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Aviation, automobile : « L'aide d'État doit prendre la forme d'un prêt indexé sur la performance climatique »

Alors que l'Europe a validé les aides françaises accordées à Air France ou encore à Renault, il est encore possible d'indexer ces prêts à la performance carbone des entreprises. Détails avec Gérald Maradan, directeur général du cabinet Ecoact.

Interview  |  Gouvernance  |    |  F. Roussel
   
Aviation, automobile : « L'aide d'État doit prendre la forme d'un prêt indexé sur la performance climatique »
Gérald Maradan
Directeur général du cabinet Ecoact
   

Actu-environnement : Vous conseillez beaucoup d'entreprises dans leur stratégie RSE et climat. Constatez-vous un manque d'investissement en la matière depuis le début de la crise économique ?

Gérald Maradan : Nous avons eu des craintes, car lors de la crise de 2008, tous les robinets ont été coupés concernant la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ce fut considéré comme des investissements « non prioritaires » et ils ont été reportés. Cette fois, ce n'est pas ce qu'on a vu.

Les entreprises mettent de plus en plus la priorité sur la RSE. Peu ont stoppé leurs investissements. Nombre d'entre elles ont confirmé que la RSE restait une priorité et ce, dans tous les secteurs d'activités.

Tout se joue au niveau de la gouvernance de l'entreprise. Certains dirigeants considèrent que c'est vraiment stratégique. C'est particulièrement vrai dans le secteur aérien, pourtant durement frappé par la crise. Sur les dix compagnies aériennes que nous accompagnons, pas une seule n'a stoppé sa politique RSE malgré une situation financière très délicate en ce moment.

AE : Comment expliquez-vous ce changement d'attitude en une décennie ?

G.M. : L'Accord de Paris est passé par là. La prise de conscience s'est généralisée et elle s'est accélérée. Nous avons maintenant un cap international. Beaucoup en ont désormais conscience. Selon le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), il faut réduire nos émissions de 45 % entre 2010 et 2030 pour espérer rester sous le 1,5°C de réchauffement planétaire. Alors il n'est pas question de provoquer un rebond d'émissions en sortie de crise, comme en 2009.

Suite à la crise de 2008, le constat environnemental mondial a été catastrophique : après une chute de 1,3 % des émissions de carbone, l'année suivante avait connu un rebond de presque +6 % et une croissance moyenne de 3 % par an entre 2000 et 2010. On ne veut surtout pas vivre la même chose qu'il y a dix ans. Il faut donc que les plans de relance soient axés en grande partie sur le climat et la protection de la biodiversité, et qu'ils intègrent les objectifs de neutralité carbone de l'Accord de Paris sur le climat.

AE : Pourtant l'État français n'a pas associé ses aides financières à des contreparties environnementales très fortes. Comment l'expliquez-vous ?

G.M. : Sous la pression, l'exécutif a voulu mettre en place certaines choses dans l'urgence. Au final, la loi de finance rectificative d'avril prévoit que les prêts accordés ou garantis par l'État soient conditionnés à une pleine intégration des objectifs de RSE dans la stratégie des entreprises aidées, notamment en matière de lutte contre le changement climatique. Dans un an, le Gouvernement devra produire un rapport sur l'utilisation de ces fonds et le Haut conseil pour le climat (HCC) devra rendre un avis sur ce document.

Tout cela reste flou. Dans l'urgence, l'exécutif a bien tenté de mettre des contraintes mais elles ne sont pas assez fortes. Ce qui a été mis en place reste très largement cosmétique. Les grandes entreprises, déjà sensibilisés à la RSE et à la lutte contre le changement climatique, justifieront sans problème leurs engagements. Cette contrepartie aura donc un effet très limité.

Pourtant, on aurait pu aller beaucoup plus loin parce qu'on a les moyens de créer un outil financier innovant en la matière.

AE : Comment, concrètement, l'État aurait-il pu faire ?

G.M. : Il aurait pu instaurer un Prêt à Impact Climat par exemple. C'est encore possible. Il faut conditionner le prêt au respect d'une trajectoire de réduction des émissions de carbone compatible avec l'Accord de Paris. En indexant les taux d'intérêt sur cette trajectoire CO2, l'entreprise aurait tout intérêt à la respecter puisque son prêt serait bonifié. Plus sa trajectoire collerait à l'Accord de Paris, moins elle rembourserait, car les taux d'intérêt seraient plus bas. Les volumes financiers en jeu peuvent être incitatifs. Avec 1 milliard d'euros empruntés sur dix ans, un taux d'intérêt variant de 1 % représente 52 millions d'euros à rembourser, en plus ou en moins. Les entreprises les plus vertueuses seraient les grandes gagnantes.

Adopter une trajectoire compatible avec un réchauffement de 2°C dans le cadre de l'Accord de Paris devient rentable pour l'entreprise.

Surtout que nous avons les instruments à portée de main. Le suivi de la trajectoire dit « science-based-target » (SBT) de l'entreprise, mesuré par un bilan carbone annuel, en est un premier exemple. Avec cette approche, il est possible, pour chaque entreprise, de déterminer son objectif de réduction d'émission pour qu'il soit en cohérence avec l'Accord de Paris, et de vérifier, année après année, le respect de la trajectoire.

AE : Ce type de prêt se pratique-t-il déjà ?

G.M. : Un tel montage financier serait une innovation majeure dans le domaine de la finance. Il aurait été construit autour d'un objectif universel et transversal en termes sectoriel. Toutes les entreprises aidées par l'État auraient pu y être soumises. De plus, avec cet outil, l'État n'est pas obligé de rentrer dans la stratégie de l'entreprise ; il leur laisse le choix des moyens. Et c'est tant mieux, car l'État ne peut pas connaître quelle est la meilleure stratégie pour chaque entreprise. Laissons-leur le choix mais en revanche vérifions l'évolution des émissions de carbone et le respect de la trajectoire.

Une autre piste aurait pu être étudiée : l'État aurait pu aussi échelonner ses prêts en fonction d'objectifs prédéfinis comme la publication du bilan carbone complet de l'entreprise sur les scopes 1, 2, 3 (émissions directes et indirectes). Même si les entreprises de plus de 500 salariés en ont l'obligation, toutes ne le font pas, et encore moins sur tous les scopes.

Un autre objectif aurait pu être l'adoption d'un objectif de réduction d'émissions de CO2 sur le long terme, dit « science-based-target », ou encore la présentation d'une stratégie climat qui suit les recommandations de la TCFD (Task Force on Climate related Financial Discolure) qui visent à intégrer le risque climatique dans sa stratégie d'entreprise. Les aides auraient été débloquées à chaque étape respectée.

L'État a préféré mettre un critère d'exemplarité de la politique RSE. Quid des critères précis ? C'est une approche trop large dans laquelle se retrouvent noyés de multiples éléments sociaux et environnementaux. C'est le grand flou. Il aurait été préférable d'avoir un axe clair. Le changement climatique me semble le plus simple. Lutter contre fait par ailleurs progresser de nombreux autres critères.

AE : Comment l'État pourrait-il vérifier le niveau d'ambition de la politique RSE des entreprises et, par conséquent, le respect de la contrepartie ?

G.M. : On ne peut pas juger une politique RSE dans sa globalité car c'est multifactoriel et spécifique à l'entreprise. Avec ce qui a été mis en place, il n'y a aucune incitation à faire mieux que ce qui est déjà fait. Car certaines des entreprises aidées par l'État ont déjà une politique RSE très élaborée. Je suis convaincu que les dirigeants auraient accepté d'avoir une incitation ou une contrainte plus forte, surtout si les conditions des aides avaient été bonifiées par le respect des contreparties.

Il y aurait pu y avoir une discussion pour définir les critères à améliorer. On aurait pu créer de nouveaux outils financiers. L'État a manqué cette occasion, par manque de discussions, par excès de prudence et dans l'urgence. Mais il n'est pas encore trop tard. Il est parfaitement possible de créer un mécanisme de Prêt à Impact Climat (ou « Performance Climate Loan »). En ajoutant aux aides financières des contreparties extra-financières, ce nouveau mécanisme viserait ainsi à récompenser les entreprises les plus vertueuses, en profitant à l'environnement et à la société. L'occasion est unique.

Réactions11 réactions à cet article

" L'État a manqué cette occasion, par manque de discussions, par excès de prudence et dans l'urgence." : ou tout simplement par incapacité atavique à tous niveaux à oser remettre en cause certains dogmes économiques et certaines habitudes de relationnel avec les milieux d'affaires. Dire que le candidat Macron (formé à l'ENA puis passé par les banques d'affaires) nous avait alors promis de "renverser la table" !
Excellente interview, faisant bien le tour de la question sous ses diverses facettes. Le sujet est en effet passionnant et très prometteur.

Pégase | 13 mai 2020 à 20h59 Signaler un contenu inapproprié

la combustion d'énergies fossiles pose des problèmes de pollution et de dépendance à des pays instables (nous n'avons pas la ressource) mais les émissions de CO2 ne dérèglent pas le climat !
depuis des années on a mis des taxes carbones qui aurait dues être des taxes pollution, je ne vois pas bien comment l'état va se sortir de cette impasse ....
Toutes les combustions posent problèmes dès lors qu'il y a concentration : comme par exemple le tabac qui libère un cocktail de polluants incroyable ... 200 morts par jour en France liés au tabagisme !
si toutes les maisons des villes étaient chauffées au bois on aurait aussi des pollutions, et on retombe toujours sur la concentration urbaine !

laurent | 14 mai 2020 à 09h48 Signaler un contenu inapproprié

"le Gouvernement devra produire un rapport sur l'utilisation de ces fonds et le Haut conseil pour le climat (HCC) devra rendre un avis sur ce document"! Défense de rire! On en tremble déjà dans les conseils d'administration...
Plus sérieusement, et pour prendre l'exemple du transport aérien puisque Air France est l'un des principaux bénéficiaires des prêts garantis par l'Etat, coller aux objectifs de l'accord de Paris c'est nécessairement engager une politique de décroissance compte tenu de l'absence d'alternatives aux combustibles fossiles à court et moyen termes. Si la France s'engage dans cette voie seule ce sera tout simplement la mort des compagnies françaises sans aucun effet "macroécologique", les règles du ciel unique européen et les accords de ciel ouvert passés par l'UE (USA, Canada, Maroc...) faisant que les lignes abandonnées seront reprises par les concurrents étrangers...
La proposition est donc bonne en théorie mais mortifère au plan économique national si elle n'est pas mise en oeuvre au moins au niveau européen et sous réserve que l'UE dénonce les accords de libre échange qu'elle signe avec enthousiasme depuis des décennies.
Je suis modérément optimiste quant à la réalisation d'une telle politique... Le plus probable est qu'il ne se passe rien, comme d'habitude, le discours écolo de façade étant là pour cacher l'essentiel, la sauvegarde du modèle ultra libéral et productiviste actuel...

adjtUAF | 14 mai 2020 à 09h50 Signaler un contenu inapproprié

Cette analyse est très intéressante mais une fois de plus ces questions de "relance verte" sont abordées via le prisme franco-français. Or la plupart des secteurs, et en particulier le secteur aérien, sont soumis à une forte concurrence internationale : quid de Lufthansa, des compagnies du Golfe, de Turkish, China, .... ? S'il n'existe pas de "préférence verte" du client - et dans l'aérien c'est bien le cas, seul le prix compte - ces dispositions, si elles s'avèrent plus coûteuses, condamneraient les entreprises sauf à leur accorder des marchés protégés. C'est le dilemme des politiques climatiques : tant que USA, Chine, Inde, ... s'assoient sur la question, nos efforts nous appauvrissent sans rien changer à la trajectoire du réchauffement...

ltdrogo | 14 mai 2020 à 10h02 Signaler un contenu inapproprié

C'est vrai quoi, il faut indexer les subventions pour les flécher vers l'embauche de consultants d'Eco-Act, pour faire du greenwashing.
Ces gens sont vraiment écoeurants d'opportunisme parasite.

Albatros | 14 mai 2020 à 11h15 Signaler un contenu inapproprié

On ne peut qu'être d'accord, surtout pour les avions

Et là une pétition nationale serait utile

Sagecol | 14 mai 2020 à 14h40 Signaler un contenu inapproprié

si le consommateur revient à une économie circulaire la plus locale possible ça va automatiquement diminuer les transports en tout genre (fret et individus).
pas besoin de loi quand le consommateur est correctement informé de l’impact de sa consommation , devenons consom'acteur !
Quand on achète chinois c'est le travail et l'argent qui part en Chine ...

laurent | 15 mai 2020 à 10h11 Signaler un contenu inapproprié

laurent et itdrogo vous avez tout à fait raison , puisqu'on ne peut pas , pour des raisons de concurrence et de mondialisation s'attaquer aux compagnies , il faut imaginer un système qui privilégierait les compagnies vertueuses et les consommateurs qui choisiraient ces compagnies. Développer la "préférence " verte des clients.

gaïa94 | 15 mai 2020 à 12h10 Signaler un contenu inapproprié

@gaïa94 et à d'autres
"puisqu'on ne peut pas, pour des raisons de concurrence et de mondialisation", voilà résumé le coeur du problème: la négation du politique qui fait prendre pour des données naturelles des choix politiques (les accords de libre échange ne sont pas des catastrophes naturelles!). On s'interdit ainsi la révolution nécessaire pour échapper au pire et on est réduit à attendre la prise de conscience spontanée des citoyens.
On risque de l'attendre d'autant plus longtemps que les leçons de morale sur les produits chinois ou à bas couts ont assez peu d'effets sur les fins de mois difficiles (je rappelle que le salaire médian en France est inférieur à 1500 euros par mois) de gens par ailleurs bombardés quotidiennement d'incitations à consommer...

adjtUAF | 15 mai 2020 à 18h13 Signaler un contenu inapproprié

adjtUAF: vous avez parfaitement raison sur le fond, mais si vous arrivez à obtenir des gouvernements européens et plus encore de la Commission Européenne (puisque c'est véritablement elle qui gouverne)les mesures de protection que vous souhaitez, c'est que vous êtes très très fort!"La révolution pour échapper au pire" ,oui , est absolument nécessaire, mais vous savez bien comme moi qu'elle n'aura pas lieu.Donc nous en sommes réduits à imaginer d'autres solutions, qui pourraient s'avérer tout aussi efficaces.Ces mesures ne sont pas de la méthode Coué mais font intervenir la fiscalité des entreprises ou plus simplement le porte-monnaie du citoyen.

gaïa94 | 19 mai 2020 à 16h18 Signaler un contenu inapproprié

Peut-être que si les règles de la fiscalité évoluaient en excluant des charges des sociétés les dépenses de marketing, il y aurait bien moins d'incitations à consommer-gaspiller-jeter-polluer-s'endêter...

Pégase | 25 mai 2020 à 15h27 Signaler un contenu inapproprié

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