Un amendement de l'ancien ministre de l'Agriculture, Jean Glavany, au projet de loi de modernisation du droit modifie le code civil pour faire des animaux des "êtres vivants doués de sensibilité". Quelle est la réelle portée de cette modification législative ? Les avis sont partagés mais elle ne laisse en tous cas pas indifférents.
Pas de remise en cause des catégories juridiques existantes
A en croire, Colette Capdevielle, députée socialiste et rapporteure du texte, "il ne faut pas donner à l'amendement plus de portée juridique qu'il n'en a". Il s'agit, explique-t-elle d'une mise en cohérence du code civil avec le code rural et le code pénal. Il s'agit également de mettre en conformité le droit national avec le droit européen. En revanche, point de remise en cause des catégories juridiques existantes ni de la distinction " biens/personnes" du code civil, au grand dam d'ailleurs des députés écologistes qui avaient déposé des sous-amendements en ce sens. "Les animaux restent dans la sphère patrimoniale, ce qui exclut tout effet juridique non maîtrisé", explique la parlementaire.
L'adoption de l'amendement Glavany permet d'ailleurs de couper l'herbe sous le pied du groupe d'étude sur la protection des animaux, constitué au sein de l'Assemblée, qui préparait une loi spécifiquement dédiée au statut de l'animal, explique Pierre Jaunel (1) , assistant parlementaire écologiste. "Un statut de l'animal aurait pu aller nettement plus loin que l'amendement adopté hier (et parler par exemple des animaux sauvages qui ne sont pas concernés par cet amendement). Mais le vote d'hier permet de dire qu'un statut de l'animal a été adopté, sans que cela n'ait de conséquences", explique-t-il.
"Un statut très ambitieux de l'animal pourrait remettre en cause la place très utilitariste qui leur est laissé dans les élevages, les laboratoires, les cirques ou les arènes de corrida", ajoute l'assistant parlementaire, précisant que peu de personnes le souhaitent réellement.
Inquiétude des professionnels de l'élevage
Cette modification législative ne serait toutefois pas aussi neutre aux yeux de certains. Ainsi, le président de la FNSEA a adressé quelques heures seulement après l'adoption de cet amendement une lettre à… François Hollande pour faire par de son "inquiétude" et de sa "stupéfaction", au nom de son organisation, des Jeunes agriculteurs et de l'ensemble des organisations d'élevages.
"Au-delà des apparences, il s'agit bien d'une évolution juridique qui risque de remettre en cause la pratique même de l'élevage, le savoir-faire des éleveurs en matière de bien-être animal, et par là-même une opportunité offerte aux mouvements animalistes de multiplier les procédures judiciaires à leur encontre", alerte Xavier Beulin, qui cite les propos tenus par la Garde des Sceaux lors de l'adoption de l'amendement. "Introduire les animaux en tant qu'êtres sensibles dans le code civil est loin d'être banal ; ce n'est pas un geste anodin", aurait déclaré Christiane Taubira.
"Même si le code rural intègre déjà depuis septembre 2000 ce statut dans son article L. 214-1, cette prochaine uniformisation législative est une étape symbolique importante pour notre société et le droit de l'animal, même si les animaux restent soumis, dans ce nouveau texte, au régime juridique des biens corporels", estime Eric Alligné, avocat spécialisé en droit de la protection animale, interviewé par le site Atlantico (2) . Et d'ajouter : "La fin de l'animal objet du code civil (…) pourrait se heurter de plein fouet aux techniques d'abattage spécifiques –telles l'étourdissement légal ou la mise à mort rituelle- et à celles d'élevage intensif pratiquées par certains acteurs économiques".
Pour l'Elysée, pourtant, il n'y a pas péril en la demeure et pas de contradiction avec les engagements pris par François Hollande. "La reconnaissance de cette qualité ne modifie pas le régime applicable aux animaux", ont expliqué les services de la Présidence de la République à La France Agricole, confirmant qu'il s'agissait d'une simple harmonisation avec le code rural et avec le code pénal et qu'aucun droit nouveau n'était créé pour les animaux.