Végétalisation, soutien à la biodiversité, gestion des flux d'eau et de déchets : l'agriculture urbaine pourrait participer à la durabilité des villes, selon le Cese. Toutefois, toutes ses formes ne se valent pas et les aides devront en tenir compte.
Quels sont les réels intérêts environnementaux de l'agriculture urbaine ? Ne va-t-elle pas concurrencer son équivalente traditionnelle, rurale ? Le Conseil économique, social et environnemental (Cese), dans un avis présenté mercredi 12 juin, tente notamment de répondre à ces questions. Ce dernier a été adopté à l'unanimité.
Le premier constat de l'institution : l'agriculture urbaine ne correspond pas à une seule réalité et peut prendre une multitude de formes (lire l'encadré Agriculture urbaine : une définition difficile). "Tous les types d'agriculture urbaine ne répondent pas aux enjeux de durabilité des villes, pointe le Cese. Si certains méritent d'être déployés dans le cadre de ce besoin de résilience, d'autres interrogent sur leur cohérence avec cet objectif".
Agriculture urbaine : une définition difficile
"Il apparaît (…) plus adapté de parler d'agricultures urbaines au pluriel tant sont multiples les formes revêtues (…) et les finalités visées ", pointe le Cese dans son rapport. L'institution note qu'en 2004, plus d'une dizaine de définitions différentes de l'agriculture urbaine étaient recensées. Le Cese propose sa propre vision : il considère que l'agriculture urbaine serait "tout acte maîtrisant un cycle végétal ou animal se déroulant en milieu intra-urbain - sur ou dans des bâtiments, des sous-sols ou en pleine terre dans les espaces interstitiels - et faisant le lien avec l'agriculture périurbaine et rurale qui se développe sur les mêmes bassins de vie. Elle se caractérise par la diversité de ses fonctions dont certaines peuvent relever de l'intérêt général : elle peut combiner production alimentaire, finalité sociale (interrelations, insertion, cohésion), environnementale (lutte contre les îlots de chaleur, prévention et valorisation des déchets) et pédagogique (lien alimentation/agriculture, saisonnalité des productions). Des formes marchandes (à finalité essentiellement commerciales) coexistent avec des formes non marchandes (sans vocation commerciale) ".
Pour les projets les plus vertueux, le jeu en vaut toutefois la chandelle, selon le Cese. En réintroduisant de la nature en ville, les villes accèdent en effet à ses
services environnementaux. Dans un contexte de réchauffement climatique, elles pourraient ainsi se doter d'un outil supplémentaire pour lutter contre les
îlots de chaleur.
"A Valence, les températures relevées au sein des espaces verts s'avèrent plus fraîches de 2,5°C par rapport aux températures maximales mesurées en ville", illustre le Cese. La végétalisation permet également de réduire les pollutions : les
eaux pluviales sont infiltrées dans les sols et évitent ainsi d'emporter les dépôts des sols urbains imperméabilisés.
Concernant les particules atmosphériques, le Cese souligne que les arbres ont la capacité d'absorber des polluants et de filtrer des poussières.
Un service de gestion des déchets
Dans certains cas, l'agriculture urbaine utilise un type de sol particulier, reconstitué artificiellement à travers le mélange de différents matériaux : le technosol. Son avantage pour le Cese ? Etant donné qu'il intègre dans sa composition l'utilisation de déchets urbains organiques, il soustrait cette part à un enfouissement ou une incinération.
Autres exemples de recyclage permis par l'agriculture urbaine : le compostage de quartier ou la valorisation par des poulaillers des déchets végétaux et alimentaires urbains.
L'agriculture urbaine peut aussi jouer aussi un rôle dans le renforcement de la biodiversité. "Néanmoins, pour cela, elle doit s'inscrire dans une vision globale de maintien et de création de corridors écologiques et d'habitats favorables aux espèces sauvages locales, en favorisant notamment la diversité floristique ou encore en intégrant des parties non productives et non gérées", modère le Cese.
L'agriculture high-tech en question
Certains projets posent en effet questions. Le Cese met ainsi l'accent sur certaines entreprises qui utilisent leurs productions agricoles comme vitrine et dont l'activité principale mise sur des prestations de services de type conseils. Il s'interroge également sur la durabilité des procédés de culture high-tech. "L'utilisation de nouveaux outils technologiques génère automatiquement une augmentation structurelle de la consommation énergétique, soit directement soit par effet rebond", constate le Cese.
Autre point de vigilance : l'incitation de collectivités à implanter des ruches en ville de façon excessive pourrait entraîner une compétition entre les abeilles domestiques et les polinisateurs sauvages, notamment pour les ressources florales.
Enfin, la ville peut exposer les cultures à des pollutions atmosphériques ou présentes dans les sols. Les agriculteurs urbains devront veiller à s'élever par rapport au niveau de la route ou s'écarter des avenues passantes. L'analyse du sol avant le projet semble également un passage obligé.
Une sélectivité des aides publiques
Pour encourager l'agriculture urbaine "vertueuse", le Cese formule différentes recommandations. Parmi celles-ci : " Il convient de faire preuve de sélectivité pour l'octroi de soutiens publics, quelle que soit leur forme, en prenant en compte la réalité et l'importance des services rendus au bénéfice de la société dans son ensemble", pointe-t-il. Ainsi les projets devraient au moins s'inscrire dans deux des perspectives suivantes : une intégration dans une agriculture déjà présente sur le territoire, des fonctions environnementales mais également sociales. Le Cese souhaite également que soit développé le rôle des arbres dans l'agriculture urbaine, plus particulièrement les fruitiers.
Les outils traditionnellement utilisés pour faciliter l'installation de projets d'agriculture ne sont pas adaptés au contexte urbain. Le Cese appelle à introduire des dispositions pour les aider dans le cadre de la future réforme du droit foncier. Les collectivités peuvent également les soutenir en passant avec les porteurs de projets des conventions-types qui précisent les conditions d'occupation de l'espace public. "Dans cet esprit la Mairie de Paris propose depuis 2015 un permis de végétaliser destiné à obtenir l'autorisation d'implanter par exemple des jardinières sur les trottoirs, souligne le Cese. De telles conventions peuvent également intégrer la mise à disposition de locaux pour l'exploitation (…), voire pour l'habitation de l'agriculteur urbain face à la difficulté de se loger en ville".
Elles peuvent aussi proposer des modalités de contractualisation entre les producteurs agricoles et les restaurants collectifs publics locaux.
Le Cese envisage également une adaptation des règles d'urbanisme : dédier par exemple un pourcentage de terrain à l'agriculture urbaine au sein des plans locaux d'urbanisme. Il vise également des mesures fiscales incitatives.
De la même manière, il souhaite que soient prévues, dès la conception ou la rénovation de bâtiments commerciaux, industriels et administratifs, toutes les conditions nécessaires à l'implantation de ce type de projet : portance des toits, intégration de systèmes de récupération des eaux pluviales, etc.
Il aimerait enfin que l'agriculture urbaine figure dans la formation de professionnels tels que les architectes, urbanismes, ingénieurs du BTP, etc. et que la recherche sur ce sujet soit développée.
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Note Rapport élaboré par :
-Etienne Gangneron, agriculteur, vice-président de la FNSEA, président de l'Agence Bio mais également président de la Chambre d'agriculture du Cher
- Pascal Mayol, ingénieur écologue, membre du Conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot
Article publié le 12 juin 2019