C'est un nouvel avertissement que le Gouvernement reçoit ce mercredi 10 mai de la plus haute juridiction administrative. Le Conseil d'État ordonne en effet à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour rendre cohérent le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) avec le décret du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la Stratégie nationale bas carbone, en lien avec les engagements juridiques de la France à travers l'Accord de Paris et la législation européenne. Les juges fixent l'échéance au 30 juin 2024 pour prendre ces mesures, en ajoutant toutefois un bilan d'étape au 31 décembre 2023. Ils ont en revanche refusé de fixer une astreinte comme le réclamaient pourtant les requérantes.
Cette décision est rendue dans le cadre du contentieux opposant la ville de Grande-Synthe (Nord), menacée de submersion, à l'État français. La Ville de Paris et les associations Notre affaire à tous, Oxfam France, Fondation pour la nature et l'homme ainsi que Greenpeace France s'étaient jointes à l'action. Cet arrêt fait suite à deux décisions précédentes du Conseil d'État.
Le 19 novembre 2020, ce dernier avait reconnu le non-respect par l'État de la trajectoire pour la période 2012-2018 (premier budget carbone), mais il avait sursis à statuer pour les années ultérieures dans l'attente de la production des éléments justificatifs par le Gouvernement. Par une nouvelle décision, en date du 1er juillet 2021, la Haute Juridiction avait enjoint au Premier ministre de prendre des mesures supplémentaires avant le 31 mars 2022 pour respecter la trajectoire de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030. Une trajectoire inscrite dans les textes nationaux en cohérence avec l'Accord de Paris et la législation européenne, qui a d'ailleurs revu entre-temps l'ambition à la hausse (- 55 % d'ici à 2030).
Pas de garantie sur le respect de la trajectoire de réduction
Par cette nouvelle décision, le Conseil d'État estime que son arrêt précédent n'a pas été complètement exécuté, le Gouvernement n'étant pas en mesure de garantir que la trajectoire de réduction puisse être effectivement respectée. Pour la période 2019-2023 (deuxième budget carbone), l'objectif de réduction de 1,9 % par an pourrait être atteint, mais les statistiques révèlent des baisses très contrastées selon les années : - 1,9 % en 2019, - 9,6 % en 2020, + 6,4 % en 2021 et - 2,5 % en 2022, selon les données provisoires. « Il existe une incertitude sur le point de savoir si ces résultats sont liés à des actions du Gouvernement ou au contexte particulier des dernières années, caractérisé par de fortes baisses de l'activité (2020, avec la pandémie de Covid-19 et deux confinements), puis à la crise de l'énergie (2022 avec la guerre en Ukraine) », commente le Conseil d'État.
Le Conseil d'État délivre malgré tout des bons points à l'exécutif. « Le Gouvernement a adopté un ensemble de mesures conséquent, qui concerne nombre d'activités ou de secteurs émetteurs de gaz à effet de serre, et a alloué des montants importants aux investissements en lien avec la transition écologique et énergétique », relève la décision. Ce qui révèle la volonté de l'exécutif d'atteindre les objectifs assignés à la France. Mais la Haute Juridiction constate aussi que l'évaluation de ces mesures repose sur des hypothèses non vérifiées à ce jour. « Les conclusions de cette évaluation apparaissent en contradiction avec l'analyse par objectifs sectoriels de la Stratégie nationale bas carbone menée par le Haut Conseil pour le climat », ajoutent les conseillers d'État.
Réactions contrastées
Ce nouvel arrêt du Conseil d'État, qui vient enrichir la jurisprudence en pleine croissance sur les contentieux climatiques, suscite des réactions contrastées. « Avec cette décision, le Conseil d'État entérine la défaillance du Gouvernement et l'esbroufe qu'il organise autour de son (in)action climatique. À un moment où la France traverse un épisode de sécheresse inédit, après un été 2022 marqué par des incendies catastrophiques, le Gouvernement a le devoir de réagir, et vite », réagissent les associations requérantes, à l'origine de l'Affaire du siècle, autre grand procès climatique dirigé contre l'État français.
« Cette décision s'inscrit dans la lignée des grandes décisions rendues par les cours suprêmes du monde entier pour contraindre les États, mais aussi les entreprises, à agir de manière efficace et à sortir de la communication en matière de lutte contre le dérèglement climatique », se félicite également Corinne Lepage, avocate de la commune de Grande-Synthe, dans un communiqué.
« Retour à la réalité », réagit au contraire l'avocat Arnaud Gossement sur Twitter. « Le Conseil d'État douche tous les espoirs placés dans l'intervention du juge, valide les promesses et l'argumentaire du Gouvernement, rejette la demande d'astreinte et se borne à donner rendez-vous à la Première ministre en… juin 2024, quatre ans après le début de cette affaire », juge sévèrement l'avocat.