Le Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) a remis lundi 22 septembre au ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll un rapport (1) démontrant "les voies de contributions possibles" de l'agriculture et de la forêt à la lutte contre le changement climatique. Alors que se tient le Sommet sur le Climat de l'ONU ce mardi 23 septembre à New York, le CGAAER a chiffré le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) par ce "secteur des terres" (agriculture, forêts, sols, usages des terres).
Faire converger adaptation, atténuation et sécurité alimentaire
"Comme toute activité économique et humaine, l'agriculture a une responsabilité dans la réduction des gaz à effet de serre mais elle est aussi une solution dans cette réduction", a déclaré Stéphane Le Foll devant la presse. Il a rappelé les nouvelles pratiques "combinant performance économique et écologique" portées par le projet Agro-écologique français lancé fin 2012 et la loi d'avenir agricole adoptée définitivement le 11 septembre. Il s'agit "d'un début. Il y a des potentialités et de réels objectifs (…) en matière de stockage de carbone (…) et de défense de la biodiversité" sans "diminuer" les productions agricoles. Ce rapport "assure la mutation agro-écologique", a ajouté le ministre. Il a salué "le travail préparatoire" engagé par le CGAAER dans la perspective de la 21ème Conférence (COP21) sur le Climat fin décembre 2015 à Paris. Ce rapport est "une première étape" et sera suivi d'un colloque scientifique national en novembre sur le sujet, a annoncé le ministre.
Le rapport est une "mise au point" des chiffres disponibles sur les émissions de GES du secteur et son potentiel d'atténuation. Il formule "des orientations et des pistes à développer par les politiques publiques", a expliqué Bertrand Hervieu, vice-président du CGAAER.
En France, l'agriculture émet environ 100 millions de tonnes équivalent CO2 (carbone) par an dont 45% dus au méthane (CH4) issu de l'élevage et 45% au protoxyde d'azote (N2O) avec principalement la fertilisation azotée, a précisé Marie-Laurence Madignier, co-auteure du rapport. Si l'on tient compte des émissions liées aux consommations d'énergie, l'agriculture française contribue à hauteur de 20% aux émissions nationales.
L'agriculture et la forêt françaises sont donc appelées à contribuer à l'effort général de réduction des émissions des GES et "adapter" leurs modes de production au changement climatique, a souligné Mme Madignier. Objectif : assurer la sécurité alimentaire et "participer à la nécessaire substitution des matières premières non renouvelables". Si ce secteur "est émetteur de gaz à effet de serre, il est aussi, grâce à la photosynthèse, une pompe à carbone sobre en énergie et génératrice de valeur et d'emplois. Il constitue ainsi un amortisseur efficace de la dérive climatique de la planète". D'autant que selon le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) paru en avril 2014, le "secteur des terres" pourrait jouer "un rôle majeur" en contribuant de 20 à 60% au potentiel d'atténuation des émissions de GES d'ici 2030, rappelle-t-elle.
Stockage carbone et bioproduits du bois
Le CGAAER a identifié quatre leviers d'actions pour réduire d'ici 2030 les émissions directes de N2O et CH4 et "mieux valoriser les effets de stockage carbone ou/et de substitution" à des énergies et matériaux fossiles.
Pour le secteur agricole, il s'agit de "lutter contre les changements d'usage des terres" et de favoriser les pratiques "agro-écologiques". Cela passe par la réduction des émissions de méthane issues des élevages, notamment par la promotion de la méthanisation, une gestion adaptée des surfaces cultivées, les prairies, la préservation de la matière organique des sols ou encore le stockage additionnel de carbone dans les sols (semis direct, allongement des rotations…), énumère le rapport.
Les engagements déjà pris par la France
Dans le cadre du Paquet Energie Climat adopté en 2008, la France s'est engagée à réduire de 14% les émissions de GES du secteur agricole entre 2005 et 2020. Le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) 2011-2015 vise notamment à promouvoir une agriculture efficiente en eau. A partir de 2015, 30% des aides directes de la Politique agricole commune seront conditionnées à la mise en place de mesures d'écologisation dans les exploitations (diversification des cultures, maintien des prairies permanentes et maintien des surfaces d'intérêt écologique) sur au moins 5% des terres arables.
Elle a également souligné la nécessité du "reboisement" des forêts et d'une gestion sylvicole adaptée (agroforesterie). Les forêts françaises permettent de stocker environ 75 Mt CO2/an. Une augmentation "supplémentaire" de récolte de bois de 20 millions de mètres cube et le reboisement de 50.000 hectares par an d'essences "à forte croissance" pourraient réduire 5Mt d'émissions de CO2 par an en "stockage" à l'horizon 2030, estime le rapport. De même, la substitution d'énergies et de produits non renouvelables par des bioproduits du bois (bois énergie, biocarburant de seconde génération, matériau bois, chimie verte) pourrait doubler et représenterait "un potentiel d'émissions évitées dans d'autres secteurs (transports, construction, industrie, énergie…)" de 40 Mt CO2 /an.
Il s'agit, enfin, de réduire de 20% le gaspillage alimentaire - "qui touche 30% de notre production". Ce qui permettrait d'économiser les émissions sur toute la chaîne alimentaire à hauteur de 10 Mt CO2 eq/an.
Au total, ces quatre leviers permettraient d'économiser 50% des émissions du "secteur des terres" en 2030, estime le CGAAER. Soit une diminution de 25 millions de tonnes de CO2 équivalent émis par an. L'adaptation de l'agriculture et de la forêt au changement climatique "nécessite un raisonnement local de la gestion des territoires, la mobilisation de l'eau nécessaire et l'adaptation des espèces par la génétique" [sélection naturelle, cultures in vitro, mutagénèse, …ndlr], a conclu Marie-Laurence Madignier.