Alors que la Commission européenne devrait présenter ce jeudi sa communication sur l'avenir de la politique agricole commune (PAC) post 2013, de plus en plus de voix s'élèvent pour poser la question de la dépendance de l'Union européenne aux protéines végétales pour l'alimentation animale. Dénoncée depuis des années par de nombreux acteurs, cette situation, héritée de la politique agricole lancée dans l'après-guerre et qui a conduit à une forte spécialisation céréalière du territoire européen, a été exacerbée par l'interdiction des farines animales en 2000. Résultat : l'ensemble des productions européennes riches en protéines végétales (pois, colza...) couvrent 24 % des besoins des élevages (seulement 1 % pour le soja). Pour couvrir ses besoins, l'UE se tourne donc vers l'extérieur, notamment vers le continent américain.
La réforme de la PAC entrera-t-elle dans le vif du sujet ?
C'est seulement lors du bilan de santé de la PAC en 2009 (1) que l'UE a très sensiblement infléchi sa position en ouvrant la possibilité aux Etats membres de soutenir la production de protéines végétales sur leur territoire. Une occasion saisie par la France, qui a débloqué une enveloppe de 40 millions d'euros pour soutenir les cultures fourragères et de protéagineux et qui a permis d'augmenter de 59 % la production de protéagineux (pois, luzerne et lupin) en 2010 par rapport à 2009.
La réforme de la PAC ira-t-elle plus loin ? La communication de la Commission européenne devrait souligner ''la nécessité de préserver le potentiel agricole de l’Union européenne sur l’ensemble du territoire, en améliorant notamment la capacité de production en protéines, dans le respect des engagements de l’Union européenne vis-à-vis des règles du commerce international''. Lors d'une rencontre avec des ONG, le commissaire à l'agriculture Dacian Ciolos a dit vouloir se montrer ''pragmatique'' sur ce sujet ''en étudiant le potentiel agronomique de l'UE'', rapporte Samuel Féret, coordinateur du groupe PAC 2013.
De leur côté, les députés européens planchent sur le sujet. Un atelier a été organisé le 12 octobre dernier par la commission agriculture du Parlement européen et l'eurodéputé allemand Martin Häusling devrait présenter un rapport prochainement.
Les importations de protéines végétales posent des problèmes à plusieurs niveaux. D'abord, les producteurs sont dépendants de la fluctuation des prix des protéines végétales, notamment du tourteau de soja, qui sont susceptibles d'augmenter avec la croissance de la demande à l'échelle mondiale, émanant notamment des pays d'Europe centrale et orientale et de l'Asie.
Ensuite, ces productions ont un impact social et environnemental important, notamment en Amérique du Sud d'où provient 85 % du soja importé par l'UE. Changements directs et indirects d'affectation des sols (la hausse des prix du soja en 2007 y aurait doublé en quatre mois la superficie de la déforestation selon l'IEEP (2) ), utilisation accrue de pesticides, pression sur les petits paysans font partie des impacts liés à la spécialisation de ces pays.
En Europe, ce mode d'alimentation animale a entraîné une concentration de l'élevage européen de bétail à proximité des grands ports, ainsi qu'une diminution de la production de porcs, volailles et lait dans beaucoup de régions d'élevage traditionnel éloignées de ces ports, non sans causer des dommages environnementaux et sociaux considérables. Autre question posée : celle des OGM, fortement développés dans le sous-continent américain, et qui constituent désormais une majorité des cultures de soja notamment.
Un problème qui se pose également aux filières bio comme le montre le rapport ''Nourrir les animaux qui nous nourrissent'' (3) publié en novembre par l'organisme de certification britannique Soil Association. Le succès des productions bio ces dernières années pose la question des filières d'alimentation animale qui dépendent, certes moins que les filières conventionnelles mais quand même, des importations.
De la nécessité de mesures ambitieuses pour impulser le changement
''Après cinquante ans de dépendance, l'Union européenne ne peut pas devenir autonome du jour au lendemain et probablement pas d'ici 2020, note Samuel Féret. Cela supposerait d'utiliser les surfaces actuelles différemment, avec moins de céréales et plus de protéagineux''. Autrement dit un changement radical d’organisation du système agricole.
Quelques chiffres
Selon Soil Association, entre 1967 et 2002, la consommation de viande a augmenté de 87 %. Plus les pays s'enrichissent, plus les régimes alimentaires deviennent carnivores. En Inde, la consommation de viande blanche devrait doubler d'ici 2015.
Il faut :
- 10 kg d'alimentation végétale pour produire un kilo de bœuf,
- 4 à 5,5 kg de grains pour un kilo de porc,
- 3 kg de grains pour produire un kilo de viande de volaille.
Un hectare de cultures fruitières, céréalières et légumineuses permet de nourrir 30 personnes contre 5 à 10 personnes pour un hectare consacrée à la production de viande, de lait ou d'œufs.
Pour encourager ce type de cultures, il recommande la mise en place de plusieurs mesures : le maintien de l'aide couplée de la PAC (qui a montré son succès en France) au-delà de 2011, l'incitation à la diversification des assolements et à des rotations plus longues, favorables à la culture des protéagineux et d'autres légumineuses. La recherche a également un grand rôle à jouer selon lui afin de permettre la mise au point de variétés nouvelles de semences, d'assurer des rendements à la fois plus élevés et plus réguliers.
Des propositions partagées par Samuel Féret pour qui ''des dispositifs innovants et expérimentaux sont nécessaires'' : ''il faut accroître les recherches sur les itinéraires techniques et les céréales afin de mieux maîtriser ces cultures. Il faut également ouvrir un volet sur les légumineuses fourragères. Le potentiel protéinique des prairies est sous-évalué''.