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AccueilAlain CelzardRévolution verte : des matériaux de haute technologie issus des végétaux

Révolution verte : des matériaux de haute technologie issus des végétaux

Alain Celzard, Professeur des Universités à l'Ecole Nationale Supérieure des Technologies et Industries du Bois, nous propose un Avis d'expert sur les attraits écologiques et économiques des nouveaux matériaux issus de ressources naturelles végétales.

Publié le 08/12/2010

Les thématiques traitées sur le Campus Fibres d'Epinal1, en cohérence avec son environnement industriel et son projet pédagogique, s'inscrivent toutes dans la problématique générale du développement durable. En ce qui concerne l'Institut Jean Lamour (IJL)2, l'un des trois laboratoires du site, l'objectif technique est la recherche et le développement de nouveaux matériaux dérivés de la biomasse. Combinant faibles coûts, caractère écologique et performances, ces matériaux « verts » devraient progressivement concurrencer leurs homologues synthétiques, plus chers et moins respectueux de l'environnement.

Par biomasse, on entend tous les produits ligno-cellulosiques issus de l'agriculture et de la sylviculture (pailles, noyaux et écorces de fruits, bois et tous autres résidus végétaux) mais également – et surtout – leurs dérivés après séparation par des opérations chimiques, thermochimiques ou mécanochimiques (lignine, cellulose, tannins, et tous autres composés furaniques et phénoliques).

La grande originalité de l'approche proposée par l'IJL, qui figure parmi les priorités du Pôle de Compétitivité Fibres Grand Est3, repose d'une part sur la synthèse de nouveaux matériaux dérivés de la « chimie verte », dont le caractère multifonctionnel permet une extraordinaire variété d'applications dans les domaines de l'énergie et de l'environnement, et d'autres parts sur la valorisation complète de la biomasse dans une approche intégrée : préparer des matériaux poreux pour catalyser les procédés et traiter les produits de la bioraffinerie.

Des ressources inépuisables

La biomasse végétale est la matière première inépuisable, car renouvelable, de la chimie verte de demain. En première approximation, elle est constituée de cellulose (les fibres qui donnent leur rigidité et leur texture aux plantes, dont les arbres), de lignine (qui permet l'adhésion des fibres entre elles), et d'extractibles (petites molécules plus ou moins concentrées dans certaines parties des plantes : feuilles ou écorces par exemple).
La séparation de ces différents constituants ouvre la voie à de multiples synthèses chimiques et à la préparation de matériaux. Si le papier est un produit bien connu d'une telle transformation de la biomasse, il n'en est pas de même des autres constituants qui, pourtant, sont d'un grand intérêt.

La lignine

Résidu de l'industrie papetière, la lignine est un sous-produit très mal valorisé. Pourtant, son traitement thermique en présence de sels alcalins bien choisis conduit aisément à des charbons actifs très bon marché et extrêmement performants ! Les charbons actifs sont des matériaux produits et utilisés en quantité industrielle au quotidien pour purifier l'air ou l'eau. Pour ce faire, ils doivent présenter des surfaces d'échange considérables avec le milieu dans lequel ils sont placés, de l'ordre de 1000 m2 par gramme pour les matériaux commerciaux. Les charbons actifs de lignine ont une surface jusqu'à 3 fois plus élevée, avec des vitesses de piégeage des polluants encore plus grandes. Le secret tient à la composition chimique de la lignine et de son état de division initial.
Les carbones résultants sont si performants qu'ils surpassent tous leurs concurrents pour des applications de concentration de vapeurs toxiques. C'est ainsi que des microsystèmes de détection de traces de benzène dans les bulles des boissons gazeuses ont pu être développés : rapidité d'analyse et sélectivité du polluant à doser sont au rendez-vous.

Les tannins

Bien connu pour le traitement du cuir, les tannins sont des extractibles particulièrement intéressants. En effet, ils sont chimiquement proches du phénol et du résorcinol, deux molécules synthétiques et toxiques mais d'importance majeure en chimie, auxquelles ils peuvent donc se substituer pour la préparation de résines et d'adhésifs. Ils sont peu coûteux à produire, puisqu'ils sont le plus souvent extraits d'écorces par de l'eau chaude. Mélangés à de l'eau, à un durcisseur et à un agent moussant, les tannins produisent des mousses rigides extrêmement légères. Leurs propriétés remarquables, similaires et même supérieures aux mousses phénoliques commerciales actuellement utilisées en aéronautique et marine, combinent résistance mécanique, isolation thermique, incombustibilité et infusibilité.
Voici donc un matériau écologique, à 95% naturel, non toxique, excellent isolant, qui ne brûle pas ni ne dégage de fumées toxiques, et très bon marché ! Un grand groupe international a déjà manifesté son intérêt pour ce qui pourrait devenir un concurrent très sérieux de la laine de verre de nos maisons.

Placés dans d'autres conditions, les tannins polymérisent pour donner des gels rigides. A densité équivalente à celle des mousses rigides, ce sont des matériaux dont la porosité est 1000 fois plus fine qui sont obtenus ! On ne parle alors plus d'isolants mais de « superisolants » thermiques. Les concurrents directs de tels solides ultra-légers sont les aérogels de silice, très onéreux et issus d'une chimie toxique. Les aérogels de tannins sont plus légers, moins chers, non irritants et opaques, ce qui les rend encore meilleurs en transmettant peu l'infrarouge.

La pyrolyse de ces deux familles de matériaux : mousses et gels, conduit à leurs homologues en carbone vitreux. La structure poreuse de départ est conservée, mais la résistance mécanique s'est améliorée avec le traitement thermique, en même temps que la résistance aux chocs thermiques et l'inertie chimique.

Une autre propriété d'intérêt est apparue : la conductivité électrique. Non contents de conserver les applications de leurs précurseurs organiques (composites sandwich, isolation thermique et phonique, absorption des chocs, filtration de fluides corrosifs ou de métaux fondus), les mousses de carbone dérivées peuvent maintenant aussi être utilisées comme électrodes poreuses, pour le blindage électromagnétique, la catalyse hétérogène, l'adsorption, ... Les aérogels de carbone ex tannins ont par ailleurs d'excellentes performances en tant qu'électrode de supercondensateurs.
Ces dispositifs, qui servent de puissance électrique d'appoint dans les tramways, TGV et autres véhicules électriques ou hybrides, sont appelés à se développer et exigent des caractéristiques d'inertie chimique et de porosité que les gels de carbone sont en mesure d'apporter. Environ 10 à 15 fois moins chers que leurs homologues dérivés du résorcinol, les aérogels de carbone ex tannins sont des concurrents sérieux pour le stockage d'énergie électrochimique.

Et la biomasse en tant que telle ?

Dans certains cas, il peut être intéressant d'utiliser la biomasse sans en avoir préalablement séparé les constituants. Ainsi, la gazéification est un procédé moderne de production d'énergie.
Porté à haute température, le bois produit, entre autres, de l'hydrogène, du méthane et de la vapeur d'eau. Des goudrons et du charbon de bois sont également obtenus. En collaboration avec le LERMAB, le LSGC et EDF, il a été possible de montrer l'intérêt de recycler ce charbon dans le procédé lui-même. Le charbon va en effet servir de « catalyseur » pour augmenter le rendement en hydrogène.

En offrant une surface de contact élevée avec les gaz (à l'image des charbons actifs mais dans une moindre mesure), le charbon va permettre le craquage des goudrons et du méthane en carbone ... plus hydrogène ! Ce phénomène est connu avec les catalyseurs au nickel et au fer déjà employés pour cet usage. Mais ces derniers se désactivent rapidement par ce dépôt de carbone qui les rend in fine inactifs. Dans le cas du charbon, le carbone déposé est plus réactif, et se gazéifie continûment en réagissant avec la vapeur d'eau présente dans les gaz de pyrolyse. On produit ainsi encore d'avantage d'hydrogène tout en régénérant la surface du charbon.
Au final, le catalyseur déjà gratuit au départ, dure très longtemps et est donc produit en excès. Cet excès est alors utilisé comme combustible pour alimenter en énergie le procédé lui-même, dont on aura doublé le rendement en hydrogène !

La biomasse en tant que telle peut également être valorisée à peu de frais, en particulier lorsqu'elle est considérée comme un déchet. A ce titre, elle acquiert ainsi un « coût négatif », car son producteur doit payer son enlèvement et/ou son retraitement. C'est par exemple le cas des panneaux de particules en fin de vie : -70€ par tonne.
Ces résidus peuvent pourtant être valorisés énergétiquement au travers d'un processus de pyrolyse étagée (LERMAB), avant d'être convertis en charbon actif (IJL). Cette opération est très rentable puisque, outre l'énergie récupérée, le prix de revient du traitement final compense plus ou moins le coût négatif initial ! C'est un charbon actif à coût zéro qui est produit, dont les performances dans la rétention de micropolluants dans l'eau sont démontrées.

L'intérêt des filières courtes

Le recours massif aux matériaux issus de la biomasse n'a vraiment d'intérêt que s'il met en œuvre les trois piliers du développement durable que sont les aspects : économique (ressource bon marché + valeur ajoutée + performances), social (nouveaux emplois + accès universel à la ressource), et environnemental (ressources et applications locales + respect de l'environnement) des activités humaines. Il est donc nécessaire de privilégier les filières courtes, c'est-à-dire celles qui rapprochent producteurs, transformateurs et utilisateurs.

A l'IJL, il nous tient donc à cœur de pouvoir régler simultanément plusieurs problèmes de manière locale, en mêlant valorisation et application, et ce sans négliger les performances. Deux exemples concrets permettent d'illustrer cette démarche, qui se concrétise progressivement au Mexique et en Egypte. Le Mexique produit des résidus d'agave non valorisés et a de graves problèmes de pollution de ses eaux souterraines par l'arsenic, qui se dissout lentement de la roche qui en est très riche. L'Egypte est grand producteur de pailles et d'écorces de riz dans la région du delta du Nil, tout en étant malade de ses rejets domestiques et industriels. Dans les deux cas, il a été possible de montrer que l'un comme l'autre résidu agricole pouvaient être convertis en charbons actifs dont la porosité et la chimie de surface (notamment par dopage aux nanoparticules d'oxyde de fer dans le cas de l'arsenic) ont pu être adaptées aux problèmes de pollution à traiter. Une installation industrielle est même actuellement en construction en Egypte qui, sur la base des résultats obtenus par l'IJL, pourra produire du charbon actif qu'il ne sera donc plus nécessaire d'importer.

Contrairement aux idées reçues, un dérivé végétal peut devenir un précurseur de matériaux de haute technologie ! Son côté « vert » et son innocuité le rendent plus acceptable que nombres de produits synthétiques, et son faible coût en fait un concurrent sérieux d'autant plus que les performances sont là. Ce nouveau paradigme est un phénomène mondial, encore hésitant mais en phase d'accélération. Le Campus Fibres, dont l'offre de recherche monte en puissance notamment au travers du CPER « Fibres », entend tenir une place de tout premier plan dans le développement d'éco-matériaux pour des applications innovantes.

Avis d'expert proposé par Alain Celzard, Professeur des Universités à l'ENSTIB (Ecole Nationale Supérieure des Technologies et Industries du Bois).

1 Créée en 1985, l'École Nationale Supérieure des Technologies et Industries du Bois est une École d'ingénieurs de « Nancy Université » (fédérant l'Université Henri Poincaré avec ses 3 écoles d'ingénieurs, l'Université Nancy 2 et les 7 écoles d'ingénieurs de l'Institut National Polytechnique de Lorraine).<br />Au sein du Campus Fibres UHP, elle a ouvert un nouveau champ d'expertise en parfaite cohérence avec le bois qui a fait son renom en France et à l'étranger : l'industrie des matériaux fibreux naturels et renouvelables.
http://www.enstib.uhp-nancy.fr/fr/

2 L'institut Jean Lamour (IJL) trouve ses racines dans les cinq UMR qui ont fusionné le 1er janvier 2009 pour le constituer : le LPM, le LPMIA, le LCSM, le LSGS et le LSG2M. C'est aujourd'hui une nouvelle UMR (nº 7198) qui associe les trois universités scientifiques de Lorraine au CNRS.
http://www.ijl.nancy-universite.fr/

3 Le Pôle de Compétitivité Fibres, réseau dédié à l'innovation dans les matériaux fibreux et éco matériaux, a sur les deux régions d'Alsace et de Lorraine une assise potentielle de plus de 2 500 entreprises industrielles, pour 125 000 emplois. Ce sont également 5 universités, plus le CNRS et l'INRA soit plus de 2.500 chercheurs impliqués dans la filière. Ce réseau est complété par les acteurs de la formation et les animateurs du territoire (consulaires, clusters,...).
http://www.polefibres.fr

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5 Commentaires

Lionel

Le 09/12/2010 à 8h54

Tant qu'il s'agit de déchéts qui ne seraient de toute maniére pas valorisés cela me parait une bonne solution mais attention à ne pas reproduire l'erreur des agro carburants en imposant une contrainte supplémentaire à la nature qui est déjà bien trop sollicité.La biomasse sert aussi à la régénération naturelle.

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Arthur

Le 09/12/2010 à 9h34

On utilise le charbon actif essentiellement pour purifier les gaz polluants
et émetteurs d'odeurs par ex des stations d'épuration d'eau. Il serait
intéressant de faire des essais d'imprégnation de métaux catalytiques comme le cuivre pour le raffinage des carburants par ex. les deux sources de problèmes pouvant être la stabilité et la régénération?
Nos experts devraient se lancer dans cette voie qui serait source
d'économies de procédures? A Plus

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Jean marc

Le 09/12/2010 à 14h26

Question : est il possible d'envisager une étude de faisabilité dans un pays comme Madagascar ?

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Alain

Le 10/12/2010 à 19h22

A Madagascar, comme ailleurs, une étude de faisabilité est tout à fait possible. Nous sommes déjà en relation avec le Sénégal pour des problématiques voisines, mais avec ses propres spécificités.

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AMAKSON

Le 16/03/2011 à 18h11

Aujoud'hui nous disons que les matières premières végétales sont inépuisables car elles sont renouvelables.
Je voudrais savoir s'il n' y'a pas des espèces végétales qui ont disparues à cause de la mauvaise gestion des hommes?
Si oui les futures génerations pourraient appeler ce qui était renouvelable aujourd'hui, non renouvelable demain.

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