
Longtemps protégé par son éloignement géographique et son bouclier de glace, ce territoire maritime attise les convoitises depuis l'accélération de la fonte de la banquise. En effet, la fonte des glaces ouvre la voie à de nouvelles activités : nouvelles routes maritimes, extraction de ressources minérales, stocks halieutiques… Les intérêts commerciaux s'intensifient.
Ces dernières années, les cinq grandes nations arctiques ont eu tendance à faire de cette mer de glace leur chasse gardée en se reposant sur la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. D'autres pays, ainsi que les associations de protection de l'environnement, plaident au contraire pour une gouvernance mondiale de cette région : la fonte des glaces aura un impact mondial sur le niveau des océans et nécessiterait un régime international de protection.
''Les menaces sont proches. Le changement climatique menace la biodiversité et les populations Inuits. Les questions du pétrole, de la pêche… se posent également. Cela nécessite une diplomatie très technique. Or, le conseil de l'Arctique a entamé depuis quelques temps une phase de repli sur soi'', note Michel Rocard, lors d'une audition par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) le 9 février dernier. L'ancien Premier ministre, nommé ambassadeur de France en charge des négociations internationales sur les pôles en 2009, connait bien ces questions. Il a défendu, en 1991, avec son homologue australien, le Protocole de Madrid sur la protection de l'environnement en Antarctique, menant à l'interdiction de l'exploitation minérale de ce territoire.
Protéger les populations polaires
Les pôles sont les régions les plus touchées par le changement climatique, en particulier l'Arctique. La fonte des glaces, qui s'est accélérée ces dernières années, menace populations humaines et animales. L'ours polaire, dont le territoire se morcelle et les proies s'amenuisent, devient le symbole du risque qui pèse sur la biodiversité de l'Arctique.
Mais la menace pèse aussi sur les hommes. Les Inuits, et plus largement l'ensemble des habitants de l'Arctique (4 millions de personnes), sont touchés par le dégel du permafrost et doivent s'adapter à un territoire en profonde mutation (déplacements…). Leur survie alimentaire, mais aussi culturelle est en jeu.
Des ressources qui attisent les appétits
L'Arctique est une région riche en hydrocarbures. Dans cette zone, un potentiel de 20 milliards de barils de pétrole et 8.000 milliards de m3 de gaz a déjà été découvert. Les réserves totales sont estimées 200 milliards de barils de brut et à 80.000 milliards de mètres cube de gaz (la consommation actuelle d'hydrocarbures est de 30 milliards de barils de pétrole et 3.000 milliards de m3 de gaz par an).
Cette zone recèle également des minerais (or, rubis, diamants, zinc…). Autant dire que la bataille est rude pour savoir à qui appartiennent ces ressources.
Autre enjeu : depuis 2008, la fonte des glaces a ouvert de nouvelles voies maritimes en Arctique, entre le Japon, la Russie, l'Europe et l'Amérique du Nord. Ces nouvelles routes Nord-Ouest et Nord-Est représentent un risque pour cette région si le trafic devait se densifier. Mais Michel Rocard minimise ce risque. Selon lui, la forte présence d'icebergs dans la zone nécessite l'utilisation de bateaux à coque renforcée et les compagnies d'assurances surtaxent les bateaux s'y risquant. De plus, l'absence d'équipages de secours renforce les risques en cas d'accidents.
Vers une gouvernance mondiale ?
Selon la convention des Nations unies sur le droit de la mer signée en 1982, les eaux arctiques sont la propriété des pays riverains (dans une limite des 200 miles nautiques en bordure de la cote) : Russie, Canada, Etats-Unis (Alaska), Norvège et Danemark. D'autres zones font partie des eaux internationales, aucun pays ne peut donc y exercer son autorité.
Cependant, cette convention, entrée en vigueur en 1994, offre le droit d'étendre le plateau continental jusqu'à 350 miles marins si l'État riverain prouve la continuité du plateau au-delà des 200 miles de base. Cette demande doit intervenir dans les dix ans suivant la ratification de la convention (avant 2009 pour la Russie, 2013 pour le Canada, 2014 pour le Danemark).
Cette course à la souveraineté des eaux arctiques a mené en août 2007 à une action symbolique de la part de la Russie : une équipe de scientifiques russes a planté à 4.621 mètres de profondeur un drapeau russe, dans une zone convoitée, la dorsale de Lomonosov, riche en pétrole. Une manière de revendiquer ce territoire et d'attiser les tensions entre pays riverains.
Dans ce contexte, nombreux sont ceux qui souhaitent un traité de l'Arctique. Les pays riverains refusent cette ''ingérence'' et le conseil de l'Arctique (dont les membres permanents sont le Canada, le Danemark -Groenland et îles Féroé-, Etats-Unis, Finlande, Islande, Norvège, Suède et Russie) opère un ''repli sur soi'', selon les mots de l'ancien premier ministre. Les pays riverains multiplieraient les réunions à cinq.
Face à l'enjeu, l'ONG Cercle polaire a lancé un ''Appel des pôles'', signé par 100 personnalités issues de 40 pays pour demander une meilleure gouvernance des régions polaires.