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“Il faut cesser d'avoir peur que les gens partent”

La migration est parfois la solution la plus raisonnable, selon Dina Ionesco, chef de la division Migration, environnement et changement climatique à l'Organisation internationale pour les migrations. La co-auteure de l'Atlas des Migrations environnementales nous détaille son point de vue.

Interview  |  Gouvernance  |    |  A. Sinaï
   
“Il faut cesser d'avoir peur que les gens partent”
Dina Ionesco
Chef de la division Migration, environnement et changement climatique à l'Organisation internationale pour les migrations
   

Actu-Environnement : Comment identifier les migrants environnementaux ?

Dina Ionesco : C'est paradoxal, car la question climatique est évidente et en même temps on a du mal à créer un statut environnemental pour les migrants. Car le climat est un enjeu multiforme : il recouvre typhons, tempêtes, catastrophes naturelles, mais aussi événements très lents souvent invisibles tels que chaleur excessive, stress hydrique, acidification des océans, montée des eaux, salinisation des terres. Le plus souvent, on observe un enchevêtrement de problématiques politiques, sécuritaires et économiques. Derrière un conflit, il peut y avoir un problème environnemental, les facteurs sont mêlés et notre difficulté, c'est de les isoler. Or le migrant environnemental existe quand l'environnement est la cause principale de cette migration, mais il ne reçoit pas de statut juridique. Quant à l'afflux de migrants environnementaux vers le Nord, c'est un mythe. Les migrations se font du Sud au Sud principalement.

AE : Est-il possible, voire souhaitable, de donner un statut à ces migrants ?

DI : Beaucoup de migrations sont internes. Les migrations temporaires deviennent une stratégie essentielle pour s'adapter à des saisons de plus en plus sèches ou humides. Elles relèvent donc de politiques nationales agricoles et d'initiatives inter-régionales. La Convention de Kampala de 2009 pour la protection et l'assistance aux personnes déplacées internes en Afrique, entrée en vigueur en 2012, a lancé un signal décisif. En 2014, 22 Etats avaient ratifié ce premier instrument législatif régional contraignant. La plupart des gens veulent rester à l'intérieur de leur pays. Il faut donc définir le niveau le plus à même de proposer des solutions. Au niveau international se pose la question du type de statut, étant donné la multi-causalité des migrations. Les migrants environnementaux, même dans les cas flagrants de migration forcée, ne relèvent pas de la Convention de Genève, qui s'applique uniquement au cas où il est possible de démontrer une forme de persécution. Il ne faut donc pas se focaliser sur une définition stricte des migrants environnementaux, car on risque de rencontrer des blocages de la part des Etats.

AE : Quelles sont les alternatives ?

DI : D'autres statuts peuvent convenir aux migrants environnementaux : ceux-ci peuvent recevoir une protection temporaire, par exemple, les déplacés de Haïti ont pu trouver refuge au Brésil et aux Etats-Unis. Il faut penser ce type de protection plutôt à un niveau bilatéral. 40 pays n'ont pas renvoyé les gens chez eux après une catastrophe. L'agenda de l'initiative Nansen, adoptée par 109 Etats l'année dernière, déploie un ensemble de bonnes pratiques d'Etats qui ont accepté des migrants sur une base temporaire. La politique migratoire en tant que telle peut aussi offrir des possibilités. L'approche plus flexible du droit "mou" (soft law) paraît une solution plus viable pour les Etats, qui privilégient les solutions non contraignantes. Quant à l'Université de Limoges, elle a proposé un projet de convention relative au statut international des déplacés environnementaux qui détaille avec précision les mécanismes et institutions aptes à assurer une protection aux individus concernés. Reste que les Etats veulent garder leurs prérogatives. C'est ce que nous observons au sein de l'Organisation internationale des migrations (OIM). Nous proposons un éventail de solutions visant à faciliter les migrations : visas d'entrée avec plusieurs entrées, protection temporaire, accord bilatéraux facilités, toutes ces formes répondent aussi à la question de la migration environnementale.

AE : Le mécanisme de pertes et dommages entériné à la COP 21 marque-t-il un progrès ?

DI : Ce mécanisme signale l'arrivée de la question migratoire dans les politiques du climat. Depuis 2007, l'OIM a un statut d'observateur au sein de la convention cadre des nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Nous constatons que les discussions ont beaucoup progressé. Mais il faut continuer, car la notion de pertes et dommages recouvre d'abord les migrations forcées, les catastrophes irréversibles, qui ne sont qu'une partie du problème. Il importe que les populations puissent se prémunir des catastrophes par des stratégies d'adaptation, dont la migration est un élément clé. Partir est une manière de s'adapter. Il faut cesser d'avoir peur que les gens partent. Parfois, c'est la solution. En leur permettant de partir, on prévient les catastrophes au lieu de les guérir.

AE : Quelles sont les bonnes pratiques en matière de facilitation des migrations ?

DI : Le coût de l'inaction sera encore plus colossal au 21ème siècle que le coût de l'adaptation, qui vise à réduire les vulnérabilités des populations. Notre Atlas (1) recense plus de 150 exemples de politiques, dont plus de 60 exemples de politiques migratoires qui intègrent le climat, 23 bonnes pratiques nationales et régionales, et aussi des bonnes pratiques qui montrent le lien entre déplacement et réduction des risques des catastrophes. Ce qui est troublant, c'est que migration et adaptation évoquent deux choses opposées. Or on peut aider les gens à rester chez eux à travers des politiques d'adaptation, ce qui limite la pression migratoire, comme en Azerbaïdjan où la réintroduction du système d'irrigation traditionnel soutient l'agriculture locale dans un contexte de sécheresse et prévient l'émigration. En Afrique de l'Ouest, on investit dans la reforestation, l'agriculture, des systèmes de pêche différents, tout cela permet aux gens de ne pas partir. Inversement, d'autres politiques d'adaptation aident les gens à partir, comme c'est le cas pour la Colombie. Grâce à un accord bilatéral, des paysans issus de zones très dégradées ont pu aller en Espagne temporairement, puis revenir et investir dans leur terre. En Italie, un programme financé par la coopération italienne aide des travailleurs migrants à réinvestir au Sénégal. A la COP 21, nous avons proposé que les transferts de fonds des diasporas fassent partie du mécanisme d'adaptation. Fait significatif, les droits des migrants sont reconnus dans le préambule de l'Accord de Paris. Il importe de les visualiser dans leur aspiration réelle qui est de retourner chez eux et de participer à des dynamiques de développement local. Inversement, un environnement trop dégradé empêche de revenir. C'est le cas dans certaines régions d'Irak en raison du manque d'eau.

AE : De quels systèmes d'assurances peuvent se prévaloir les populations les plus vulnérables ?

DI : Nous avons travaillé avec la Banque asiatique de développement, avec Munich Re et avec l'ensemble des assureurs qui contribuent à la CCCNUC. La Banque asiatique de développement a intégré les risques liés à la migration et les mécanismes de gestion des risques qui peuvent y répondre, via notamment son intéressante politique sur la réinstallation involontaire. Celle-ci encadre la réinstallation lors des dégradations environnementales irréversibles en l'accompagnant de mécanismes financiers de prévention et de compensation. Certains mécanismes de micro-assurance, en Inde par exemple, permettent d'assurer les biens des plus pauvres et de mieux préparer les populations aux déplacements causés par des phénomènes climatiques extrêmes. En Ethiopie, un mécanisme offre un filet de sécurité aux populations exposées à la sécheresse et à la famine. D'autres produits innovants permettent de mutualiser les risques en les transférant vers les marchés financiers, comme les catastrophe bonds, utilisés en réponse à des phénomènes extrêmes, ou les weather derivatives liés à des phénomènes mesurables comme les vagues de chaleur ou les changements pluviométriques. Les fonds ainsi générés peuvent soutenir des pays ou des régions frappés par une catastrophe. L'assurance est un domaine clé, mais comme elle reste au niveau du secteur privé, se pose la question de la tenabilité du modèle.

AE : Quelles sont les prochaines étapes ?

DI : A l'OIM, nous suivons tous les processus politiques, les grandes conférences de financement, mais en même temps nous veillons à rester très concrets et à développer des programmes de terrain adaptés à des contextes spécifiques. En l'occurrence, nous souhaitons accéder au Fonds vert afin de mettre en œuvre la question de la mobilité dans les politiques globales du climat. Il est paradoxal que la migration ait été longtemps oubliée alors que c'est la dimension humaine du changement climatique.

1. Atlas des Migrations environnementales, co-écrit par Dina Ionesco, François Gemenne et Daria Mokhnacheva (Presses de Sciences Po, mars 2016)

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