Les cinq textes réformant l'agrément des organisations de protection de l'environnement et définissant les critères de leur représentativité, publiés le 13 juillet 2011, ont suscité les critiques d'une vingtaine d'ONG "consternées". En cause, les critères de représentativité qui priveraient les lanceurs d'alertes environnementales de la représentativité.
Renouvellement
Le principal décret ne serait pourtant que "la traduction stricte d'un engagement du Grenelle", estime Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Ecologie, ajoutant qu'il"se contente de toiletter le cadre réglementaire de l'agrément, avant tout pour mettre en place un système de renouvellement périodique". On peut cependant se demander si l'introduction de la périodicité n'est pas une réforme bien plus profonde que le "toilettage" évoqué.
Pour obtenir ou renouveler l'agrément ministériel, les ONG doivent satisfaire un certain nombre de critères relatifs à la nature de leurs activités et à leur fonctionnement. Or, une rédaction ambiguë laisse planer un doute sur les critères retenus et la façon dont ils seront évalués pour accorder l'agrément.
Cotisations
Le décret réclame en premier lieu "un nombre suffisant […] de membres, personnes physiques, cotisant". Le texte se base donc sur la notion de cotisation, et l'arrêté précisant les pièces à fournir insiste sur ce point. Or, légalement, une association est un contrat et les membres sont les personnes qui adhèrent à son objet, qu'ils cotisent ou non. Ainsi, certaines ONG, notamment Greenpeace, se basent avant tout sur des donateurs, et non pas des cotisants, qu'elles assimilent à leurs membres. Une option parfaitement légale, mais qui, à la lecture des nouveaux textes, pourrait compliquer le renouvellement de l'agrément de l'association.
Selon un responsable associatif, cet aspect aurait suscité des interrogations, voire des inquiétudes, chez les ONG. L'administration ne comptabilisera-t-elle que les cotisants ? Enfin, qu'est-ce qu'un "nombre suffisant" ?
Non lucratif
Par ailleurs, le texte évoque "l'exercice d'une activité non lucrative". Une formulation curieuse, car si les associations sont à but non lucratif, cela n'interdit pas d'exercer des activités lucratives. Non seulement cela n'est pas incompatible, mais il s'agit aussi d'un moyen d'assurer une indépendance financière, comme l'a expliqué à l'antenne de France Culture Roland Desbordes, président de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad).
Le fait que la Criirad et de nombreuses ONG, comme France nature environnement (FNE), aient des activités lucratives, souvent basées sur des missions de conseil, pourrait-il justifier un refus d'agrément ? Quelle proportion d'activité lucrative sera au contraire acceptée ?
Participation effective
Enfin, le texte exige la "participation effective" des membres à la "gestion". Ce critère est lourd de conséquence pour les associations s'appuyant sur une équipe de salariés et en particulier pour celles liées à une organisation internationale qui coordonne les stratégies nationales, telles que Greenpeace.
Dans les faits, il existe de nombreuses façons d'organiser la prise de décision démocratique en s'appuyant sur divers organes et en organisant leurs relations. Pour les associations issues d'organisation internationales, les campagnes menées nationalement sont décidées à la fois par les membres, les salariés locaux et par l'instance internationale. La répartition des pouvoirs varie selon le caractère plus ou moins local des thèmes, la stratégie globale et la gestion plus ou moins pyramidale. Quel sera le bon équilibre aux yeux de l'administration qui entend s'appuyer sur la participation de la base des adhérents français ?
Enfin, le terme "gestion" pourrait impliquer une participation des membres qui au-delà des choix stratégiques s'intéresse aussi à certains aspects de la vie quotidienne des associations. Jusqu'à quel point les adhérents devront-ils s'immiscer dans la gestion ? Le contrôle des comptes sera-t-il suffisant ?
Agrément discrétionnaire et négociation
En réalité, "l'agrément ministériel est discrétionnaire" explique Laurent Samuel, consultant associatif, ajoutant qu'"avec ces textes, il le reste". Effectivement, l'attribution des agréments est une mesure discrétionnaire placée sous le contrôle de la Justice qui peut être saisie d'un recours pour excès de pouvoir. Reste que les recours peuvent être longs et nécessitent un minimum de moyens et d'expertise juridique.
Interrogé sur les difficultés que pourraient rencontrer certaines ONG face à ces critères, le ministère de l'Ecologie répond que "l'administration aura une discussion approfondie avec ces ONG". Le décret stipule en effet que "l'association est préalablement informée des motifs susceptibles de fonder l'abrogation et mise en mesure de présenter ses observations".
Reste que la négociation pourrait jouer en défaveur des associations. A l'échéance de l'agrément, faute d'une réponse favorable des services administratifs la demande de renouvellement est considérée comme rejetée. Ainsi, le temps jouera en défaveur des associations qui devront impérativement satisfaire aux exigences de l'administration avant la date couperet.
Renouvelable
Comme l'a rappelé Nathalie Kosciusko-Morizet, le texte introduit un agrément renouvelable, une mesure qui ne semble pas déplacée, puisque certaines ONG bénéficient d'un agrément reçu il y a plus de 40 ans.
Néanmoins, le calendrier comporte une coïncidence bien dangereuse. Les ONG agrées avant 1990 devront postuler pour le renouvellement mi 2012 et les autres en 2013. Ainsi, à l'issue de la Présidentielle de 2012, le prochain ministre de l'Ecologie aura la lourde charge de faire appliquer les critères d'agrément et d'attribuer les renouvellements.
Le nouvel agrément étant quinquennal, chaque Présidentielle s'accompagnera d'un passage au crible des associations et des "discussions approfondies" évoquées par le ministère s'agissant des ONG qui auraient des difficultés à se conformer à la grille de lecture du décret établie par le nouvel exécutif. Et cela tant que le rythme quinquennal du renouvellement de l'exécutif et du Parlement ne se dérègle pas.
"Les textes n'ont pas été conçus comme un outil de contrôle des associations", assure le ministère de l'Ecologie. Il semblerait pourtant qu'il en offre les moyens et rien ne garantit que le futur exécutif soit bien disposé vis-à-vis des associations.
Arène politique
"Il faudrait assumer dans l'arène politique le refus d'agrément", souffle un responsable associatif. S'il paraît difficile de défendre le retrait d'un agrément, rien n'indique que cela soit impossible, en particulier s'agissant des ONG les moins connues du grand public.
La précaution eut été de le prévenir ce risque en proposant soit des règles suffisamment claires soit une plus grande pérennité des agréments ou un cadre de renouvellement indépendant du calendrier politique.
Enfin on notera que depuis le Grenelle certaines voix se sont élevées contre les ONG environnementales et la place qu'elles occupent aujourd'hui. Des critiques qui viennent parfois des plus hautes sphères du pouvoir, à l'image du rapport parlementaire sur l'agrément. De même, que penser du qualificatif "intégristes" utilisé par Nicolas Sarkosy à l'encontre de certaines associations militant contre les algues vertes ou de sa prise de position contre "l'intolérance [et le] sectarisme de certaines prises de position" opposées aux camions de 44 tonnes.
Un message que les associations visées pourraient entendre comme une menace.