l'enjeu de Varsovie était bien d'éviter l'échec. Le compromis trouvé sur le texte d'application du Protocole de Durban, sur l'annonce par les pays de leurs propositions de réduction d'émissions au premier trimestre 2015, mais sans qu'il ne s'agisse d'engagements contraignants, est dans la grande tradition des compromis onusiens. Les Européens ont évité le retour de la mention aux pays développés comme seuls contributeurs à l'effort de réduction, la France a un calendrier acceptable pour préparer une conférence qui devra trouver le moyen de se dégager d'un fonctionnement des COP dont la lourdeur est en soi l'une des principales difficultés ».
A l'issue de la conférence sur le climat à Varsovie, Corinne Lepage, députée européenne membre de la délégation officielle du Parlement européen, estimait que « la feuille de route adoptée à Varsovie laisse tous les obstacles devant nous, et la France va devoir redoubler d'efforts pour espérer aboutir à un nouvel accord sur le climat en 2015. Pour y arriver, Paris va devoir jouer collectif avec ses partenaires européens et les pousser à relever le niveau d'ambition de l'Union européenne pour les objectifs climat de 2030. » Pour le Réseau action climat, coalition d'ONG qui fait partie de celles qui ont claqué la porte des négociations le 21 novembre, « les pays sont venus à Varsovie sans la moindre envie de renforcer l'ambition climatique, pourtant indispensable. Le gouvernement japonais a annoncé qu'il voulait transformer son objectif de réduction de ses émissions de -25% en un « objectif » de +3,1%. Le gouvernement australien a annoncé qu'il voulait affaiblir sa politique climatique. Et l'Union européenne n'a rien proposé d'ambitieux, alors qu'on attendait d'elle qu'elle tire les autres pays vers le haut ».
Coquilles vides
A l'issue de ces deux semaines « surréalistes » à Varsovie, Karine Gavand, de Greenpeace-France, comme bien des observateurs, demeurait stupéfaite que la capitale polonaise ait accueilli un sommet parallèle sur le « charbon propre » à quelque centaines de mètres du site de la conférence officielle. Sans compter le limogeage, lors d'un remaniement ministériel le 20 novembre, du ministre de l'environnement polonais et président de la COP, Marcin Korolec, qui entendait placer les activités minières liées à l'exploitation des gaz de schiste sous la tutelle de son ministère. Lui succède Maciej Grabowski, sous-secrétaire d'Etat chargé des finances, apprécié pour la flexibilité fiscale qu'il a accordée aux opérateurs du secteur.
La conférence de Varsovie n'a pas apporté de résolutions sur la nature des engagements financiers des pays développés, condition sine qua non pour gagner la confiance des pays en développement et les rallier à un nouveau régime juridique qui entrainerait des obligations pour eux aussi. Le Fonds vert pour l'atténuation et l'adaptation devrait être capitalisé à partir de 2014 à hauteur de 100 millions de dollars (sur 100 milliards initialement prévus d'ici à 2020). Le mécanisme Redd+ de reforestation devrait être abondé au démarrage à hauteur de 280 millions de dollars, mais la provenance – publique ou privée - de ces fonds n'est pas définie.
Le blocage des dernières heures par les délégations des Philippines et du Bangladesh a rappelé que, dans cette négociation, l'enjeu de la justice climatique demeure central. Ni abondé, ni spécifié, reporté à 2016, le mécanisme loss and damage pour couvrirpertes et destructions inexorables liées à des événements climatiques extrêmes et à la montée des océans ressemble à une coquille vide.