La sécheresse et la famine continuent de s'étendre dans la Corne d'Afrique frappant la Somalie, le Kenya, Djibouti et l'Ethiopie et gagnant l'Ouganda. En dépit des fortes pluies qui se sont abattues en Afrique de l'Est en fin de semaine dernière, la situation continue de menacer 12,4 millions de personnes, dont près de 3,7 millions en Somalie. Cette crise humanitaire a déjà provoqué ''des dizaines de milliers de morts'', a averti ce vendredi 5 août l'organisation de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). L'agence a réitéré sa demande d'intervention ''immédiate'' dans la région.
La famine prolongée jusqu'à fin 2011
La situation reste des plus critiques en Somalie. L'ONU a décrété mercredi 3 août l'état de famine dans trois nouvelles régions du sud du pays : le corridor d'Afgooye, la capitale de la Somalie, Mogadiscio et la région du Moyen Shabelle (les districts de Balaad et d'Adale). La famine est déclarée lorsque plus de deux personnes sur 10.000 meurent chaque jour et que les taux de malnutrition aiguë dépassent les 30 %. Ces territoires viennent s'ajouter aux deux régions - Bakool et le Bas-Shabelle - où la famine a déjà été décrétée le 20 juillet dernier. Seuls deux ponts aériens vers la Somalie ont depuis été effectués par le Programme Alimentaire mondial (PAM) pour aider les victimes du pays, en proie à une guerre civile et où l'accès aux agences et aux ONG y est restreint.
Or les pays donateurs ne semblent pas plus se presser face à la crise. Une nouvelle réunion organisée par l'Union africaine, prévue le 9 août à Addis-Abeba au Kenya, a été repoussée au 25 août….
Mais la situation de crise risque encore de s'aggraver. La famine ''devrait s'étendre à toutes les régions du sud de la Somalie dans les quatre à six semaines à venir et persistera vraisemblablement au moins jusqu'en décembre 2011", a d'ores et déjà prévenu la FAO.
La volatilité des prix et les agrocarburants pointés du doigt
"La crise dans la Corne d'Afrique est la plus grave crise de sécurité alimentaire dans le monde aujourd'hui", estime l'agence de l'ONU. D'autant que la hausse des prix records alimentaires est venue aggraver une situation déjà alarmante de famine dans la région. Dans la ville somalienne de Baidoa, le prix du sorgho était en hausse de 240 %, tandis que celui du maïs jaune progressait de 117 % à Jiiga, en Éthiopie. Et dans la ville kenyane de Mandera, le prix du maïs blanc augmentait de 60 %, selon l'organisation. La hausse des prix alimentaires a conduit à la pauvreté 44 millions de personnes depuis juin 2010, d'après la Banque mondiale.
Dans un rapport publié mi-juillet, le groupe d'experts de la FAO sur la sécurité alimentaire met particulièrement en cause la spéculation et la production d'agrocarburants sur la volatilité des prix. Les experts pointent le ''boom des agrocarburants'' de première génération (dont biodiesel et bioéthanol) ces dix dernières années, qui ''a eu un impact majeur sur l'évolution de la demande mondiale en céréales et huiles végétales''. Cette production entre en concurrence avec les cultures alimentaires. L'industrie des agrocarburants utilise aujourd'hui ''près de 40 % de la production de maïs aux Etats-Unis et les deux tiers de la production d'huile végétale de l'Union européenne''. Le Brésil et les Etats-Unis produisent conjointement plus de 75 % de l'approvisionnement en éthanol dans le monde. Tandis que l'UE produit près de 80 % du biodiesel mondial dont près de la moitié provient d'Allemagne.
Les agrocarburants industriels ''soulignent la tension entre une demande potentiellement illimitée (dans ce cas pour l'énergie) et les contraintes d'un monde aux ressources finies'', estiment les experts. La FAO dénonce les politiques de soutien aux agrocarburants aux Etats-Unis et dans l'UE qui figurent aussi parmi les plus gros consommateurs. Ces soutiens ''ont créé un choc de la demande considéré comme l'une des causes principales de la hausse des prix internationaux des denrées'' survenue déjà en 2007 et 2008. Ces soutiens publics sont estimés à 5,6 milliards d'euros en Europe et aux Etats-Unis. Or, l'ex Rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, Jean Ziegler avait déjà demandé en 2008 d'imposer un moratoire de cinq ans sur les biocarburants afin de maîtriser l'augmentation des prix. ''Compte tenu des rôles majeurs joués par les agrocarburants en détournant les denrées en faveur de l'énergie'', les experts de la FAO demandent aux gouvernements ''d'abolir leurs objectifs de production'' et ''de supprimer les subventions''. La taxation des agrocarburants pourrait également ''devenir une solution nécessaire pour maintenir un minimum de stabilité sur le marché international des aliments'', préconise la FAO.
Si l'agence onusienne dénonce l'intérêt des agrocarburants de première génération, elle plaide en revanche en faveur de la production d'agrocarburants de seconde génération à partir de résidus de récolte, ce qui permettrait de ''conjuguer les systèmes de production alimentaires et d'énergie''. Mais ce type d'agrocarburants n'arrivera sur le marché de l'UE qu' à partir de 2017, conformément à la directive sur les EnR…
Investir dans l'agriculture durable
L'organisation exhorte également les gouvernements à enrayer la spéculation via la régulation des marchés agricoles. Les experts appellent aussi les Etats à passer d'une agriculture intensive à une agro-écologie, qui excluent les intrants pour assurer la sécurité alimentaire mondiale, et ''investir dans la recherche dans une agriculture durable''. Pour le Directeur général de la FAO, Jacques Diouf, ''dans le contexte actuel du marché, la volatilité des prix pourrait demeurer une caractéristique des marchés agricoles. Des politiques cohérentes s'imposent donc afin de réduire la volatilité et d'en limiter les retombées négatives. La principale solution au problème sera d'accroître l'investissement dans l'agriculture et de favoriser le développement rural dans les pays en développement, où vivent actuellement 98 % des personnes qui souffrent de la faim et où la population devrait s'accroître de 47% au cours des prochaines décennies''.
La mise au point de semences résistantes à la sécheresse, l'amélioration des systèmes de production agricole et animale dans les zones arides, le développement des infrastructures d'irrigation, de meilleures installations de stockage et une gestion plus efficace des ressources en eau et en pâturages figurent parmi les mesures ''à long terme'' préconisées par la FAO pour répondre à la famine.