Jeudi 4 octobre 2012, la Commission européenne a présenté sa communication au Conseil et au Parlement relative aux stress tests appliqués aux centrales nucléaires de l'Union européennes. Ce document est accompagné d'un résumé technique sur la mise en œuvre des stress tests. La communication a été qualifiée de "compromis entre pro et anti-nucléaires" par le commissaire à l'Energie, Gunther Oettinger.
"Les normes de sûreté des centrales nucléaires en Europe sont en général élevées, mais des améliorations sont recommandées pour divers éléments de la sûreté dans pratiquement toutes les centrales nucléaires européennes", estime la Commission ajoutant que "les autorités nationales de sûreté sont néanmoins parvenues à la conclusion qu'aucune fermeture de centrale n'était nécessaire". La Commission évoque en particulier cinq domaines dans lesquels des améliorations sont possibles.
Concrètement, elle déplore que la Commission ait travaillé sur les documents fournis par les régulateurs sans les associer. "L'ASN, comme les autres autorités de sûreté européennes, n'a pas été associée à la préparation des documents publiés par la Commission le 4 octobre", regrette-elle.
Pire, aux yeux de l'ASN, la Commission n'a pas retenu certaines préconisations défendues par l'Autorité française. C'est tout particulièrement le cas de la force d'action rapide proposée par EDF et figurant en bonne place parmi les quatre principales recommandations de l'ASN.
Enfin, alors que la Commission annonce la mise en œuvre de plans d'action nationaux, l'ASN rappelle que les régulateurs européens ont déjà établi un plan d'action européen via le groupe à haut niveau de l'Union européenne sur la sûreté nucléaire et la gestion des déchets (Ensreg). "[Les régulateurs] appellent les chefs d'Etat et de gouvernement à confirmer ce plan d'action, lors du Conseil européen des 18 et 19 octobre 2012", conclut l'ASN.
En premier lieu, "les normes actuelles pour le calcul des risques ne sont pas appliquées dans 54 réacteurs (dans le cas du risque sismique) et dans 62 réacteurs (pour le risque d'inondation) sur les 145 contrôlés", déplore la Commission, précisant que "le calcul du risque devrait être basé sur une période de 10.000 ans et non sur les périodes bien plus courtes qui sont parfois utilisées".
Le tableau récapitulatif du rapport technique pointe ici directement le parc nucléaire français. Seulement 6 réacteurs français satisfont à la norme de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour le calcul du risque sismique (Civaux 1 et 2, Flamanville 1 et 2 ainsi que Saint-Alban 1 et 2) et aucun pour le risque inondation.
Par ailleurs, "les exigences relatives aux séismes de référence ont été développées en tenant compte de la réglementation française, basée sur une approche déterministe", explique le rapport technique, rappelant que "l'AIEA recommande de conduire à la fois une approche déterministe et une approche probabiliste". Le document "recommande" à l'Autorité française de sûreté nucléaire (ASN) de se conformer à cette règle afin d'"établir des bases plus robustes pour les exigences relatives aux séismes de référence". A noter que mis à part la France, seule la Roumanie est pointée du doigt sur ce thème qui constitue le coeur des audits de sûreté.
Quant aux marges de sécurité par rapport aux seismes et inondations de référence, elles "ont été évaluées approximativement" par EDF, estime le rapport technique qui "recommande au régulateur d'appliquer une évaluation plus systématique".
La dernière critique relative aux risques naturelles concerne la prise en compte limitée de certains événements extrêmes. "Le régulateur a demandé à l'opérateur d'analyser les phénomènes climatiques liés aux inondations", rappelle le document technique, qui recommande d'évaluer aussi les risques liés aux tornades, aux pluies torrentielles, aux températures extrêmes et la combinaison de ces évènements.
Revoir les règles de conduite accidentelle
L'évaluation des risques n'est pas seule en cause puisque "des instruments sismiques in situ pour mesurer et donner l'alarme en cas de risque de séisme devraient être en place dans chaque centrale", estime la Commission. Ici ce sont 122 réacteurs qui ne répondent pas à cette exigence. Si les 58 réacteurs français sont concernés, l'installation de ces équipements est cependant planifiée.
Une dernière lacune concerne une grande partie des sites français : les règles de conduite en cas d'accident sévère ne couvrent pas l'ensemble des situations possibles, du fonctionnement à pleine puissance jusqu'à l'arrêt total. Dix centrales françaises, regroupant 24 réacteurs, sont incriminées.
Les trois autres lacunes mises en avant par la commission ne concernent aucun réacteur français. Il s'agit de l'absence de systèmes d'éventage-filtration pour l'enceinte de confinement qui permettent de relâcher la pression à l'intérieur de l'enceinte en cas d'accident (32 réacteurs européens), du non respect de l'entreposage équipements destinés aux interventions d'urgence en cas d'accident dans des locaux protégés même en cas de destructions généralisées (81 réacteurs) et de l'absence d'une salle de commande de secours utilisable en cas d'inaccessibilité de la salle principale de commande (24 réacteurs).
Plans d'action nationaux
Les commentaires de la Commission ne se limitent pas aux aspects négatifs puisque le rapport reprend aussi un certain nombre de bonnes pratiques. Ici, la France se distingue pour la redondance et la bonne séparation physique des moteurs diesel de secours.
De plus, la France a indiqué mettre en œuvre trois aspects considérés comme des bonnes pratiques : mettre en place un niveau de sécurité supplémentaire totalement indépendant des systèmes de sécurités habituels et situés dans des zones protégés, disposer d'équipement mobiles, notamment des moteurs diesel, pour répondre à une éventuelle coupure électrique et établir un centre de gestion de crise sur les sites nucléaires. Autant de bonnes pratiques qui valent pour l'ensemble des centrales françaises, indique la Commission européenne.
Sans grande surprise, après avoir pointé les lacunes et les bonnes pratiques, la Commission entend "[assurer] un suivi étroit de la mise en œuvre des recommandations et [proposer] parallèlement des mesures législatives visant à renforcer encore la sûreté nucléaire en Europe". La communication estime, sur la base des chiffres avancés par l'ASN, que le coût de ces travaux est évalué entre 10 et 25 milliards d'euros pour l'ensemble du parc européen.
Concrètement, la Commission annonce l'élaboration par les autorités nationales de sûreté nucléaire de "plans d'action nationaux assortis de calendriers de mise en œuvre". Ces plans seront évalués par les pairs "début 2013", pour s'assurer de leur conformité avec les recommandations. Un rapport sur la mise en œuvre des plans est annoncé pour juin 2014. Cependant, cette volonté pourrait être entravée par le fait que la Commission ne puisse pas imposer de tels plans aux Etats membres.
Protéger les habitants autour des centrales
Par ailleurs, "la Commission a analysé le cadre légal européen en vigueur dans le domaine de la sûreté nucléaire", indique l'exécutif européen ajoutant qu'il "présentera début 2013 une révision de la directive sur la sûreté nucléaire". Les modifications proposées devraient concerner les exigences de sûreté, le rôle et les prérogatives des autorités nationales de sûreté ainsi que la transparence.
De même, "viendront ensuite d'autres propositions sur l'assurance et la responsabilité dans le domaine nucléaire et sur les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux". A ce sujet, la Commission s'inquiète de l'indemnisation des éventuelles victimes d'un accident nucléaire. Elle entend donc proposer un cadre légal afin d'améliorer la situation.
Le sujet n'est pas anodin puisque, selon les calculs de la Commission, dans les 15 Etats membres de l'UE disposant de réacteurs nucléaires, 47 centrales, regroupant 111 réacteurs, ont plus de 100.000 habitants dans un rayon de 30 km des sites. Un constat qui conduit la Commission à envisager de nouvelles mesures de protection des populations et qui pose aussi des questions en terme de réaction en dehors du périmètre des centrales en cas d'accident nucléaire. Une étude sur l'organisation des secours autours des centrales, en particulier pour les sites à proximité des frontières, devrait être menée en 2013.