L'alternance politique ouvre un nouveau chapitre de la lutte que se livrent l'Etat et les régions pour le contrôle des directions régionales de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Le 18 avril 2012, le précédent gouvernement signait un décret faisant des préfets les délégués territoriaux de six établissements publics, dont l'Ademe. Cette "victoire" de la préfectorale, acquise à quatre jours de l'élection présidentielle, pourrait être remise en cause, notamment à l'occasion de la future loi de décentralisation.
De leur côté, les syndicats de l'Agence militent pour le maintien de l'autonomie des directions régionales et rejettent aussi bien le contrôle des préfets que celui demandé par les Conseils régionaux. Ils seront reçus mi-septembre par les conseillers de Delphine Batho, ministre de l'Ecologie, et Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l'Etat. "Nous ne sommes pas opposés à une collaboration plus étroite avec les acteurs locaux", avance Denis Mazaud, délégué syndical SNE-FSU à l'Ademe, "mais nous refusons la mise sous tutelle". Selon le syndicaliste, l'autonomie de L'ademe est menacée par un processus de revalorisation de la thématique environnementale dans le discours politique engagé avec le Grenelle. "Cette politisation du sujet incite l'Etat à piloter le plus directement possible l'Ademe, ce qui réduit sa marge d'autonomie d'autant plus que les moyens humains n'ont pas cru en proportion des missions nouvelles ", analyse-t-il, évoquant le risque de " transformation progressive de l'Ademe en ministère de l'Ecologie bis".
Parallèlement les syndicats de l'Ademe forment un recours devant le Conseil d'Etat. "Le précédent gouvernement a modifié le fonctionnement d'un établissement créé par un texte législatif en utilisant un texte réglementaire", explique l'élu SNE-FSU, ajoutant que "le Conseil d'Etat avait soulevé ce point dans un avis extrêmement critique rendu avant la parution du texte".
Main basse sur l'Ademe
Les représentations régionales de l'Ademe, qui emploient près de 500 salariés, soit la moitié de l'ensemble du personnel de l'Agence, regroupent notamment les services chargés d'accompagner les opérations innovantes et expérimentales sur le terrain. Ces services disposaient jusqu'à maintenant d'une certaine liberté dans le choix des projets soutenus, et cela d'autant plus que la tutelle exercée sur l'Ademe par le ministère de l'Ecologie est légère.
Le soutien apporté par l'Ademe à l'association Virage énergie Nord-Pas-de-Calais illustre la radicalité de certains choix : il s'agit d'élaborer un scénario de sobriété énergétique assurant une résilience à un pic pétrolier en 2020 et une sortie rapide du nucléaire. Un scénario qui remet en cause le modèle économique actuel et les modes de vie et de déplacement.
La question de l'indépendance des directions régionales forme le cœur des critiques formulées à l'encontre du décret, que ce soit lors de sa préparation ou au moment de son adoption. Ainsi, dès le 12 mars, Alain Rousset, président du conseil régional d'Aquitaine, écrivait en sa qualité de président de l'Association des régions de France (ARF) au Premier ministre François Fillon. "On peut craindre que les relations de travail des Régions et de l'Ademe ne pâtissent d'un alourdissement inutile", s'inquiétait-il, évoquant une possible "confusion entre les services de l'Agence et ceux des Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal)". "Main basse des préfets sur l'Ademe", s'indignaient le 19 avril les syndicats de l'Ademe (CFDT, CGT, FO et SNE-FSU), annonçant "la dislocation de l'Ademe". Dans deux lettres séparées adressées à François Fillon, la sénatrice socialiste de l'Oise, Laurence Rossignol, et le sénateur socialiste des Alpes-Maritimes, Marc Daunis, reprennaient les reproches formulés par ailleurs et déploraient la perte d'autonomie de l'Ademe. "Ce décret (…) opère une reconcentration des pouvoirs au profit des préfets qui seront à la fois juge et partie", estimait l'élue picarde.
Quatre ans d'évolution réglementaire
La réforme achevée en avril par le précédent gouvernement est le fruit d'un long processus engagé le 11 juin 2008 au Palais de l'Elysée lors du troisième Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) organisé dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). A cette occasion, a été annoncée la volonté de l'exécutif de confier aux préfets de région la délégation territoriale de l'Ademe.
Un an plus tard, le décret du 28 mai 2009 relatif à l'Ademe applique la décision du CMPP : en tant que délégué régional, le préfet de région préside le Comité régional d'orientation (CRO) et la Commission régionale des aides (CRA), cosigne les conventions de programme entre les collectivités territoriales et l'Agence et est tenu informé des autres conventions signées avec les partenaires de la direction régionale de l'Ademe. Son implication est donc principalement limitée à la formulation de propositions lors de la réunion annuelle du CRO. Par ailleurs, les directeurs régionaux de l'Ademe restent sous l'autorité du président de l'Agence.
Les choses s'accélèrent avec un nouveau décret pris en février 2012 et accordant au préfet de région la représentation de l'Ademe, lui conférant l'autorité sur le service régional et stipulant que les conventions signées par la direction régionale doivent lui être préalablement soumises pour avis et non plus pour simple information.
Les préfets encadrent les orientations régionales
Avec le décret du 18 avril 2012, le préfet de région étend sensiblement ses pouvoirs : il coordonne les actions de l'Ademe avec celles conduites par les administrations et les autres établissements publics, il s'assure de la cohérence de l'action des services de l'Etat et de l'Ademe à l'égard des collectivités territoriales, il peut recevoir délégation de pouvoir pour négocier et conclure au nom de l'établissement des conventions avec les collectivités territoriales, il contresigne ces conventions en l'absence de délégation, il peut adresser à la direction régionale des directives d'action territoriale et il est consulté préalablement à l'évaluation du directeur régional de l'Ademe.
Concrètement, le préfet de région peut donc s'opposer aux conventions signées par l'Agence, puisqu'elles n'ont pas de valeur sans sa signature, alors qu'auparavant il n'émettait qu'un avis, il peut encadrer les choix de l'Ademe en donnant régulièrement "des directives d'action", alors que précédemment il ne pouvait qu'émettre "des recommandations" lors du CRO annuel, et il devient de fait un responsable hiérarchique du directeur général, puisqu'il participe à son évaluation.
Les régions reviennent à la charge
Cependant, c'était sans compter avec le changement de majorité. En effet, le dossier pourrait être rouvert, cela d'autant plus que les exécutifs régionaux et national sont maintenant du même bord. Le 1er mars, Marie-Hélène Aubert, eurodéputée PS en charge du pôle environnement de la campagne présidentielle de François Hollande, et François Brottes, député PS de l'Isère, annonçaient à mots couverts l'abrogation du décret d'avril en cas de victoire à la Présidentielle. "La transition énergétique voulue par François Hollande passera par une nouvelle étape de la décentralisation des pouvoirs publics en matière énergétique", prévenait les élus socialistes, annonçant "le renforcement des prérogatives des Régions et des agences régionales de l'Ademe".
Le message a visiblement été entendu par l'ARF qui est revenue sur le dossier le 4 juillet au travers d'un document de 51 pages détaillant ses propositions en vue d'une prochaine loi de décentralisation. "Les politiques confiées aux agences nationales dans les domaines de la rénovation urbaine, de l'habitat, de la cohésion sociale, de la maîtrise de l'énergie, du climat, de la biodiversité, de la santé… sont mises en œuvre dans le cadre de délégations régionales rattachées aux Régions", propose le document intitulé Les Régions au cœur du nouvel acte de décentralisation, citant explicitement cinq agences dont l'Ademe.
La proposition de l'ARF est cependant mal passée auprès des élus syndicaux du comité d'entreprise de l'Ademe qui ont adopté le 10 juillet une motion s'y opposant. "Les représentants du personnel (…) de l'Ademe s'élèvent unanimement contre la proposition de l'ARF de rattacher les directions régionales de l'Ademe aux Régions", indique le texte qui reprend leur "position de principe" : autonomie, neutralité de l'expertise et dialogue entre services régionaux et structure nationale de l'Ademe.