« Aujourd'hui, l'artificialisation des sols progresse d'environ 8,5 % par an, soit une augmentation équivalente à un département français moyen en moins de 10 ans entre 2006 et 2015 », rappelait la Convention citoyenne pour le climat dans son rapport final dévoilé en juin 2020. Ses membres ajoutaient : « Le rythme d'artificialisation au profit du béton doit (…) cesser tant qu'il existe des possibilités d'urbaniser dans l'enveloppe urbaine existante ».
Pour mettre en œuvre cet objectif, les conventionnels ont formulé plusieurs propositions fortes, dont l'interdiction d'aménagement de zones commerciales péri-urbaines ou l'expropriation des friches délaissées depuis plus de 10 ans. Parmi leurs propositions figure aussi celle-ci : « définir une enveloppe restrictive du nombre d'hectares maximum pouvant être artificialisés réduisant par deux l'artificialisation des sols ». Souhaitant honorer la promesse du président de la République d'une reprise sans filtre des propositions de la Convention, le Gouvernement a repris cette préconisation dans le projet de loi qu'il doit présenter le 10 février en Conseil des ministres. Les aménageurs s'en inquiètent. Preuve que la mesure pourrait être efficace.
Mettre la France sur la trajectoire du zéro artificialisation nette
« La loi permet (…) de mettre la France sur la trajectoire du zéro artificialisation nette », annonce l'exposé des motifs du projet de loi. Un objectif qui figure dans le plan biodiversité présenté par Nicolas Hulot en juillet 2018. Pour amorcer cette trajectoire, le projet de loi définit tout d'abord la notion d'artificialisation : « Est considéré comme artificialisé un sol dont l'occupation ou l'usage affecte durablement tout ou partie de ses fonctions. Les surfaces de pleine terre ne sont pas considérées comme artificialisées ».
Les collectivités locales souhaitant ouvrir de nouveaux espaces à l'urbanisation devront « démontrer qu'il n'existe pas de parcelle disponible pour leur projet dans l'enveloppe urbaine existante », explique aussi Matignon.
La conformité des documents d'urbanisme repoussée
Le projet de loi prévoit d'intégrer l'objectif de réduction du rythme d'artificialisation dans les documents de planification régionale (Sraddet). « Le choix de l'échelon régional permet de mettre en œuvre la trajectoire à une échelle suffisante pour organiser les équilibres territoriaux, sans donner d'avantage aux communes qui auraient beaucoup artificialisé ces dix dernières années », explique Matignon. L'objectif sera ensuite décliné de manière progressive dans les documents d'urbanisme au niveau intercommunal ou communal (Scot, PLUi, PLU) « en fonction des besoins réels pour le logement et les activités économiques, le potentiel de reconversion des terrains déjà artificialisés, et en veillant à optimiser au mieux tout foncier utilisé ».
La demande des conventionnels de rendre les PLUi et PLU conformes aux Scot n'est en revanche pas reprise. C'est donc un simple lien de compatibilité qui s'appliquera entre les différents documents. « Un rapport de conformité (…) ne permettrait pas juridiquement à ces documents d'être plus ambitieux et instituerait la tutelle d'une collectivité sur une autre, ce que la Constitution ne permet pas », arguent les services du Premier ministre.
Malgré tout, l'impact de ces dispositions sur l'artificialisation des sols pourrait être important. Dans un rapport publié en mars 2017, les missions régionales d'autorité environnementale (MRAe), très bonnes observatrices du contenu des documents d'urbanisme élaborés par les collectivités, avaient montré que leur impact sur l'artificialisation des sols était largement sous-évalué. « L'urbanisation n'est pas vue comme un problème environnemental mais comme une question administrative», déplorait Alby Schmitt, président de la MRAe du Grand-Est.
Inquiétude des professionnels
Les conséquences de ces dispositions sur l'artificialisation peuvent se mesurer à l'aune des craintes des aménageurs. Une table ronde consacrée à l'objectif « zéro artificialisation nette », organisée le 7 janvier dernier par la Fédération des Scot et l'Union nationale des aménageurs (Unam), a permis de prendre la mesure des inquiétudes soulevées par le projet de loi. Sur le concept de convention citoyenne d'abord, François Rieussec, président de l'Unam, s'est dit « interloqué que 150 citoyens tirés au sort puissent donner des directives à 60 millions de Français ». Le représentant des professionnels de l'aménagement a dénoncé « une mayonnaise intellectuelle » qui risque de « générer une sorte de guerre civile contre les aménageurs dans les territoires ».
Moins hostile au projet de loi, Michel Heinrich, président de la Fédération des Scot, estime toutefois la réforme « trop brutale, trop techno » et « ignorant ce qui a déjà été fait ». Le président de cette fédération d'élus représentant les collectivités porteuses de Scot appelle le Gouvernement à évoluer sur quatre points : la prise en compte de la fiscalité pour la rendre « incitative et intelligente », un transfert des aides à la pierre au bloc communal afin de pouvoir anticiper sur les inégalités sociales, la prise en compte de la qualité de l'aménagement dans la politique de sobriété foncière et, enfin, la nécessité de faire davantage confiance aux élus locaux.
Mais si les professionnels de l'aménagement dénoncent la brutalité des mesures, les associations de protection de l'environnement estiment au contraire qu'elles ne vont pas assez loin. Le projet de loi « ne peut, en aucun cas, être considéré comme une reprise, par voie législative, des recommandations des citoyens », juge ainsi le Réseau Action Climat (RAC), qui fédère 25 associations. Le moratoire sur les zones commerciales en périphérie, explique-t-il, exclut les entrepôts de e-commerce et prévoit une possibilité de dérogation pour les surfaces de moins de 10 000 m2. « Ce seuil est beaucoup trop élevé, 80 % des projets de zones commerciales faisant moins de 10 000 m2», déplore l'ONG.