
Avocat spécialisé en droit de l'environnement, docteur en droit, enseignant à l'Université Paris I
L'oubli des objectifs du droit de l'environnement
Sauf à considérer que le Président de la République est au-dessus de toutes les lois, il lui faudra respecter les objectifs du droit de l'environnement. L'électeur(trice) est donc en droit d'attendre du programme d'un candidat à l'élection présidentielle qu'il explique comment il compte atteindre les objectifs du droit de l'environnement qui s'imposent à lui, car inscrits dans la Constitution, en droit international ou en droit de l'Union européenne. Pourtant, Marine Le Pen n'a pas souhaité répondre à cette attente. Son programme, intitulé "144 engagements présidentiels" comporte un chapitre intitulé : "Environnement et transition énergétique : la France doit viser l'excellence". Lequel est composé, presque à sa fin, de sept mesures très peu engageantes (131 à 137). La première chose qui frappe à leur lecture tient à leur brièveté alors que la campagne présidentielle a été marquée par le souci de la plupart des candidats de s'exprimer sur ce sujet.
La deuxième chose qui retient l'attention tient à l'absence de tout diagnostic et de toute mention d'aucun des objectifs du droit de l'environnement que le prochain Président de la République devra pourtant poursuivre. Ainsi, pas une ligne, pas un mot sur l'enjeu du siècle, sur le plus grand défi que doit affronter l'humanité depuis sa création : le changement climatique. Par le passé, le Front national a pu hésiter entre le climato-scepticisme ou le climato-négationnisme et s'est opposé à l'Accord de Paris adopté par la COP 21. La candidate elle-même n'a pas clairement admis l'origine humaine des émissions de gaz à effet de serre. Pour prévenir tout débat dans ses propres rangs, elle a donc décidé de ne pas en parler dans son programme.
De la même manière, aucun de ses "144 engagements présidentiels" ne traite de l'objectif de protection de la biodiversité à l'exception d'une mesure sur le bien-être de certains animaux. Aucun des autres objectifs du droit de l'environnement n'est mentionné, qu'il s'agisse du développement durable ou de la transition vers une économie circulaire. Et ce, alors que la transition écologique peut être un facteur formidable de nouvelle prospérité. Dans ces conditions, il est difficile de parler d'un programme écologique alors que celui-ci ne précise jamais comment le prochain Chef de l'Etat réalisera les objectifs qui s'imposent à lui en matière d'environnement.
Une écologie qui poursuit un but non écologique
L'écologie défendue par Marine Le Pen ne poursuit pas un objectif écologique mais un tout autre objectif. Ses engagements n°131 à 137 ont pour seule vocation de nourrir un discours nationaliste. Il est banal de rappeler que les flux de biodiversité, les conséquences du dérèglement climatique et les pollutions terrestres ou maritimes n'ont pourtant pas de frontières et ne peuvent pas être uniquement régulées à l'intérieur des bornes de chaque Etat. Le droit de l'environnement français est presque entièrement composé de règles internationales ou européennes. Pourtant, Marine Le Pen ne présente que des mesures censées renforcer nos frontières et le repli sur soi en plaçant le mot "français" le plus grand nombre de fois.
Au chapitre écologie, Marine Le Pen défend donc l'idée de lutter contre la "mondialisation sauvage", d'agir "directement sur le pouvoir d'achat des Français", de préserver une "filière française du nucléaire", une "filière française de l'hydrogène" et des "filières françaises des énergies renouvelables". L'écologie française version Front national sera défendue grâce à un "protectionnisme intelligent" et au "patriotisme économique" et à la "priorité nationale" donnée au bien-être animal. Cet engagement n°137 sur le bien-être est révélateur. Marine Le Pen ne se préoccupe pas du bien-être de tous les animaux mais surtout de ceux abattus "sans étourdissement préalable". Ce dernier peut bien entendu être débattu et chacun est tout à fait libre de son opinion. Mais cette manière d'insister, à cet endroit, sur l'abattage rituel permet surtout, non de parler d'écologie mais de tenter de créer et de nourrir encore un ressentiment contre des pratiques religieuses stigmatisées par ailleurs. Nous sommes loin d'un débat apaisé sur l'intérêt de tel ou tel engagement pour la protection de notre environnement et de notre santé. Nous sommes en présence du souhait d'alimenter des passions tristes et des clivages stériles.
Des choix dictés par des considérations nationales et imposés d'en haut
En matière d'écologie, une mesure devrait être justifiée au regard de son intérêt pour l'environnement et la santé publique. C'est toutefois un autre curseur qui est employé par Marine Le Pen : une mesure est bonne si elle contribue à la "préférence nationale", mauvaise dans le cas contraire. L'énergie en fournit un bon exemple. Ainsi, si le nucléaire est bon c'est parce qu'il est français, peu important que le combustible utilisé soit produit ailleurs que chez nous. Si la candidate souhaite réduire la part des énergies fossiles, ce n'est pas tant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ou les particules dans l'atmosphère : le but est ici aussi de réduire notre "dépendance" et de se replacer encore et toujours dans le champ lexical du nationalisme.
S'agissant des énergies renouvelables, la candidate est d'accord pour encourager des "filières françaises" sauf pour l'éolien. D'autres responsables du Front national ont pu préciser que le motif d'une demande de "moratoire sur l'éolien" tiendrait, selon eux à son impact pour le paysage. L'éolien n'est donc pas une "bonne" énergie car elle ne correspondrait pas à ce paysage nostalgique et assez largement imaginaire qui semble plaire au Front national. Cette demande d'un moratoire sur l'éolien révèle autre chose : l'idée que le Chef de l'Etat pourrait s'abstraire du respect de toutes les normes qui s'imposent pourtant à lui. Nul besoin de rappeler que le Président de la République n'est pas tout puissant et doit respecter le droit. Or, l'interdiction de l'éolien serait sans aucun doute contraire à des principes constitutionnels et à nos engagements européens et internationaux. Peu importe, il suffit, pour Marine Le Pen, que le prochain Président de la République en décide ainsi. Une conception strictement verticale du fonctionnement de la démocratie qui exclut toute horizontalité et tout dialogue environnemental. Qui peut même exclure le respect du droit.
En conclusion, l'écologie de Marine Le Pen n'est pas une "écologie minimale" mais bien une "non-écologie". Les engagements précités, au prix parfois d'un détournement d'idées comme celle des circuits courts en agriculture et de contradictions, n'ont pas pour but de défendre l'environnement, son droit et notre santé publique. Le but est toujours d'alimenter un rejet de l'autre et une exaltation du repli sur soi. Une démarche qui ne s'embarrasse pas du droit de l'environnement et nourrit une vision déprimante de ce qui pourrait pourtant dessiner un avenir enthousiasmant pour les générations présentes et à venir.
Tribune proposée par Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement, docteur en droit, enseignant à l'Université Paris I