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Les capacités financières et techniques d'un exploitant ICPE en débat

Le Conseil d'Etat a récemment précisé l'étendue de l'obligation de justification des capacités techniques et financières pour le pétitionnaire d'une demande d'autorisation d'exploiter une installation classée, qui pourrait s'avérer impossible à respecter

Publié le 06/04/2016
Environnement & Technique N°358
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°358
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Un arrêt du Conseil d'Etat récent a précisé l'étendue de l'obligation de justification des capacités techniques et financières pour le pétitionnaire d'une demande d'autorisation d'exploiter une installation classée (ICPE). Dans cette affaire, la société Hambrégie avait obtenu une autorisation d'exploiter ICPE portant sur une centrale combiné gaz de production d'électricité, qui avait fait l'objet de plusieurs recours. Cette autorisation avait été annulée pour le seul motif que ses capacités techniques et financières "à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l'article L. 511-1 et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 lors de la cessation d'activité" tel qu'exigé par l'article L. 512-1 du code de l'environnement étaient insuffisantes.

Il convient de préciser que cette société était une société dite de projet, recourant à un mode de financement dit sans recours où la dette bancaire permet de financer plus de 70% du projet et où les 30% restants sont apportés en fonds propres.  Ce type de montage et de financement de projet, très usuel dans les projets d'infrastructures faisant l'objet de partenariats public/privé ou dans les projets d'installations d'énergie renouvelable, était plus rare en matière d'ICPE mais tend à se généraliser depuis le classement des éoliennes dans la nomenclature ICPE.

Des garanties financières pour la construction

La particularité d'un tel montage est que la société de projet est une "coquille vide" créée par une société-mère mettant à la disposition de sa fille ses capacités financières pour apporter les fonds propres et lever la dette bancaire, ainsi que ses capacités techniques pour négocier avec des sociétés spécialisées les contrats de construction et d'exploitation de l'installation et pour superviser l'exploitation. En d'autres termes, les capacités techniques et financières de la société exploitante dépendent de celles de tiers. Dans une telle situation, la société exploitante peut se prévaloir des capacités des tiers concernés, dès lors qu'elle démontre dans son dossier de demande d'autorisation d'exploiter qu'elles sont effectivement à sa disposition.

Il ressortait en outre de la jurisprudence administrative que les capacités relatives à la conduite du projet au sens de l'article L. 512-1 susvisé étaient celles portant sur l'exploitation de l'installation (note : CE 23 juin 2004, GAEC de la ville au Guichou, n°247626 ; CE 15 mai 2013, Sté ARF, n°353010) et qu'il ne pouvait être exigé du pétitionnaire d'avoir réuni les moyens de financer son installation lors du dépôt de son dossier de demande d'autorisation d'exploiter (note : CAA Lyon 22 mars 1993, société Orgachim, n°91LY01050).

Dans cette affaire "Hambrégie", le Conseil d'Etat revient apparemment sur cette position en exigeant du pétitionnaire de justifier ses capacités techniques et financières "le mettant à même de mener à bien son projet et d'assumer l'ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l'exploitation et de la remise en état du site". Le Conseil d'Etat entend dès lors imposer au pétitionnaire de prouver non seulement ses capacités à exploiter l'installation et à la démanteler, mais également à la construire.

Cette solution le conduit à reprocher à la société pétitionnaire de ne pas disposer d'engagement ferme et précis de financement ni de projet de contrat de construction et d'exploitation de la centrale suffisamment avancé et engageant, et, en conséquence, à confirmer l'annulation de l'autorisation d'exploiter sur sa légalité interne.

Une position complexe à appliquer

Cette position du Conseil d'Etat semble aller à l'encontre de l'esprit de la législation ICPE, dont l'objectif n'est pas de s'assurer si un exploitant réussira à construire son projet, mais s'il réussira à l'exploiter conformément aux prescriptions techniques réglementaires, à le démanteler et à remettre en état le site en fin d'exploitation. Surtout, elle porte une grave atteinte à toutes les installations recourant au financement de projet sans recours.

En effet, l'exigence d'un engagement ferme de financement est impossible à obtenir au stade du dépôt de la demande d'autorisation d'exploiter, dans la mesure où les banques ne délivrent de tels engagements qu'après avoir analysé financièrement, juridiquement et techniquement le projet, ce qui suppose que les autorisations administratives du projet aient a minima été délivrées.

Consciente qu'un engagement ferme et définitif de financement était trop contraignant, la rapporteur public dans cet arrêt avait proposé que cet engagement puisse être délivré sous condition suspensive d'obtention des autorisations. Là encore, une telle solution semble impossible à mettre en œuvre, dès lors qu'un tel engagement nécessiterait de déterminer au moins le montant, la durée et le taux du prêt. Or, là encore, de telles informations ne peuvent pas être fixées définitivement dès le dépôt de la demande d'autorisation d'exploiter, dans la mesure où un taux, par exemple, ne peut pas être figé pendant la durée d'instruction de la demande d'autorisation.

Risque de fragilisation des autorisations

La solution retenue par cet arrêt du Conseil d'Etat, si elle est transposée à toutes les ICPE recourant au financement sans recours, semble donc matériellement impossible à respecter et de nature à suspendre l'instruction actuellement en cours des demandes d'autorisation d'exploiter et à fragiliser la légalité des autorisations délivrées.

Compte tenu de cette impossibilité de respecter systématiquement cette solution et de la nécessité d'interpréter les dispositions législatives de manière à ce qu'elles puissent être mises en œuvre, la portée de cet arrêt devrait être relativisée au regard des circonstances de l'espèce. Rappelons en effet que le projet en cause dans cet arrêt était une centrale combiné gaz, dont l'équilibre financier pendant sa phase d'exploitation est plus fragile que celui d'autres installations telles les éoliennes, de sorte que la capacité d'exploiter une telle centrale justifie un examen approfondi et ne peut pas résulter, comme pour un parc éolien, du seul fait que le projet ait été financé et construit. Les montants d'investissements et les coûts d'exploitation d'une telle centrale sont également extrêmement importants, et ne sont pas comparables à ceux d'un parc éolien.

Quoi qu'il en soit, les enjeux pouvant résulter de la stricte application de cet arrêt "Hambrégie" sont tels qu'une clarification rapide est nécessaire, ce qui n'est pas compatible avec les délais juridictionnels.

Espérons en conséquence que le pouvoir réglementaire se saisisse de cette question et modifie, par exemple, l'article R. 512-3 du code de l'environnement en vue de préciser que les capacités techniques et financières à produire dans la demande d'autorisation d'exploiter portent uniquement sur l'exploitation, le démantèlement et la remise en état du site.

Avis d'expert proposé par Jocelyn Duval, avocat associé chez Kalliopé

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1 Commentaire

Isoun

Le 07/04/2016 à 10h52

Les juges n'ont pas été aussi sévères que semblez vouloir le faire croire. Concernant les capacités financières, une simple lettre d'intention de la société mère Direct Energie à sa filiale Hambregie disant qu'elle la soutiendrait pour réunir les fonds propres, à la condition "que le décision finale d'investissement" soit intervenue, a été considérée comme suffisante. En revanche les pièces fournies émanant des établissements bancaires ne parlaient que d'accompagnement dans la recherche, mais à aucun moment n'esquissaient le moindre intérêt ou la moindre faisabilité même assortie de réserves concernant les conditions d'obtention ou l'obtention des autorisations administratives. Au contraire des mentions insistaient sur le fait que les courriers ne valaient en aucun cas engagement. A noter également que tous ces courriers dataient de 2012 date du jugement en appel. Les banques avaient donc une visibilité "chronologique" sur le dossier car si elles avaient fait les courriers demandés, le projet aurait immédiatement retrouvé ses autorisations. D'autre part, il convient de préciser que les capacités techniques ont également été jugées insuffisantes. La société n'a pas manqué de se moquer du monde en fournissant des copies de contrats "bien avancés" "pour preuve déjà paraphés". En d'autres termes : non-signés ! Il n'y a rien de choquant à ce que la phase de construction soit également visée par le contrôle de ces capacités, car qui paierait les conséquences de toutes ces carences?

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