"Réaliser des études et des expériences visant à évaluer et réduire l'impact environnemental d'une éventuelle exploitation" des hydrocarbures de schiste. Telle est l'une des neuf recommandations "à caractère scientifique" de l'avis "Eléments pour éclairer le débat sur les gaz de schiste", publié le 21 novembre par l'Académie des sciences. Le documentappelle aussi à "mettre en place une autorité scientifique, indépendante et pluridisciplinaire de suivi des actions engagées pour l'évaluation des ressources et des méthodes d'exploitation".
Rappelant en introduction qu'un précédent rapport de l'Académie "constatait que des décisions au sujet des gaz de schiste avaient été prises hâtivement", le nouvel avis enfonce le clou : "le message essentiel [que] contiennent [les recommandations du présent avis, ndlr] est que la question d'une exploration, puis d'une éventuelle exploitation des gaz de schiste mérite d'être examinée, qu'il faut avancer sur ce sujet et développer la recherche, mais que rien ne saurait être entrepris sans de nombreuses vérifications et expérimentations préalables encadrées par une réglementation rigoureuse, afin de maîtriser les risques potentiels pour l'environnement et pour la santé", résume le document.
Intense lobbying
Globalement, l'avis de l'Académie reprend les grandes lignes du plaidoyer des industriels du secteur pétrolier rassemblés au sein de l'Amicale des foreurs. En amont de la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 2013 validant la loi du 13 juillet 2011 interdisant le recours à la fracturation hydraulique pour l'extraction des hydrocarbures, les industriels réclamaient à Philippe Martin la mise en place effective de la Commission nationale d'orientation, de suivi et d'évaluation des techniques d'exploration et d'exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, prévue à l'article 2 de la loi.
Les académiciens reprennent aussi les grandes lignes du pré-rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) qui juge qu'"une exploration/exploitation des hydrocarbures non conventionnels respectueuse de l'environnement est possible, à condition de favoriser la recherche sur ce sujet".
Ce document, présenté en juin 2013, en plein débat national sur la transition énergétique, plaide pour "[que soient forés] quelques dizaines de puits d'exploration en appliquant toutes les précautions aujourd'hui connues" si une première phase d'évaluation s'avérait fructueuse.
L'IFPEN se tient prêt
Le nouvel avis de l'Académie émane de son Comité de prospective en énergie, présidé par Sébastien Candel, professeur à l'Ecole centrale de Paris, mais également membre du comité scientifique du pré-rapport de l'Opecst et président du conseil scientifique de l'Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN).
Or, l'IFPEN apparaît comme l'un des principaux militants favorables au lancement de recherches relatives aux hydrocarbures non conventionnels français. En effet, l'organisme public postule ouvertement pour piloter l'éventuel programme. Il a d'ailleurs l'aval de l'Amicale des foreurs qui le qualifie d'"outil remarquable". "L'ex IFP a été le fer de lance de l'industrie pétrolière française pendant plusieurs décennies", rappellent les industriels, plaidant pour qu'il "[retrouve] des attributions dont le Grenelle de l'environnement l'a totalement dépouillé".
Et l'IFPEN se tient prêt et "propose d'évaluer le potentiel des ressources en hydrocarbures non conventionnels pour la France". L'offre de l'Institut et de sa filiale Beicip-Franlab fait d'ailleurs l'objet d'un encart détaillant l'éventuel programme et son coût (1,75 million d'euro) dans le rapport de l'Opesct. Quant au président du conseil scientifique de l'Institut, il a, en tant que membre du comité scientifique de l'Opesct, "[approuvé l']idée de lancer un programme de recherche". Il s'agit là, selon le pré-rapport parlementaire, de son unique intervention lors de la réunion du comité.
Enfin, Olivier Appert et François Kalaydjian, respectivement président et directeur adjoint ressource de l'IFPEN, ont été auditionnés aux côtés des industriels du secteur à l'occasion de l'unique audition publique menée par l'Opecst. Quant à Sébastien Candel, il a été auditionné par l'Office, à huis clos le 7 mars 2013, en parallèle de son rôle de membre du comité scientifique auprès de l'Opecst.
Interrogé sur sa participation à ces rapports, Sébastien Candel explique qu'il s'agit de l'"avis du comité de prospective en énergie et pas de [son] opinion". "Je suis compétent dans ce domaine, je ne milite pas", précise le membre de l'Académie, ajoutant "j'essaye de regarder lucidement ces questions, d'un point de vue scientifique et avec honnêteté".