Qui utilise des nanomatériaux ? En quelle quantité et pour quels usages ? C'est à ces questions qu'était censé répondre le registre français R-nano créé en janvier 2013. Un outil pionnier découlant des débats du Grenelle de l'environnement, débats qui avaient mis en évidence un usage en croissance de ces « nanos » sans transparence. Depuis, les nanomatériaux sont devenus un marché de masse comme l'a démontré une étude réalisée par des scientifiques danois et relayée par l'association Avicenn : 5 000 produits en Europe sont susceptibles de contenir des nanomatériaux. Selon les auteurs qui ont réalisé ce travail de recensement et en ont publié une analyse dans Nature Nanotechnology, "les nanotechnologies et les nanomatériaux doivent être considérés comme faisant partie d'un marché de masse, et non d'un marché de niche comme c'était peut-être le cas jusqu'à il y a quelques années".
Le registre français a également contribué à en savoir plus et constitue un outil bien plus abouti et exigeant que le règlement européen Reach, même si ce dernier a été renforcé dernièrement. Les 52 000 déclarations enregistrées entre 2013 et 2017 révèlent ainsi qu'une très grande diversité de catégories de nanomatériaux (inorganiques, organiques, métaux, etc.) est présente en France. Ces nonomatériaux sont produits et importés chaque année dans des quantités non négligeables (plus de 400 000 tonnes) et de nombreuses entreprises et organismes de recherche les utilisent. Mais à l'heure où ces données devraient servir à réaliser une évaluation des risques sanitaires, l'Agence de sécurité sanitaire (Anses), gestionnaire du registre, constate son impuissance face à des données inexploitables.
Renforcer la précision des données lors de la déclaration
Dans un nouvel avis publié le 1er décembre, l'Anses explique que sur les 52 000 déclarations analysées, 90 % des données de caractérisation des nanomatériaux telles que la taille, la surface spécifique, la charge de surface ne sont pas exploitables et 10 % seulement renseignent correctement leurs usages. Un niveau de renseignement « médiocre » qui « impacte significativement les possibilités d'exploitation, notamment en matière d'évaluation des risques sanitaires potentiels », explique l'Anses.
Élargir l'obligation de déclaration
Et pour perfectionner le système, l'Anses recommande d'élargir l'obligation de la déclaration. Actuellement, la déclaration ne cible pas tous les acteurs de la chaîne de transmission depuis le premier metteur sur le marché jusqu'aux distributeurs et aux consommateurs car elle s'arrête au dernier utilisateur professionnel. Elle ne concerne pas non plus les substances exportées en dehors du territoire national.
Le seuil à partir duquel les nanomatériaux doivent faire l'objet d'une déclaration devrait également être revu. Aujourd'hui, seuls les nanomatériaux contenant au moins 50 % de particules dont la taille est comprise dans l'intervalle 1-100 nanomètres doivent être déclarés. « Certains nanomatériaux dont la fraction nanométrique est inférieure à ce seuil pourraient pourtant être préoccupants pour la santé et l'environnement », rappelle l'Anses qui propose d'inclure également les substances à l'état nanoparticulaire qui présentent une fraction nanométrique inférieure à 50 % des particules en nombre.
« Les limites listées sont connues de longue date »
Ce rapport de l'Anses et l'analyse du registre R-nano n'étonne pas du tout l'association Avicenn qui promeut davantage de transparence et de vigilance sur les nanos. « L'Anses propose plusieurs axes d'amélioration en phase avec les propositions compilées par Avicenn depuis plusieurs années maintenant. Somme toute, ce rapport aurait pu être publié il y a plusieurs années déjà, car les limites listées sont connues de longue date - que de temps perdu donc... mais mieux vaut tard que jamais ! », commente l'association.
Pour l'association Agir pour l'Environnement, la critique est plus virulente : « Le registre R-Nano est un simulacre de registre qui n'apporte aucune transparence mais donne bonne conscience aux industriels et aux pouvoirs publics ! (…) Il est regrettable que ces multiples infractions ne soient pas sanctionnées par les pouvoirs publics qui préfèrent faire de la pédagogie auprès des opérateurs économiques au lieu de protéger les consommateurs. », estime l'association qui appelle les pouvoirs publics à plus de sévérité en la matière.
L'association Avicenn espère quant à elle, que le ministère de la Transition écologique se saisira de ces recommandations. Rappelons que cette question de la transparence fait partie des 19 mesures du prochain Plan national santé environnement (PNSE), en consultation jusqu'au 9 décembre.