« Parce qu'elle représente environ un quart des émissions de gaz à effet de serre des ménages en France, l'alimentation fait partie des principaux leviers à activer pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050 », estime l'Agence de la transition écologique (Ademe). Selon ses experts, il serait possible d'atteindre l'objectif fixé par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) en divisant par deux ou trois la consommation de viande, en augmentant la part de l'agriculture biologique à 50 ou 70 %, en réduisant de moitié le gaspillage alimentaire et en privilégiant les denrées peu transformées, locales et de saison.
Mais selon un rapport du Réseau Action Climat (RAC) publié jeudi 2 février, « Alimentation et climat : l'heure des comptes pour les supermarchés », les pratiques de la grande distribution n'aident pas forcément les consommateurs à adopter ce modèle vertueux. Pour l'association, les grandes enseignes, qui totalisent 70 % des ventes de produits alimentaires, pourraient pourtant jouer un rôle décisif dans ce domaine.
Aucun distributeur n'est à la hauteur
Ce sont elles qui décident de l'assortiment des produits proposés et de la manière dont ils seront mis en valeur. Leurs promotions et les prix fixés, avec un taux de marge qui varie entre 3 et 60 % en fonction des produits, influencent aussi considérablement les choix de leur clientèle. Enfin, c'est à elles de décider d'afficher ou non l'Éco-score ou le Planet-Score sur leurs produits de marque distributeur – soit la moitié de leur offre –, pour faire connaître leur impact environnemental. Afin de faire le point sur leurs partis pris, le RAC a noté les huit principales enseignes présentes sur le territoire français (Auchan, Carrefour, Casino, Intermarché, E.Leclerc, Lidl, Monoprix et Super U) via une quarantaine d'indicateurs liés à l'alimentation durable et le climat.
Des choix qui laissent à désirer
Premier reproche fait à ces leaders : ils manquent de transparence sur leurs impacts et leurs sources d'approvisionnement. La part de l'offre labellisée dans leurs ventes, biologique notamment, ou issue des filières qualité n'apparaît pas. Leurs objectifs manquent également d'ambition. Mais, surtout, les grandes surfaces incitent beaucoup trop leurs visiteurs à surconsommer des produits d'origine animale (viande et produits laitiers), à l'origine de deux tiers des émissions de gaz à effet de serre du secteur. Moins de 10 % du poulet et du steak haché proposés sont certifiés biologiques, souligne le rapport. Provenant, au contraire, en immense majorité de modes de production intensifs et polluants – à 83 % pour les poulets et 95 % pour les porcs élevés en France –, ces aliments sont également importateurs de soja, donc sources de déforestation. Or, en rayons, 92 % des plats préparés contiennent de la viande ou du poisson.
Parallèlement, plus des deux tiers des Français négligent la consommation de fruits et légumes, les ménages les moins aisés encore plus que les autres. Près de la moitié d'entre eux ne consomment des légumes secs qu'une fois par semaine quand le Programme national nutrition santé (PNNS) recommande de doubler cette fréquence. Mais ces sources de protéines végétales brutes ou peu transformées sont peu mises en valeur dans les linéaires. Moins que les produits végétariens, plus transformés et plus onéreux.
Les clients sont peu informés
Enfin, l'information susceptible d'aider le client à choisir des produits responsables est défaillante. Les systèmes d'étiquetage environnemental, tels que l'Éco-score et le Planet-Score, sont absents des rayons, indique le RAC. Un manque d'information « d'autant plus préjudiciable que les labels et certifications sans véritable valeur ajoutée pour l'environnement se sont multipliés ces dernières années, comme Agriconfiance, Haute Valeur environnementale (HVE) ou Zéro résidu de pesticides », notent les auteurs du rapport. Des démarches controversées, mais largement mises en avant par la plupart des enseignes auprès de leurs clients. « Évoluer vers une alimentation plus saine et plus durable est ainsi quasiment mission impossible à ce jour », conclut le RAC.
À travers la rémunération qu'elles leur accordent et leurs politiques de contractualisation, les enseignes influencent par ailleurs fortement les choix de leurs fournisseurs en matière de pratiques agricoles. Une responsabilité d'autant plus importante que la moitié de leur offre consiste en produits de marque distributeur dont elles contrôlent intégralement le cahier des charges.
Des contraintes à renforcer
Mais le RAC pointe aussi la responsabilité des politiques publiques insuffisamment contraignantes à son goût et focalisées « sur la seule responsabilité des consommateurs et sur les engagements volontaires des entreprises ». Afin d'inciter les enseignes à modifier leur offre, leur marketing et leurs politiques tarifaires, l'association avance ainsi des propositions inscrites dans un cadre règlementaire plus strict : rendre obligatoire l'étiquetage des produits alimentaires précisant prioritairement leurs impacts environnementaux et le mode d'élevage choisi, interdire la publicité et le marketing pour les produits d'origine animale et à base de viande, de type nuggets, burgers ou pizzas, sauf pour les produits biologiques et Label rouge, encadrement du taux de marge appliqué sur les produits biologiques…
Une transition qui répondrait aux aspirations des Français, de moins en moins consommateurs de viande et de plus en plus convaincus de l'impact négatif de l'élevage industriel sur l'environnement. En 2021, selon la société d'études l'Obsoco, ils étaient 85 % dans ce cas. Selon une étude de la Fondation Jean-Jaurès publiée en août 2022, « La France à table : les mutations de l'alimentation », désormais l'industrie dite agroalimentaire serait également de plus en plus l'objet de défiance.