Le projet de décret relatif à l'évaluation de certains plans et documents ayant des incidences sur l'environnement ne serait pas conforme à la jurisprudence européenne et à l'esprit de la directive 2001/42/CE concernant le champ de l'évaluation environnementale des plans et programmes. Telle est la principale conclusion de l'Avis délibéré rendu par l'Autorité environnementale (AE) du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de l'Ecologie lors de sa séance du 14 mars 2012.
Or, ce décret est censé répondre à une mise en demeure adressée en octobre 2009 à la France par la Commission européenne en raison de la transposition incomplète et incorrecte de ladite directive.
Ainsi, en défendant l'indépendance de l'autorité environnementale vis à vis de l'autorité décisionnaire, l'AE défend "la justification de [sa] création", c'est-à-dire éviter "soigneusement", au niveau national, tout conflit d'intérêt entre les deux fonctions attribuées à une même autorité.
En préambule de l'analyse détaillée des articles du projet de décret, l'AE insiste sur un point de son analyse : "le fait de désigner dans de très nombreux cas la même personne (…) comme autorité environnementale et comme responsable ou co-responsable de l'élaboration du plan ou du programme paraît constituer à la fois une fragilité juridique importante du dispositif (…) et une atteinte grave à sa crédibilité, au regard de son objectif de contribution à la bonne information du public", analyse l'Autorité qui conclut que "cette situation n'est à l'évidence pas conforme à l'esprit de la directive" qui justifie le projet de décret.
L'AE "tient à souligner (…) l'importance particulière de [cette] remarque", rappelant que l'esprit de la directive européenne est de faire en sorte que l'autorité chargée de valider certains plans et programmes consulte une autorité environnementale autonome.
A cette occasion, l'AE rappelle l'existence du décret 2011-2019 relatif aux études d'impact des projets qui est, selon elle, plus conforme à l'esprit de la directive. Concrètement, le décret de 2011 distingue "dans la majeure partie des cas" d'une part le préfet de région, auquel incombe le rôle d'autorité environnementale, et d'autre part le préfet de département, qui est l'autorité décisionnelle pour le projet concerné.
Cette fois-ci, le projet de décret mis en cause "s'écarte de [la] logique [retenue pour le précédent décret] sur un point très sensible", juge l'AE, qui explique que dans de nombreux cas, le texte implique que "l'autorité environnementale est la même [l'AE souligne le terme, ndlr] autorité que celle qui arrête le programme (…) au niveau national (…) comme au niveau local".
Mines, eau et risques
Au total ce sont entre 11 et 14 autorités environnementales désignées pour des plans ou programmes, sur un total de 51, qui souffriraient de ce défaut. Des activités minières à la gestion de l'eau, en passant par la prévention des risques et l'aménagement du territoire, ce sont certains des programmes emblématiques, et souvent sources de conflits, qui se voient attribuer une autorité environnementale identique à l'autorité décisionnelle. C'est notamment le cas des plans de prévention des risques (PPR) miniers, des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), des programmes d'actions régionaux pour la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, des plans de gestion des risques d'inondation, des schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie (SRCAE), des schémas régionaux des infrastructures de transport ou encore des schémas départementaux d'orientation minière (Sdom).
Et l'Autorité de relever quelques "situations paradoxales". C'est le cas des Sdage, qui serait élaboré par les Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), avant de faire l'objet d'une évaluation environnementale réalisée par ces mêmes Dreal. Quant au Sdom Guyanais, l'AE rappelle qu'il a été élaboré et validé par la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal) "dans un climat politique, socioéconomique et environnemental d'une grande complexité". Enfin, s'agissant des PPR, l'AE soulève le caractère ubuesque de la situation : "le préfet de département (…) se consulte lui-même, attend sa réponse deux mois, ...et ne peut faire un recours contentieux contre sa propre décision qu'après un recours administratif préalable auprès de lui-même !".
Absence totale de crédibilité
Pour appuyer son analyse du projet de décret, l'AE revient sur un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), rendu le 20 octobre 2011 et faisant suite à une demande de décision préjudicielle relative à la désignation de l'autorité environnementale prévue par la directive 2001/42/CE.
"Cet arrêt invite, pour le moins, à écarter la possibilité de confier les deux fonctions à la même personne (préfet de région ou de département selon le cas)", indique l'AE, ajoutant qu'"au-delà de l'argumentation juridique, on enlèverait dans de tels cas toute crédibilité à un dispositif où l'autorité décisionnelle se consulte elle-même et rend public son propre avis sur son projet, ce qui ne correspond manifestement pas à l'esprit de (…) la directive".
Quant à la recommandation de l'AE, elle paraît relativement simple : s'inspirer du précédent décret conformément au principe posé par l'arrêt de la CJUE afin d'assurer le principe de séparation au moins fonctionnelle, sinon institutionnelle, entre l'autorité environnementale et l'autorité chargée de la décision.