"L'accumulation de preuves sur les effets [de la pollution atmosphérique] sur la santé invite à des approches politiques plus radicales et globales." Tel est l'appel lancé par Michal Krzyzanowski, du Centre européen de l'environnement et de la santé de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), dans l'éditorial de la dernière livraison du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de l'Institut de veille sanitaire (INVS). Pour l'expert de l'OMS de telles politiques devraient avoir pour objectif "non seulement [de] maintenir les niveaux de pollution en dessous des niveaux imposés par certaines normes légalement contraignantes ou par des valeurs limites, mais aussi [de] réduire davantage l'exposition de la population, même lorsque les normes sont respectées".
"La révision, en 2013, des politiques de l'Union européenne relatives à la qualité de l'air devrait être une bonne occasion pour élaborer des politiques efficaces et fondées sur des faits pour la protection de la santé en Europe", estime-t-il.
Le BEH publié ce 8 janvier 2013 est dédié à la qualité de l'air et est titré "épidémiologie et pollution atmosphérique urbaine : l'observation au service de l'action". Il réuni des articles scientifiques abordant la question de la pollution atmosphérique via des approches techniques, épidémiologiques et socio-économiques.
Accumulation de preuves
"Les preuves des effets nocifs de la pollution atmosphérique sur la santé se sont multipliées ces dix dernières années", explique Michal Krzyzanowski, précisant que "ces éléments de plus en plus nombreux confirment et renforcent les conclusions des lignes directrices de l'OMS relatives à la qualité de l'air sur les polluants les plus courants, actualisées en 2005".
Le représentant de l'OMS cite en particulier deux avis émis par les autorités sanitaires qui pointent les problèmes sanitaires liés à la pollution aux particules. En 2010, l'American Heart Association a souligné la relation de cause à effet existant entre l'exposition aux particules fines (PM2,5) et la morbidité et la mortalité cardiovasculaires. L'an dernier, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de l'OMS a classé les gaz d'échappement des moteurs diesel comme étant "cancérigènes pour les êtres humains".
Bien sûr, l'étude Aphekom, coordonnée par l'INVS, est citée par Michal Krzyzanowski. "[Elle] a démontré l'ampleur des effets sur la santé publique des niveaux actuels de pollution dans les villes européennes sélectionnées", estime-t-il, rappelant que "près de deux ans d'espérance de vie pourraient être gagnés dans les villes les plus polluées d'Europe si la pollution pouvait être ramenée aux niveaux préconisés dans les lignes directrices de l'OMS relatives à la qualité de l'air". Un article rédigé par Laurence Pascal de l'INVS synthétise 15 ans de surveillance de la pollution atmosphérique en Europe et reprend les grandes conclusions du projet Aphekom. Par ailleurs, une étude a démontré que "près de 15% du gain d'espérance de vie aux États-Unis entre 1980 et 2000 ont été attribués à l'amélioration de la qualité de l'air", ajoute l'expert de l'OMS.
Action internationale
Face à ce constat, quelles pourraient être les "politiques plus radicales et globales" envisagée par le représentant de l'OMS ?
On pense en premier lieu à des politiques locales, à l'image des Plans de protection de l'atmosphère (PPA) actuellement en révision ou la mise en place de Zones d'actions prioritaires pour l'air (Zapa). "Des actions locales sont essentielles", confirme Michal Krzyzanowski, ajoutant que "toutefois, à elles seules, elles ne seront pas suffisamment efficaces dans une Europe densément peuplée, avec une agriculture, une industrie et des transports extrêmement motorisés, et des polluants dangereux pouvant être transportés dans l'atmosphère sur des milliers de kilomètres".
S'agissant des politiques internationales, l'expert de l'OMS revient sur la convention sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance et sa révision en mai 2012 afin de prendre en compte les particules fines. "Cette révision identifie la réduction des risques pour la santé comme étant l'un des principaux objectifs de la convention", rappelle-t-il, ajoutant que "grâce à la mise en place des réductions d'émissions prévues par le protocole [de Göteborg], chaque pays réduira non seulement l'exposition de sa population aux PM, mais contribuera également à une réduction du niveau initial de particules fines touchant les populations bien au-delà de ses frontières".
Approfondir les recherches
Les aspects sociaux ne sont pas laissés de côté et font l'objet d'un article rédigé par Séverine Deguen, chercheur à l'Ecole des hautes études en santé publique. "Des inégalités de santé persistent entre différents groupes de population et, en particulier, entre les différentes catégories sociales", rappelle-t-elle, précisant que "globalement, les personnes appartenant aux catégories socioéconomiques les moins favorisées vivent moins longtemps et sont en moins bonne santé". Si la recherche a bien progressé, tout particulièrement concernant l'impact de l'alimentation en fonction des catégories sociales, de nombreuses inconnues demeurent. "C'est précisément dans ce contexte que les nuisances environnementales, et en particulier l'exposition à la pollution atmosphérique, ont été suspectées comme pouvant contribuer aux inégalités sociales de santé", explique Séverine Deguen, qui passe en revue les principales connaissances relatives à deux mécanismes susceptibles d'expliquer le phénomène. Tout d'abord, les populations défavorisées seraient exposées à un plus grand nombre de nuisances et/ou à des niveaux d'expositions plus élevés. Ensuite, ces populations seraient plus vulnérables aux effets de l'environnement en raison d'un état de santé plus fragile.
Enfin, le BEH insiste sur la nécessité de poursuivre les recherches sur les effets de la pollution atmosphérique sur la santé. Un article rédigé par Frank J. Kelly, chercheur au Centre for Environment and Health de l'Ecole des sciences biomédicales du King's College de Londres (Angleterre), pointe la complexité associée à l'identification et la quantification des influences sur la santé des différents composants des particules. Il s'agit là d'"un des domaines les plus complexes de la recherche en santé environnementale, explique Frank Kelly, notamment lorsque les particules interagissent avec d'autres co-polluants". En l'état des connaissances, il n'est pas possible d'identifier clairement les composés les plus à risque, même si "certains résultats suggèrent un degré de toxicité différentielle, c'est-à-dire des associations plus fréquentes entre les particules liées au trafic automobile, les particules fines et ultrafines, les métaux particulaires et le carbone élémentaire, et différents effets sanitaires graves". En conséquence, l'article plaide pour un programme approfondi de recherche toxicologique et épidémiologique et pour une collaboration optimale entre des équipes pluridisciplinaires.