
Porte-parole du collectif
Actu-environnement : Le Conseil d'Etat a rejeté le recours déposé contre le décret instaurant un moratoire sur le raccordement des projets photovoltaïques. Quelle est votre réaction ?
Ariane Vennin : Je suis déçue mais certainement pas abattue. Le Juge était dans une situation délicate puisqu'il devait arbitrer entre l'intérêt général, la préservation des comptes publics, et des intérêts particuliers, la défense des entreprises qui fermeront du fait du moratoire. En l'occurrence, il n'a pas tranché cette question. Le recours en référé est donc rejeté pour défaut d'urgence. Quant au fond, il sera tranché dans les six à huit mois à venir.
AE : La tension est forte entre les petites et moyennes entreprises et EDF Energies nouvelles (EDF EN), la filiale de l'opérateur historique français. Pensez-vous qu'EDF EN bénéficie des mêmes conditions que ces concurrents ?
AV : Non, EDF EN a effectivement un avantage sur ses concurrents! On est dans un cas typique de conflit d'intérêts. Si officiellement l'entreprise est indépendante de sa maison mère et des filiales de celle-ci, dans les faits cette indépendance est virtuelle. Il y a un premier conflit d'intérêt entre EDF EN et ERDF, la filiale d'EDF en charge du réseau de distribution. Un second conflit d'intérêts existe entre EDF EN et EDF Agence obligation d'achat (EDF AOA), l'entreprise qui achète, au tarif fixé par les pouvoirs publics, l'électricité produite par les panneaux solaires. EDF EN est donc lié indirectement aux deux entreprises qui tiennent les clés du marché : celle qui établit les contrats d'achat et celle qui permet le raccordement au réseau électrique. Ces conflits d'intérêts existent aussi avec d'autres filiale d'EDF.
Concrètement ces conflits d'intérêts se sont traduits par des fraudes qui ont avantagé EDF EN au détriment de ses concurrents.
AE : Vous formulez de graves accusations…
AV : En effet. Cependant j'ai des preuves qui montrent qu'EDF EN et ERDF ont antidaté des documents pour échapper au moratoire. EDF EN s'est présenté chez ERDF le 3 décembre 2010 pour obtenir une proposition technique et financière (PTF) en date du 1er décembre. De la même manière, ils ont antidaté le paiement. Cela leur permet d'échapper à la date couperet fixée par le moratoire, puisque les projets n'ayant pas accepté et payé la PTF avant le 2 décembre tombent sous le coup du moratoire. Les langues commencent à se délier et il semble que Tenesol se soit rendu coupable des mêmes fraudes.
AE : Comptez-vous aller devant les tribunaux ?
AV : Je réserve ma décision, car il y a plusieurs voies possibles. Ces fraudes peuvent être qualifiées de détournement de fonds publics, de faux en écriture ou encore de conflit d'intérêts avec abus de position dominante. Toujours est-il qu'elles se font au détriment d'entreprises qui respectent les règles. Par exemple, il est curieux qu'EDF EN ait obtenu et accepté une PTF en bonne et due forme pour son projet de Beaucaire qui n'est pas très avancé. Dans le même temps, je connais un projet de toiture photovoltaïque, lui aussi à Beaucaire, qui a obtenu le permis de construire et qui est bloqué et compromis faute de PTF. ERDF profite de sa situation pour faire de la rétention et favoriser certains acteurs de la filière et en premier lieu les filiales d'EDF.
AE : Dans le contexte actuel, quel regard portez-vous sur le projet de Beaucaire et en particulier sur sa taille ?
AV : Un projet de plus de 250 mégawatts crête (MWc) est gigantesque et ne devrait pas être concerné par les tarifs d'achat, si la loi était bien appliquée, car seuls les projets de moins de 12 MWc peuvent en bénéficier. Cependant EDF EN a créé des dizaines de filiales pour saucissonner ses gros projets en autant de petits projets de moins de 12 MWc. Cette pratique est totalement contraire à l'esprit de la loi. Il faudrait qu'on revienne à cet esprit et qu'on ne puisse bénéficier du tarif d'achat dès lors que plusieurs petits projets sont sur le même terrain. Il faudrait faire le tri dans les files d'attente ERDF et RTE.
AE : Justement Nathalie Kosciusko-Morizet juge qu'il n'est pas possible de trier les projets…
AV : C'est faux. Les "bons projets" sont déjà ceux qui respectent l'esprit et la forme de la loi. Un premier tri pourrait être effectué simplement en retirant les projets qui utilisent la technique du saucissonnage pour dépasser allègrement le seuil des 12 MWc. De la même manière, il semble qu'il y ait des doublons dans les files d'attente, du fait de doubles enregistrements à cause des pertes de dossiers par ERDF. Là encore, le tri est simple. Via ces deux premières mesures ce sont environ 40% des projets qui pourraient être retirés, selon les évaluations du collectif Touche pas à mon panneau solaire (TPAMPS).
Surtout, il faudrait rendre publique l'intégralité des files d'attente. Etant donnée la place d'EDF dans le système, il n'est pas normal que seules ses filiales ERDF et RTE aient accès à ces données.
AE : Qu'envisagez-vous pour la fin de la concertation ?
AV : Je n'ai pas de grandes attentes, la concertation semble jouée d'avance. Le collectif TPAMPS organise donc une grande manifestation devant le ministère des finances le 11 février à midi. Elle réunira des agriculteurs, des installateurs, des industriels et des écologistes sous le mot d'ordre "L'énergie solaire est notre avenir, défendons la".