Les sénateurs démarrent, mardi 16 mai, l'examen d'une proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France. Déposée par les rapporteurs de la mission d'information éponyme (Laurent Duplomb, Les Républicains, Serge Mérillou, socialiste, et Pierre Louault, centriste) et cosignée par 170 sénateurs, ce texte présente un certain nombre de mesures pour relancer la compétitivité de l'agriculture française, en luttant notamment contre la « surréglementation en matière agricole ». De fait, le texte revient sur de nombreuses mesures adoptées au cours de la dernière décennie pour réduire l'impact de l'agriculture sur l'environnement et la santé.
Au menu : la possibilité de suspendre une décision de retrait de produits phytosanitaires engagée par l'Agence de sécurité sanitaire (Anses), la réintroduction des dérogations pour l'épandage de pesticides par drone, la suppression de l'interdiction des rabais pour les produits phytosanitaires ou de la séparation des activités de vente et de conseil, ou encore la mise en place d'un statut d'intérêt général majeur pour les retenues d'eau à usage agricole, autrement dit les controversées mégabassines.
Examiné le 10 mai par la commission des affaires économiques, ce texte a été largement adopté. Alors qu'il arrive en séance publique, l'association Générations futures appelle les sénateurs à s'y opposer. « Favorable à un modèle intensif, [ce texte] vise, entre autres, à maintenir notre agriculture dans une dépendance aux intrants de synthèse, particulièrement aux pesticides. À l'heure où les concertations pour la future loi d'orientation et d'avenir agricoles (LOA) se poursuivent et alors que cette LOA doit être débattue à l'automne, il est impensable qu'une telle proposition de loi soit adoptée. » Le groupe Écologiste a, pour sa part, déposé une motion de censure, dénonçant des « régressions sociales et environnementales majeures ».
Phytosanitaires : des interdictions à justifier
Le titre III de la proposition de loi s'intitule « lutter contre la surréglementation en matière agricole ». Il vise à « veiller à ce que des normes législatives ou réglementaires allant au-delà des exigences minimales des normes européennes ne soient pas adoptées, sauf lorsqu'elles sont justifiées et évaluées avant leur adoption ».
Ainsi, l'article 13 prévoit que le ministre de l'Agriculture puisse s'opposer à une décision de l'Anses d'interdire un produit phytosanitaire. Il devra motiver cette décision en présentant une balance détaillée des risques sanitaires, environnementaux et de distorsion de concurrence avec un pays européen. L'efficience des solutions alternatives devra également être évaluée.
Par ailleurs, l'article prévoit que le retrait d'autorisation ou la restriction d'utilisation d'un produit phytosanitaire devra nécessairement entraîner le financement, par l'État, d'un accompagnement technique et de recherche.
Enfin, dans le cas du maintien d'un retrait, un « délai de grâce » de six mois est systématiquement mis en place pour la vente et la distribution, et d'un an supplémentaire pour l'élimination, le stockage et l'utilisation des stocks existants. Autrement dit, des produits phytosanitaires interdits car jugés dangereux pour l'environnement et/ou la santé pourront continuer à être écoulés pendant un an et demi…
L'article 12 demande au Conseil d'État de veiller à ce que chaque nouveau projet ou proposition de loi ne comporte pas de dispositions « excédant les exigences minimales des normes européennes ». Dans le cas où de telles dispositions ont été identifiées, le Gouvernement devra s'en justifier auprès du Parlement, « au plus tard sept jours avant l'examen du texte », en évaluant les conséquences financières de telles dispositions et en présentant des dispositions similaires éventuellement adoptées dans les autres pays européens. Le Gouvernement devra en faire de même lorsque la mesure est adoptée par voie réglementaire, au moment de la consultation publique.
Le texte souhaite également qu'une partie des ressources du livret A, du livret Développement durable mais aussi qu'un nouveau livret « Agri » permettent de financer des investissements matériels et immatériels dans les structures agricoles et agroalimentaires, ou dans le soutien à l'accès au foncier agricole des jeunes agriculteurs.
En commission, les sénateurs ont voté en faveur d'un rapport du Gouvernement étudiant la mise en place de clauses miroir, afin que soient interdits d'importation les produits ne respectant pas les normes européennes environnementales et sanitaires.
Vente, conseil et épandage de pesticides
La proposition de loi revient également sur la séparation des activités de vente et de conseil des produits phytosanitaires, décidée en 2017 à l'issue des États généraux de l'alimentation. L'objectif était de rendre indépendantes les activités de conseil et de les déconnecter de la vente et de la distribution des pesticides.
De la même manière, la loi Egalim avait interdit les remises, rabais et autres ristournes sur ces produits. Mais la proposition de loi souhaite revenir sur cette mesure phare.
Enfin, alors que l'épandage de pesticides par voie aérienne a été interdit, sauf dérogation pour les vignes (à titre expérimental, par drone, sous condition), la proposition sénatoriale souhaite lancer une expérimentation de l'épandage par drone pour cinq ans, sur toute surface agricole présentant une pente supérieure à 30 % ou dans le cadre d'une agriculture de précision sur des surfaces restreintes. L'Anses serait chargée d'évaluer cette expérimentation et de mesurer « les bénéfices liés à l'utilisation de drones pour l'application de produits phytopharmaceutiques en matière de réduction des risques pour la santé et l'environnement ».
Retenues d'eau : un intérêt public majeur et des contentieux réduits
Les sénateurs cosignataires prévoient également de conférer aux retenues d'eau agricole le statut d'intérêt général majeur lorsqu'elles s'inscrivent dans le cadre « d'un usage partagé et raisonné de l'eau ». Ce statut permet notamment de déroger à l'interdiction de destruction d'espèces protégées.
Par ailleurs, les possibilités de recours contre les projets de prélèvements d'eau et les ouvrages associés sont réduites. Les cours administratives d'appel seraient déclarées compétentes en premier et dernier ressort.
Des produits bio et de qualité en… 2025
Enfin, le texte repousse de trois ans l'objectif de 50 % de produits de qualité et de 20 % de produits bios dans la restauration collective publique. Fixée initialement à 2022, cette ambition est reportée à 2025.