C'est une nouvelle brique à l'évaluation de la biodiversité mondiale que l'Ipbes a dévoilé, ce vendredi 8 juillet, à Bonn (Allemagne), à l'occasion de sa neuvième session plénière. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques a publié son rapport sur l'utilisation durable des espèces sauvages, approuvé, la veille, par ses 139 États membres. Le résultat de quatre années de travail par 85 experts en sciences sociales et naturelles, et plus de 200 auteurs collaborateurs, de toutes les régions du monde. Ils ont étudié plus de 6 200 sources.
Commandée par les gouvernements, mais aussi par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites), cette évaluation mondiale identifie cinq grandes pratiques d'utilisation des espèces sauvages : la pêche, la cueillette, l'exploitation forestière, le prélèvement d'animaux terrestres dont la chasse, et les pratiques non extractives telles que l'observation. Elle analyse les huit utilisations faites de ces espèces : alimentation humaine et animale, matériaux, médicaments, énergie, loisirs, cérémonies, apprentissage, décoration. Le rapport est constitué d'un état des lieux, d'une étude des tendances d'utilisation des espèces sauvages, d'une analyse des facteurs de leur utilisation non durable, puis d'une identification des pistes d'action.
« Cette évaluation (…) éclairera la prise de décision sur le commerce des espèces sauvages dans le cadre de la 19e Conférence mondiale sur les espèces sauvages, qui se tiendra à Panama, en novembre 2022. Elle présente également un intérêt immédiat pour la Convention sur la diversité biologique qui œuvre à l'établissement d'un nouveau cadre mondial de la biodiversité pour la prochaine décennie », souligne Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l'Ipbes.
70 % des populations pauvres en dépendent
Le rapport révèle qu'environ 50 000 espèces sauvages sont utilisées dans le monde par le biais de différentes pratiques, dont plus de 10 000 sont récoltées directement pour l'alimentation humaine. « Soixante-dix pour cent des populations pauvres de la planète dépendent directement des espèces sauvages. Pour une personne sur cinq, les champignons, les algues et les plantes sauvages constituent des sources d'alimentation et de revenu ; 2,4 milliards de personnes dépendent du bois en tant que combustible pour cuisiner ; environ 90 % des 120 millions de pêcheurs traditionnels travaillent à petite échelle », détaille Maria R. Emery, codirectrice de l'évaluation. Cette dernière établit que l'utilisation des espèces sauvages, y compris les pratiques non extractives, est une importante source de revenus pour des millions de personnes à travers le monde, et pas seulement dans les pays du Sud.
L'évaluation identifie et étudie les autres moteurs de l'utilisation non durable des espèces : modification des paysages, dérèglement climatique, pollutions, espèces exotiques envahissantes, commerce mondial, utilisations et commerce illégaux. Le commerce illégal d'espèces sauvages, bois et poissons en tête, génèrerait 199 milliards de dollars de recettes par an, soit le troisième rang des activités commerciales illégales dans le monde.
Accès équitable aux ressources
Le dernier volet du rapport porte sur les pistes d'action envisageables pour enrayer les menaces sur les espèces sauvages menacées, en mettant en avant les politiques qui ont fait leurs preuves sur le terrain. Les auteurs relèvent que les politiques favorisant la sécurité des droits d'occupation et l'accès équitable aux ressources naturelles, ainsi que la réduction de la pauvreté, créent des conditions favorables à l'utilisation durable des espèces sauvages. Une utilisation durable que les peuples autochtones, pour leur part, intègrent généralement déjà à leurs pratiques. « À l'échelle mondiale, la déforestation est généralement plus faible sur les territoires autochtones, en particulier lorsqu'il existe une sécurité foncière, une continuité des connaissances et des langues, et des moyens de subsistance alternatifs », rapporte Maria Emery, qui recommande une collaboration des scientifiques avec les peuples autochtones, ainsi que la prise en compte des contextes culturels.
Le rapport identifie les mesures à mettre en œuvre pour chaque pratique en vue de contrer l'augmentation de la pression liée aux changements climatiques, à la croissance de la demande et aux progrès technologiques améliorant l'efficacité des pratiques extractives. Dans le domaine de la pêche, ces mesures sont les suivantes : réduction de la pêche illégale, suppression des subventions néfastes, soutien à la pêche artisanale, etc. Pour ce qui est de l'exploitation forestière, le rapport préconise la gestion et la certification des forêts, les innovations technologiques réduisant les déchets dans la fabrication des produits en bois, ainsi que la reconnaissance des droits des peuples autochtones et des communautés locales.
« L'utilisation durable des espèces sauvages est importante pour les systèmes agroalimentaires du monde entier, rappelle Qu Dongyu, directeur de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Les espèces sauvages sont à l'origine d'une large gamme de produits, diversifient les régimes alimentaires, fournissent de multiples sources de revenus et font partie intégrante de la vie culturelle et sociale de nombreuses communautés. » Il souligne dès lors l'importance de préserver ces espèces, sous peine de « compromettre l'avenir des systèmes agroalimentaires, la réalisation des Objectifs de développement durable et la fourniture de services écosystémiques essentiels, d'augmenter le risque d'épidémies de maladies infectieuses, d'alimenter les inégalités et les conflits, et de diminuer notre capacité à atténuer les menaces relatives à la crise climatique et à nous y adapter ». Un appel à l'action à l'aube de l'adoption du nouveau cadre mondial pour la biodiversité.