Métaux lourds, pesticides, médicaments, phénols, phtalates et autres perturbateurs endocriniens… Les produits chimiques sont aujourd'hui omniprésents dans l'environnement, et n'épargnent pas les eaux douces et marines d'Europe. C'est le propos d'un rapport publié le 14 juillet par l'Agence européenne de l'environnement (AEE), qui met en lumière les nouveaux défis posés par ces substances souvent dangereuses.
Ainsi, une étude du Joint research center de la Commission européenne a cherché 60 substances dans 122 rivières et 164 points d'eau souterraine. Résultats : 60% des rivières analysées et 25% des eaux souterraines cumulaient l'ensemble des substances. Près d'un tiers de ces nappes contenaient un pesticide dépassant la norme européenne de 0.1 microgramme par litre. Aux premiers rangs de ces substances chimiques arrivent, dans les rivières, un tensio-actif (acide nonylphenoxyacetic), un anti-corrosif (benzotriazole) et un antiépileptique (carbamazepine), tandis qu'un antalgique (ibuprofen), un antibiotique (sulfamethoxazole) et un herbicide (isoproturon) figurent à très hautes doses dans les eaux souterraines.

Dans les eaux marines, malgré un recul certain des substances chimiques, les teneurs en PCB restent préoccupantes, notamment sur toutes les côtes françaises. Quant au mercure par exemple, les émissions ont diminué de 75% en mer du Nord. Mais ce polluant est très persistant, et voyage vers des zones où les activités humaines sont pourtant limitées. Ainsi au Groenland, 75% des femmes analysées concentraient dans leur sang des taux en mercure bien supérieurs à la norme américaine.
Impacts sanitaires et environnementaux
Se pose donc la question de l'impact de ces substances sur la santé humaine, notamment via l'ingestion de poissons et d'eau potable. Il en est ainsi des effets des perturbateurs endocriniens, dont les effets sont aujourd'hui de mieux en mieux documentés : ils influeraient, chez l'homme, sur le nombre de spermatozoïdes, les malformations génitales, l'altération des fonctions sexuelles et du développement neuronal, l'obésité ou encore le cancer, et ce particulièrement lors d'une exposition très précoce.
Ces impacts sont tout aussi probants chez les organismes aquatiques. Ainsi, ces substances posent des problèmes de fertilité et donc de survie de certaines espèces, telles que le poisson bourbillon : dans un affluent pollué du Pô italien, 50% des individus présentent des gonades indifférenciées sexuellement. Les pesticides sont également en cause dans la disparition de nombreuses espèces de macro-invertébrés des rivières, tandis que les médicaments causeraient divers troubles : effets négatifs sur les branchies et les reins des truites ici, déclin de populations d'invertébrés là, ou encore résistance accrue de certaines bactéries. Autre exemple : le traitement contre des infections fongiques impacterait des algues unicellulaires à la base de la chaîne alimentaire océanique.
Si les médicaments sont encore peu pris en compte en tant que polluants émergeants, d'autres sources de contamination sont tout aussi ignorées. C'est le cas des produits cosmétiques, crèmes, parfums, shampoings… Ainsi, les filtres UV de crèmes solaires auraient des effets sur les oestrogènes des poissons et le blanchissement du corail. Autres polluants émergeants : les nanoparticules. Elles favoriseraient la bioaccumulation de substances dangereuses, telles que le cadmium, qui se fixerait alors davantage dans l'organisme des poissons.
Une législation en retard sur les nouveaux défis
Malgré une législation européenne relativement fournie, les produits chimiques mettent les Etats face à des défis émergeants. Certes, l'Europe s'est dotée d'une directive IPPC (Integrated pollution prevention and control), d'une législation contre les PCB, de l'interdiction du Tributyltin (TBT, biocide), ou encore de la directive Environmental quality standards (EQSD). Autant de mesures qui ont pour ambition de réduire les émissions de substances dangereuses jugées prioritaires. Plus récemment, la directive Reach cherche à mieux informer et à conférer plus de responsabilité aux industriels pour restreindre ces produits chimiques. Enfin, le registre "European pollutant release and transfer " inventorie les sources et la diffusion de substances chimiques prioritaires par les industriels, mais reste, selon l'AEE, insuffisamment complété.
En dépit de ces mesures, les doses de produits chimiques restent donc très préoccupantes dans les eaux européennes. Et ce tout particulièrement pour les polluants persistants, qui demeurent dans les mers et rivières bien après les mesures de réduction de leurs émissions. D'autant que l'AEE pointe la sous-estimation de certaines de ces substances hydrophobes, qui s'accumulent davantage dans les sédiments et les organismes vivants que dans les eaux où elles sont mesurées.
Mis à part la nécessaire prise en compte des polluants émergeants, l'agence préconise également de mieux considérer les potentiels effets cocktails de ces différentes substances combinées dans un même espace aquatique. Autre sujet de préoccupation croissant : le réchauffement climatique. Ce dernier complexifie encore la question des produits chimiques dans l'eau, via divers facteurs. Tout d'abord, l'augmentation des précipitations gonfle l'afflux des polluants des villes et de l'agriculture dans les eaux souterraines, les rivières et les mers. L'érosion des côtes va également libérer davantage de ces substances dans les océans. A l'inverse, les sécheresses, de plus en plus fréquentes, diminuent le cours des rivières et donc leur capacité de dilution des polluants. La hausse de la température des eaux peut également interagir avec les polluants, impactant notamment le système immunitaire des organismes aquatiques. Enfin, l'acidification des océans due au CO2 modifie la spéciation des métaux dans ces eaux, et donc leur toxicité pour les organismes vivants.
Pour remédier à la concentration de produits chimiques dans les eaux, l'AEE évoque une amélioration de leur traitement, notamment pour le surplus des eaux en villes lors de fortes précipitations. Mais l'enjeu majeur reste, pour l'agence, de réduire à la source ces substances dangereuses, notamment en encourageant la chimie verte et en instaurant une première législation européenne dans ce secteur.