Développer la production d'énergie photovoltaïque au-dessus des champs, le Sénat y croit. Il vient d'adopter une résolution invitant le gouvernement à faciliter le déploiement de cette technologie alliant production d'énergie renouvelable et production agricole. « Cette pratique pourrait répondre aux enjeux agricoles et de développement durable de notre pays : souveraineté alimentaire, reconquête de la biodiversité, production d'énergie renouvelable », estime Jean-François Longeot, sénateur (Doubs – UC) co-auteur de la proposition de résolution avec Jean-Pierre Moga (Lot-et-Garonne – UC).
Selon les chiffres avancés par le sénateur, 50 000 des 437 000 exploitations agricoles sont déjà équipées de solaire, et ce nombre pourrait tripler d'ici à 2030. Mais il ne faudrait pas que cela se fasse au détriment des terres agricoles, dont la superficie se réduit comme peau de chagrin : un quart des surfaces agricoles ont été perdues en vingt ans. « Nous croyons à une coproduction agricole et énergétique. L'agriculture y a intérêt : amélioration des rendements et du revenu des agriculteurs, réduction de l'évaporation et du stress hydrique, mais aussi du stress lumineux et du stress thermique. La production agricole sera améliorée par cette synergie », argumente Jean-François Longeot. Encore faut-il faciliter le déploiement de l'agrivoltaïsme. Les auteurs de la résolution ont identifié trois freins qu'il est important de lever, selon eux.
Bien définir l'agrivoltaïsme
En 2015, l'Ademe estimait que 13 % de la production photovoltaïque était issue du monde agricole. Ce développement s'est surtout traduit par la pose de panneaux sur les hangars, au sol sur des prairies et sur des serres maraichères. Plusieurs types d'installations sont donc présents dans les exploitations, couplés de façon plus ou moins importante avec la production agricole, une occupation inégale des terres et des risques variables de conflits d'usage. « Depuis peu, les serres solaires et l'agrivoltaïque dynamique connaissent un certain essor et démontrent peu à peu les synergies possibles entre production agricole et production photovoltaïque (PV) », estimait l'Opecst, dans un rapport publié, en juillet 2021, et intitulé « L'agriculture face au défi de la production d'énergie ».
Accroître les volumes de projets via des appels d'offres spéciaux
Les sénateurs estiment que l'agrivoltaïsme manque de leviers incitatifs dans le cadre des appels d'offres solaires gérés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). « De tels appels d'offres ne sont qu'insuffisamment orientés vers des installations innovantes, caractéristiques de l'agrivoltaisme », estiment-ils. « Il faut développer les systèmes de soutien », estime Jean-François Longeot, qui rappelle que le projet de cahiers des charges des appels d'offres pour la période 2021-2026 prévoit une enveloppe de 10 GW pour le photovoltaïque au sol, 5,5 GW pour le photovoltaïque sur bâtiments et, « seulement », 0,7 GW pour le photovoltaïque innovant.
La résolution conseille au gouvernement de sortir les projets agrivoltaïques des appels d'offres « solaire innovant » de la CRE et de les rassembler dans une famille spéciale au sein des appels d'offres. Néanmoins, lors du débat dans l'hémicycle, si les sénateurs ont reconnu que les aides doivent être mieux ciblées, certains ont rappelé les risques de dérapage. « L'agrivoltaïsme ne doit pas devenir plus rentable que l'activité agricole, au risque d'entraîner un renchérissement du foncier agricole et de favoriser la spéculation, alors que les loyers versés par les énergéticiens sont trois à quatre fois supérieurs au prix des fermages », a ainsi alerté Henri Cabanel (RDSE – Hérault).
S'appuyer sur les aides de la PAC
Et si la politique agricole commune (PAC) pouvait flécher des aides supplémentaires pour les exploitations agricoles qui se lancent dans l'agrivoltaïsme ? C'est l'une des autres pistes mises en avant par la résolution du Sénat afin d'améliorer la rentabilité économique des installations. Actuellement, les projets agrivoltaïques ne sont pas éligibles en raison de leur aspect innovant. Mais les sénateurs estiment qu'il serait légitime qu'ils le deviennent et propose au gouvernement de l'envisager.
Mais pour l'instant, l'option ne semble pas être à l'ordre du jour. En séance plénière, juste avant l'adoption de la résolution, le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, a précisé sa position sur le sujet. Il a ainsi mentionné que le ministère travaillait à l'élaboration d'une doctrine nationale « pour assurer une synergie et non une compétition entre les deux activités ». Il a aussi rappelé que dans le cadre de l'appel d'offres Innovation, seuls les projets à vocation principale agricole sont soutenus. « Mais d'autres projets se développent en dehors de tout appel d'offres public. Il faut donc aller plus loin et poser un cadre réglementaire », estime le ministre. Et d'ajouter le nécessité de « s'assurer de la pérennité dans le temps des activités agricoles, prévoir des mécanismes de contrôle et de sanction en cas de non-respect, pour garantir la préservation du patrimoine foncier agricole ».
Une concertation en cours
Une concertation avec les professionnels de la filière est en cours. Le gouvernement envisage de conditionner un projet photovoltaïque à certains critères tels qu'un impact minimal grâce au maintien d'un couvert végétal durable, l'exclusion de fondations en béton, la réversibilité du projet, l'obligation d'un service rendu par l'installation à l'activité agricole – avec réintégration imposée d'une activité agricole en cas de déprise. Ces critères devront être respectés tout au long de la vie des projets, qui auront été soumis à l'avis préalable obligatoire de la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Les projets ne devront pas, par ailleurs, donner lieu à défrichement.
Le gouvernement entend inscrire ces impératifs dans un texte réglementaire avant d'ouvrir sur cette base les appels d'offres, « pour développer des synergies au service du monde agricole, et non contre lui », selon Julien Denormandie.