Le changement d'affectation des sols affecte les bilans carbone
Concernant les changements d'affectations des sols directs, ''les émissions de GES pour le scénario le plus pessimiste sont conséquentes, et font perdre aux filières leur caractère renouvelable. Pour la palme et la canne à sucre, les autres scénarii pessimistes leur laissent un gain par rapport à la filière fossile, mais le réduisent assez fortement. Le soja est quant à lui très fortement impacté par la prise en compte de ces émissions quels que soient leurs niveaux. Il faut un scénario modéré pour qu'il reprenne un léger avantage sur la filière fossile de référence''.
Les scénarii optimistes montrent quant à eux que des gains supérieurs peuvent être obtenus par ces cultures ''dans certaines conditions''.
Quant aux changements d'affectation des sols indirects, ''les gains calculés sans prendre en compte ces effets indirects pourraient être entièrement annulés si venait à se réaliser la situation la plus pessimiste d'un transfert de production au détriment total des terres en forêt primaire. Les scénarii plus médians laissent un intérêt aux filières esters, mais leurs gains en sont cependant fortement réduits''.
Un premier pas salué par tous mais des interprétations divergentes
La plupart des acteurs souligne l'importance de cette prise en compte du changement d'affectation des sols et la nécessité de poursuivre les recherches sur ce sujet. Cependant, ces premiers résultats sont interprétés de manière divergente.
Pour l'Institut du végétal Arvalis, membre du comité technique de l'étude, ''cette analyse de sensibilité constitue un louable effort pour préciser les enjeux sur cette question. (…) Nous pouvons ainsi constater que ces scénarios extrêmes ne sont par essence pas réalistes, et qu'en conséquence l'effet réel du changement indirect d'affectation des sols est probablement bien inférieur à ce que laissent penser les valeurs extrêmes de l'analyse de sensibilité''.
Les constructeurs automobiles PSA Peugeot Citroën et Renault Sas, membres également du comité technique, regrettent ''que le changement d'affectation des sols ait été peu approfondi en comparaison des processus de fabrication des biocarburants, compte tenu du fait qu'il représente un des principaux points de polémique actuels sur les biocarburants''.
Même sentiment chez Total Raffinage marketing : ''pour le moins, des compléments sur l'impact de l'usage des sols apparaissent nécessaires : la diversité des filières explorées et l'amplitude des résultats observés illustrent le grand degré d'incertitude pesant sur le respect des critères de durabilité des biocarburants. Il est en effet indispensable, pour tous les Etats membres de la Communauté européenne, de pouvoir arbitrer à court terme leurs approvisionnements en biocarburants, sans remettre en question à posteriori la durabilité de ces derniers''.
L'objectif de l'UE doit-il être remis en cause ?
L'étude a le mérite de démontrer que ce sujet, complexe à traiter, mérite des développements ultérieurs. Pourtant, l'Union européenne a fixé un objectif de 10 % de source renouvelable dans les carburants d'ici 2020 (Paquet énergie climat adopté en avril 2009). Les agrocarburants devraient permettre de réaliser une grande part de cet objectif. Mais devant les incertitudes qui planent sur ce sujet, cet objectif est de plus en plus remis en question. Selon FNE, ''cette étude suffit à démontrer qu'en aucun cas les agrocarburants ne représentent une solution pour réduire les émissions de GES du secteur des transports routiers''. Pour Lionel Vilain, conseiller technique de la fédération, ''l'incorporation obligatoire de 10 % d'agrocarburants dans les carburants conventionnels en Europe va se traduire par une déforestation accélérée des forêts brésiliennes, malaisiennes et indonésiennes''.
Pour le Réseau Action Climat, il faut agir vite car ''des statistiques et des documents très officiels de la DG des Douanes montrent sans aucune ambiguïté l'énorme augmentation depuis 2007 des importations des huiles de palme, de soja et de colza ainsi que des graines de colza et de tournesol, augmentation liée à l'utilisation croissante du colza cultivé en France pour la production d'agrocarburants à partir du colza''.
Devant les levées de boucliers, le Parlement et le Conseil européens avaient demandé à la Commission de présenter fin 2010 un rapport sur l'impact des biocarburants en termes de changements d'affectation des sols indirects. Une première étude a été publiée le 25 mars par l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri). Selon les résultats de cette étude, une part de 5,6 % de biocarburants de première génération dans la consommation des transports européens ne présenterait pas de risque pour l'environnement et le prix de l'alimentaire.
De son côté, le ministre de l'Agriculture Bruno Le Maire, en déplacement sur le site de Saipol/Diester Industrie (groupe Sofiproteol) à Grand-Couronne le 8 avril, a réaffirmé la détermination de la France à atteindre en 2010 une part de 7 % de biocarburants dans les carburants routiers.
Le débat est loin d'être clos.