Président de la CNDP
Actu-Environnement : Après avoir été saisie par la Compagnie du Vent en octobre 2009, la CNDP a décidé de l'organisation d'un débat public pour le projet des Deux Côtes. Dans quel contexte s'est déroulé ce premier débat public sur l'éolien offshore ?
Philippe Deslandes : Ce débat public s'est déroulé du 28 avril au 10 décembre 2010, après que le maître d'ouvrage s'est conformé à la demande de la CNDP d'élargir la définition même du projet mis en débat, avec un scénario privilégié et deux variantes. Ce débat a démarré au moment même où se déroulait à l'Assemblée Nationale les discussions sur le projet de loi Grenelle II. Tandis que la Programmation Pluriannuelle des Investissements (PPI) de production de l'électricité pour la période 2009/2020 retenait 6.000 MW d'éolien en mer.
AE : Quelle fut alors la décision de la CNDP ?
P. Deslandes : Considérant cela, la CNDP a décidé dans sa séance du 2 juin 2010 ''d'appeler l'attention du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer sur l'intérêt qu'il y aurait d'organiser, une fois les zones propices définies, un débat public portant sur des options générales sur le développement de l'éolien offshore pour chaque façade maritime''. L'idée était que ces débats publics portent sur l'opportunité des projets et sur les objectifs de la PPI, conformément à l'esprit de la Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information et la participation du public aux processus décisionnels ayant une incidence sur l'environnement. Et qu'après soumission à l'appel d'offres, chaque projet retenu fasse l'objet d'une concertation du public sur ses caractéristiques principales qui le caractérisent ; l'opportunité ayant déjà été débattue.
AE : Ainsi, la décision de la CNDP pouvait conduire à l'ouverture d'un débat public sur la politique énergétique marine française, n'est ce pas ?
P. Deslandes : En effet, on parle de beaucoup de choses à l'occasion d'un débat public. Et il existe plusieurs modes de production d'électricité marine, avec entre autres les éoliennes offshore flottantes qui peuvent aller dans des eaux profondes et disparaître à l'horizon du paysage que l'on voit depuis la côte. Même s'il est axé sur l'environnement, il aurait sans doute été le lieu de discussions sur la définition de la filière industrielle offshore souhaitée dans le cadre du lancement de l'appel d'offres. En effet, dans le processus décisionnel d'un projet, le débat public ne consiste pas seulement en une consultation du public, au sens d'une information sur un projet et du recueil des avis qu'elle suscite. Mais d'une concertation avec le public qui, alors, fait des propositions, des contre-propositions, ... éclairant le projet du maître d'ouvrage et l'obligeant à se confronter à la réalité locale. Au début d'un débat public, les positions sont parfois tranchées. Puis dans la plupart des cas au fur et à mesure, les arguments des uns et des autres s'affinent. De temps en temps, les gens changent de position, comme lors du débat sur le Grand Paris, parfois non. Mais dans tous les cas, les projets sortent différents du débat public. Pendant ce débat sur le projet des Deux Côtes, beaucoup de positions du public ont modifié la nature du projet, et le maître d'ouvrage a pris de nombreuses décisions en conséquence au fur et à mesure de l'avancée du débat.
AE : Cette proposition de la CNDP d'organiser un débat public sur l'éolien offshore sur chacune des 3 façades maritimes françaises a-t-elle reçu une réponse ?
P. Deslandes : A l'époque, j'ai écrit au ministre Jean-Louis Borloo. Mais jusqu'à ce jour, je n'ai reçu aucune réponse. Faire un débat public par façade permettait de suivre les zones propices déjà un peu dessinées suite à la consultation préfectorale. Cela nous semblait beaucoup plus opérationnel. D'autant plus que depuis la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement (dite Grenelle II), les débats publics peuvent porter notamment sur des politiques, des plans et des programmes ayant un intérêt national. Dans ce cas, c'est le ministre en charge de l'environnement et le ministre concerné par le programme qui saisissent la CNDP, et le débat est à la charge de l'Etat. Comme cela s'est déjà fait sur les déchets nucléaires, sur les nanotechnologies ou sur la politique de transport dans la vallée du Rhône. Mais la CNDP ne peut s'autosaisir, et l'appel d'offres est maintenant lancé. Si l'opportunité des projets éoliens en mer est déjà tranchée avant même les débats, comme en matière nucléaire, c'est un peu dommage.
AE : Le fait que l'opportunité des projets éoliens offshore ne soit plus discutable, est-ce un frein aux débats publics à venir ?
P. Deslandes : Le fait de ne pas discuter si le projet est nécessaire ou pas, cela va compliquer les débats. Mais ça ne les empêchera pas. Dans la mesure où l'appel d'offres retient les projets, la Commission sera saisie pour chacun de ces projets. En effet, chaque projet éolien en mer repose sur un coût d'investissement de l'ordre du milliard d'euros, ce qui dépasse largement les seuils légaux d'obligation d'un débat public (300 millions d'euros par projet d'équipement et/ou d'aménagement). Aussi, à l'issue de la procédure d'appels d'offres, les porteurs de projets retenus devront saisir la CNDP, et investir de l'ordre d'un million d'euros dans un débat public. Et entre ces différents débats publics, il risque d'y avoir des redondances. D'autant plus que certaines zones propices sont proches les unes des autres, comme celles du Tréport et de Fécamp. Lors du débat public sur le projet des Deux Côtes, une partie de l'assistance a dénoncé ''un programme privé'', préférant qu'il soit piloté par l'Etat, ou par une société coopérative d'intérêt collectif associant à la fois collectivités et citoyens. Cette question public/privé risque bien de ressortir ! On l'a déjà vu lors des débats publics sur les projets de terminaux méthaniers : celui porté par EDF s'est déroulé plus facilement.