Le 10 décembre 2012, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de l'Ecologie a publié un rapport sur les usages non alimentaires de la biomasse assorti d'un second volume regroupant les annexes. Le document, rédigé conjointement par les services des ministères de l'Agriculture, de l'Ecologie et du Redressement productif, "propose les voies permettant de conjuguer ses usages alimentaires et non alimentaires en analysant le concept de « hiérarchisation des usages »", indique le ministère.
Le document s'intéresse en particulier aux perspectives d'usages concurrents de la biomasse sur la période 2010-2050, aux politiques publiques mises en œuvre à l'horizon 2020 en France et en Europe et à l'action publique après 2020, avec notamment la description des filières technologiques des agrocarburants de deuxième génération et de la méthanisation.
Hiérarchiser les usages
Parmi les principales conclusions du rapport figure un avertissement aux décideurs politiques : "des arbitrages politiques entre usages éventuellement concurrents de la biomasse resteront (…) nécessaires".
En effet, les auteurs du rapport estiment que si le système alimentaire est largement globalisé par divers mécanismes de marché et instruments, les marchés régionaux restent néanmoins inefficients et fortement asymétriques. "La production alimentaire, même si elle devrait rester globalement à hauteur des besoins futurs, est mal répartie (…) et/ou en partie non accessible aux plus pauvres", constate le rapport. De plus, "il reste de gros progrès à accomplir pour concrétiser (…) les principes de gouvernance esquissés dans le cadre du G20 pour une régulation des marchés internationaux des matières premières agricoles".
La hiérarchisation des usages s'impose donc comme une réponse politique aux dysfonctionnements mis en évidence dans le rapport. Elle permet de trancher entre usages alimentaires et non alimentaires de la biomasse. Pour cela, les rapporteurs plaident pour qu'en France cette hiérarchisation s'appuie sur six "axes de progrès". Et de prévenir : "à défaut, on risque de donner à la hiérarchie des usages des contours rigides, porteurs de dérives importantes, voire de conflits entre Etats et/ou entre populations".
Sobriété, évaluation scientifique et gouvernance
En premier lieu, le rapport préconise "la promotion de la sobriété sous toutes ses formes pour faire évoluer les comportements alimentaires et énergétiques". Il s'agit là d'un "impératif éthique autant qu'économique [qui] doit guider la recherche de nouveaux modèles de production, de valorisation industrielle des ressources primaires, d'échange, de mobilité, d'habitat et de consommation". Par ailleurs, "l'utilisation efficace des bio-ressources notamment en luttant contre les diverses pertes et gaspillages" constitue le deuxième axe avancé. A cela s'ajoute "la mobilisation efficace des bio-ressources et leur renouvellement, qui englobe l'entretien de la fertilité des sols et le renouvellement des forêts".
L'évaluation scientifique des choix n'est pas laissée de côté et fait l'objet du quatrième axe. "L'évaluation des processus de production sur la base, notamment, de bilans globaux comparés en termes de valeur ajoutée, d'emplois, et de carbone/gaz à effet de serre (GES)", est préconisée. Mais "les outils d'analyse de cycle de vie devraient à cet effet être adaptés aux spécificités des produits bio-sourcés, en sorte d'introduire certaines externalités (emplois, CO2, ratio d'efficacité en euros par tonne équivalent pétrole) dans la définition des instruments publics incitant à leur production (ex. aides tarifaires)", estiment les rapporteurs.
Enfin, en matière de gouvernance, le rapport recommande au plan national "[d'associer] organisations professionnelles et autorités administratives pour la définition et le suivi des politiques bio-économiques". Au niveau européen la France doit viser une "convergence communautaire sur des bio-stratégies à définir en termes d'équilibres ressources/emplois et en fonction de choix durables sur les tarifications de l'énergie et du carbone, selon des orientations compatibles avec l'insertion de la France dans l'économie européenne et mondiale".
Assurer la durabilité des agrocarburants
Au-delà de ces recommandations relatives à la hiérarchisation des usages, le document propose aussi des pistes concernant les agrocarburants de première génération et la filière bois.
En matière d'agrocarburant de première génération, le rapport propose, sans grande surprise, de "promouvoir les recherches sur le changement d'affectation des sols indirect (CASI)". Concrètement il plaide pour huit mesures parmi lesquelles figure la mise en place d'une plate-forme internationale de recherche. Il suggère aussi que la France se prépare "en fonction de ces travaux et le moment venu à introduire un facteur CASI dans les critères de durabilité". De même, il propose de "veiller au strict respect, par chaque Etat-Membre des critères de durabilité édictés au plan européen en particulier pour ce qui a trait à la réduction de 35% des GES liés à l'utilisation des biocarburants". Quant au taux d'incorporation, il ne devrait être relevé "que de façon progressive, et en anticipant d'au moins 5 ans la mise au point à cet effet d'une spécification harmonisée au plan européen".
Concernant la filière bois, le document déplore que la France soit en retard en matière de vision stratégique unique et cohérente réconciliant les politiques publiques de la forêt et du bois. "De nombreux pays s'interrogent aujourd'hui sur une stratégie « en cascade » visant à optimiser l'ensemble des services économiques, sociaux et environnementaux rendus par les forêts", explique les auteurs, ajoutant que "la France (…) doit se doter d'études similaires pour définir sa vision de long terme et accompagner la transition climatique". De plus, le rapport juge qu'il faut développer "une politique de valorisation de la ressource française, de l'amont à l'aval", c'est-à-dire favorable à la substitution de matériaux bio-sourcés aux matériaux fossiles ou plus énergivores, à l'usage des bois feuillus, et à la mobilisation du bois via une relance de l'investissement forestier privé. Enfin, il convient de "subordonner la production d'électricité à celle de chaleur, [de] décliner les objectifs selon les régions [et de] revoir les cahiers des charges et les prescriptions techniques".