Si l'atteinte de l'objectif du bon état des masses d'eau semble un défi de taille, la réduction des effectifs ainsi que des moyens des agences de l'eau risque de ne rien arranger, selon un audit réalisé par une mission du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD).
Cet exercice est le premier du genre depuis la création des agences de l'eau par la loi de 1964. « Cet audit servira notamment à préparer les futurs arbitrages sur les plafonds d'emplois de ces établissements publics et les orientations à donner aux 12es programmes d'intervention », a indiqué la ministre de la Transition écologique dans sa lettre de mission. Des décisions attendues. Car, entre 2012 et 2021, les six agences ont vu leur plafond d'emplois se rétracter de 21,1 %, dans un objectif de maîtrise des dépenses publiques. Une grande partie des agents se sont dans le même temps mobilisés pour défendre le modèle des agences de l'eau. Celles-ci jouent en effet un rôle important pour le maintien de la qualité de l'eau : elles soutiennent financièrement les actions engagées par les collectivités et les acteurs économiques, dont le secteur agricole, afin de préserver la ressource. Mais la réduction des effectifs menacerait la bonne conduite des missions.
Une nécessité de visibilité pour les emplois au-delà de 2022
« Malgré les efforts d'optimisation réalisés et les réorganisations successives, les moyens humains mis à la disposition des agences apparaissent de moins en moins en adéquation avec les missions plus étendues et les objectifs plus ambitieux qui leur sont assignés, sans qu'un terme à ce processus ne puisse être identifié », pointe la mission du CGEDD.
Les agences ont, en effet, progressivement vu leurs missions élargies à la mer et à la biodiversité ainsi qu'aux enjeux liés au changement climatique. « Les éléments qualitatifs analysés et les témoignages recueillis conduisent la mission à considérer qu'une poursuite des réductions d'effectifs, à missions constantes, conduirait, d'une part, à accroître les tensions au sein du personnel des agences, générateurs de risques psychosociaux (RPS) et de démobilisation, et, d'autre part, à handicaper la capacité des agences à atteindre les objectifs fixés, en particulier l'atteinte du bon état écologique des masses d'eau aux échéances DCE [directive-cadre sur l'eau], générant ainsi un risque de contentieux européen à l'encontre de la France », avertit notamment la mission. Celle-ci recommande de fournir une visibilité pluriannuelle sur les schémas d'emplois au-delà de 2022.
Par ailleurs, pour la mission, le quasi-statut du personnel des agences, de part « son plafonnement salarial et sa rigidité », freine les recrutements. « Il en résulte une capacité quasi-nulle à acquérir par recrutement externe les compétences nouvelles correspondant à l'élargissement du périmètre d'intervention (biodiversité sèche, adaptation au changement climatique, etc.) ou à un renforcement d'expertise (économie, informatique, etc.), note le CGEDD. Toutes les agences ont donc privilégié l'évolution de poste de certains agents en place et l'évolution de leurs compétences. » Il appelle donc à un assouplissement de ce statut pour faciliter la mobilité des agents et permettre le recrutement d'agents contractuels sur des compétences rares.
Une réduction des moyens d'intervention
« La capacité totale d'aide des agences au titre du 11e programme s'inscrit en diminution par rapport au programme précédent, de l'ordre de 6 % (mais en augmentation par rapport au 9e programme), ce qui, aggravé par les réductions d'effectifs, conduit certains administrateurs des agences à juger cette capacité insuffisante pour progresser significativement vers les objectifs de bon état des masses d'eau », relève la mission. La crise sanitaire de la Covid-19 a toutefois un peu rebattu les cartes. Pour aider le secteur de l'eau dans la reprise de ses activités après le confinement, trois phases d'un plan de soutien ont en effet été décidées à travers les agences de l'eau. « Les réductions significatives de moyens d'intervention (hors agence AP [Artois-Picardie]) ont été pour partie compensées dans la première partie du 11e programme par la mise en place des plans de reprise et de relance, détaille le CGEDD. Même si leur ciblage, très majoritairement sur le petit cycle, a pu poser une difficulté stratégique aux agences, en remettant en cause les priorités qui leur avaient été fixées par les lettres de cadrage de 2017 et 2018, et en mettant les agences en difficulté dans leurs relations avec les collectivités territoriales. »
- Instaurer une démarche formalisée de contrôle interne,
- Rééquilibrer les effectifs entre les agences,
- Assouplissement du quasi-statut des agences pour faciliter la mobilité des agents,
- Obtenir une visibilité pluriannuelle de leurs schémas d'emplois,
- Inscrire, à l'ordre du jour des réunions des secrétariats techniques de bassin, le suivi des objectifs prioritaires des programmes de mesure et de leur mise en œuvre,
- Révision des objectifs liés à la directive-cadre européenne sur l'eau,
- Réformer rapidement le dispositif de redevance pour pollution domestique,
- Assurer une plus juste répartition entre usagers de la charge de la redevance pour prélèvements sur la ressource.
Une évolution rapide des redevances pollution domestique nécessaire
Pour accompagner l'élargissement des missions des agences, notamment à la biodiversité terrestre, la question d'une nouvelle redevance sur l'artificialisation des sols a été posée. Le rapport des parlementaires Christophe Jerretie et Alain Richard a dernièrement proposé une piste de réponse à travers la taxe d'aménagement.
Des réflexions sont également en cours pour une réforme de la redevance pollution domestique, mais aussi celle pour modernisation des réseaux de collecte. « La redevance pour pollution domestique ne s'inscrit pas dans la logique du principe pollueur-payeur et n'incite pas à investir dans des systèmes d'assainissement performants, regrette le CGEDD. Son assiette, fondée sur la part "eau potable" de la facture d'eau des abonnés domestiques, ne tient pas compte du niveau réel de pollution rejeté au milieu naturel, ni de l'intensité des pressions exercées sur ce même milieu. » La mission incite donc à une réforme rapide du dispositif.
Elle rappelle également que l'usager domestique est le principal contributeur du budget des agences, en acquittant 86 % du produit total des redevances. « Pour un prélèvement dans une même ressource (nappe souterraine ou cours d'eau), dans une zone où la tension sur la ressource est avérée (catégorie 2), l'usager domestique est susceptible de payer de deux à huit fois plus de redevance au mètre cube que l'usager agricole irriguant, alors que ce dernier, par construction, ne prélève de l'eau qu'en période d'étiage, ajoute le CGEDD. Qui plus est, c'est aussi dans les bassins méridionaux que cet écart est le plus fort (de 1 à 5 en AG, de 1 à 8 en RMC [Rhône-Méditerranée-Corse]) ». De la même manière, pour la mission, la représentation actuelle des consommateurs dans la composition des comités de bassin reste trop faible. « Ils ne disposent que d'un sixième des voix du deuxième collège, constate la mission. Cette faiblesse de la représentation citoyenne pose réellement question. »
Par ailleurs, pour la mission, dans un contexte de changement climatique, les taux de redevance pour prélèvement dans la ressource en eau ne sont pas assez utilisés comme un signal pour les réduire. « Au contraire, les bassins méridionaux (AG et RMC), qui devraient avoir les taux les plus élevés, ont les plus bas », note-t-elle. Toutefois, la mission rappelle que l'atteinte de l'objectif du bon état des masses d'eau pourrait également être entravée par d'autres politiques.
Un risque de contentieux européen
« Les interventions des [agences de l'eau] ne peuvent, à elles seules, notamment du fait d'une cohérence insuffisante entre les modalités de mise en œuvre en France de la politique agricole commune (PAC) et les objectifs de la DCE concernant les enjeux de résorption des pollutions diffuses agricoles par les produits phytosanitaires et les nitrates, et en l'absence de pressions réglementaires de l'État sur les acteurs économiques et les collectivités, résoudre l'ensemble des difficultés de mise en œuvre des actions », note toutefois le CGEDD.
Pour prévenir le risque de contentieux européen en cas de non-atteinte des objectifs fixés de bon état écologique des masses d'eau en 2027, la mission préconise, lors de la mise à jour des programmes de mesure à mi-parcours, de poursuivre la réflexion de révision des objectifs DCE vis-à-vis de la Commission européenne (demande de dérogations, fixation d'objectifs moins stricts) pour ne pas s'exposer davantage.