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Du béton avec des déblais : la calcination flash dans la lumière du Grand-Paris

À la croisée des enjeux de décarbonation et d'économie circulaire, la SGP et ses partenaires ont formulé des ciments bas carbone avec des déblais du Grand-Paris Express. De quoi produire des bétons moins émissifs de CO2 pour de nouveaux ouvrages.

TECHNIQUE  |  Bâtiment  |    |  C. Lairy
Du béton avec des déblais : la calcination flash dans la lumière du Grand-Paris
Environnement & Technique N°390
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°390
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Initialement, il était question de 47 millions de tonnes… Finalement, les déblais excavés dans le cadre du Grand-Paris Express devraient plutôt flirter avec les 50 millions de tonnes. De quoi hausser encore les volumes à traiter pour la Société du Grand-Paris qui, en tant que maître d'ouvrage, s'est engagée à valoriser 70 % des terres excavées. En la matière, la SGP recourt largement à un mode de valorisation traditionnel, une utilisation des déblais comme remblais pour combler des carrières, aménager des parcs, etc.

Faire d'une pierre deux coups

À brève échéance, l'établissement public devrait aussi être en mesure de proposer une valorisation matière plus « noble » : l'utilisation de certains déblais dans la fabrication de ciments moins émissifs de CO2, donc de béton moins carboné – pour rappel, le ciment est en effet à l'origine de 94 % en moyenne des émissions de CO2 du béton.

Sur le papier, l'affaire paraît bien engagée. Lancée en septembre 2020 avec le concours financier de l'Ademe, qui a couvert un tiers du coût (autour de 300 000 euros au total), une expérimentation menée par la SGP en partenariat avec l'IMT Nord Europe et la société Neo-Eco, vient de livrer des conclusions très encourageantes : selon les trois partenaires, la flash calcination (cuisson très rapide) de certains déblais produit des liants pouvant être utilisés dans des bétons entre 18 et 38 % moins émissifs que des bétons standard, c'est-à-dire fabriqués avec du ciment de type Portland (CEM I).

Identifier un gisement pertinent

Conduite à Douai dans les locaux de l'IMT Nord Europe (Institut Mines-Télécom), qui chaque année diplôme 600 ingénieurs et génère 8 millions d'euros de chiffre d'affaires grâce à la recherche, l'expérimentation a débuté par la sélection des déblais. Pour cela, rappelle Romain Genna, chef du projet chez Neo-Eco, bureau d'études faisant le lien entre détenteurs de déchets et développeurs de solutions de valorisation-traitement-recyclage, il fallait « adresser deux problématiques principales » : « trouver un gisement pertinent » et « maximiser la valorisation des déblais », c'est-à-dire choisir des déblais très présents sur les chantiers, pour lesquels les filières de valorisation matière n'existent pas, ou peu.

Différentes lithologies ont été étudiées, dont du calcaire extrait par tunnelier, des remblais et des sables de Beauchamp obtenus par creusement traditionnel… In fine, ce sont les argiles à meulières extraites par creusement qui ont été retenues. La SGP estime pouvoir en retirer autour de 300 000 tonnes (180 000 m3) sur le chantier de la ligne 18, et ce dès juillet 2023. Un gisement par conséquent très correct en quantité, et excellent en qualité, puisqu'il contient, outre des pierres à meulières utilisées en construction, plusieurs types d'argiles, dont des kaolins connus pour leur capacité à s'activer, c'est-à-dire à passer du stade « inactif » (inerte) au stade « réactif ». « L'activation consiste à modifier la chimie d'un matériau, décrypte l'enseignant chercheur Mouhamadou Amar, responsable technique du projet à l'IMT Nord Europe. À l'échelle atomique, on vient déclencher son aptitude à réagir lorsqu'il est utilisé dans une matrice cimentaire : c'est la pouzzolanicité. »

Flash calciner : un procédé ultra-rapide et économique

En l'occurrence, les chercheurs ont choisi de modifier la chimie des argiles sélectionnées par une activation thermique : la flash calcination, qui consiste à exposer le matériau à une température élevée pendant un temps très court. Séchée, puis broyée finement, l'argile est introduite dans un four à une température comprise entre 650 et 800 °C – la température optimale pour les déblais retenus étant de 750 °C, soit moitié moins que dans un four préparant un ciment traditionnel. C'est un procédé ultra-rapide, puisque la particule minérale séjourne moins d'une seconde dans la chambre de combustion, versus une heure au moins pour un ciment traditionnel. À performances égales, il offre un gain d'énergie de 80 % par rapport à la calcination traditionnelle, sans surcoût, voire avec un gain économique estimé entre un et sept euros par mètre cube de béton.

À l'aide de ces argiles flash calcinées, destinées à remplacer une partie du ciment traditionnel, une trentaine de formulations ont été développées et étudiées pour quatre grandes familles de bétons utilisables sur les chantiers du GPE : ceux destinés aux parois moulées (B2), ceux utilisés pour les voussoirs préfabriqués des tunnels forés (B5) ou pour les structures internes des émergences (B8), et ceux de rechargement sous voie, non armés, en contact avec les voussoirs (B11).

Additionner jusqu'à 30 % d'argiles flash calcinées

Pour chacune de ces formulations, « on a procédé à une validation technique, environnementale et de durabilité accélérée des performances », précise l'enseignant chercheur. Ce qui signifie qu'après formulation, les bétons ont fait l'objet d'essais à l'état frais (mesures de l'affaissement, de la teneur en air, de la masse volumique), puis à l'état durci (résistance à la compression, conservation dans l'eau), et ce à différents âges : un, deux, sept, soixante jours…

« Sur le plan technique, souligne M. Amar, on a pu montrer que les formulations les plus optimales (jusqu'à 20 % de déblais flash calcinés mélangés à 20 % de laitier issu de hauts fourneaux) atteignaient une résistance à la compression de 75 mégapascals (MPa) à soixante jours. Dans une autre formulation, pour un béton de rechargement contenant 30 % de déblais flash calcinés, on a atteint 25 MPa. Dans les deux cas, on a pu satisfaire au cahier des charges et atteindre les résistances voulues. »

Les essais de vieillissement ont été effectués dans des locaux où la température et l'hygrométrie étaient contrôlées. « On a ainsi pu accélérer le vieillissement et simuler, au bout de six à dix-huit mois, ce qui est censé se passer au bout de dix ou vingt ans, détaille le chercheur. De cette manière, on a identifié les risques liés au vieillissement dans certaines formulations, et on les a modifiées. » Porosité à l'eau, perméabilité au gaz, résistance aux ions chlorures et aux sulfates… In fine, les différents tests de durabilité réalisés par les équipes ont montré que l'utilisation des argiles flash calcinées en substitution du ciment, n'engendrait pas de dégradations sur les bétons ainsi formulés au bout de dix, vingt ou trente ans.

Garantir l'innocuité sur l'environnement

Les équipes se sont enfin assurées que l'utilisation de ces bétons fabriqués avec des déblais flash calcinés (DFC) n'avait pas d'incidence négative sur l'environnement. Pour ce faire, elles se sont appuyées sur l'expertise de Neo-Eco, qui a développé un outil de suivi dans le cadre de ses activités de valorisation. Concrètement, il a fallu vérifier que l'exposition des bétons DFC au ruissellement des eaux de pluie et à l'ensoleillement ne relarguait pas de substances polluantes (matières organiques, métaux, chlorures, sulfates, azote, etc.) dans l'environnement. « Aucun dépassement des valeurs impératives » n'a été constaté par Neo-Eco, qui a appliqué pour ses tests des seuils très ambitieux correspondant à la qualité des eaux douces pour la production d'eau potable.

Enfin, les analyses réalisées sur les fumées de calcination ont montré que ces dernières ne contenaient aucun rejet nocif.

Impulser une nouvelle dynamique dans le BTP

Moins émissifs en CO2 que des bétons standard, plus économiques, plus circulaires en ce sens qu'ils offrent une solution de valorisation matière pour certains déblais de chantiers… A priori, les bétons formulés avec les argiles à meulières extraites du chantier de la ligne 18 du GPE ont tout pour plaire. « C'est une solution viable sur les plans technique, environnemental et économique », résume Romain Genna, pour Neo-Eco, dont les équipes (une trentaine d'ingénieurs experts) ont déjà contribué au développement de plus de 300 écoproduits.

« Rien ne s'oppose au déploiement industriel de ce process, renchérit Mouhamadou Amar. Peut-être les cimentiers ne sont-ils pas suffisamment conscients du bénéfice qu'ils pourraient retirer de l'utilisation de déblais flash calcinés ? »

Cette question, la SGP entend ne pas la laisser en suspens. « En tant qu'établissement public, la SGP estime avoir une responsabilité à assumer sur les enjeux de transition écologique, déclare John Tanguy, directeur exécutif chargé de la stratégie, de l'environnement et de l'innovation. Ce projet s'inscrit dans l'idée d'impulser des changements, des transformations au niveau de la filière de la construction et du BTP. » En ce sens, la SGP a décidé de mettre les résultats de l'ensemble de l'expérimentation à la disposition de toute la filière construction, « afin qu'elle s'en empare ».

Nerf de la guerre, puisqu'elle conditionne l'assurabilité des nouveaux ouvrages, la norme évolue. De ce point de vue, « les planètes s'alignent », se félicite Reda Belmajdoub. De fait, les textes parus récemment autorisent maintenant de remplacer jusqu'à 50 % du ciment par des argiles calcinées. « Quand nous avons débuté l'expérimentation, nous étions en avance sur les normes, rappelle Romain Genna, donc dans une approche performancielle (1) . Les normes sorties depuis permettent de concrétiser d'un point de vue technique et assurantiel, les études menées. »

Économiser 1,1 million de tonnes d'équivalent CO2

Pour réduire d'un quart l'empreinte carbone de la construction du GPE, la maîtrise d'ouvrage innove sur tous les fronts, à commencer par celui de la passation de marchés : dans ses appels d'offres, elle a ainsi relevé les critères de notation environnementale. Pour les marchés passés avant que l'objectif de réduire de 25 % le bilan carbone n'ait été fixé, la SGP a aussi mis en place un dispositif inédit : la Reverse Carbon Initiative, qui encourage les entreprises titulaires des marchés non réalisés à proposer, pour un même niveau de performances, des solutions moins carbonées que celles soumises initialement. En fonction de l'économie de carbone réalisée, elles perçoivent un appoint calculé selon le barème de l'Ademe (100 euros la tonne de carbone en 2022, 120 euros en 2023). En renégociant de la sorte une dizaine de contrats, la SGP a atteint l'objectif qu'elle s'était fixé de racheter 35 000 tonnes de carbone en 2022.
Pas d'application immédiate sur le GPE

La SGP indique qu'elle « va désormais essayer d'identifier des cimentiers à même de valoriser [ses] déblais à travers cette méthode. Dans un second temps, l'objectif sera d'encourager les entreprises titulaires de [ses] marchés à s'orienter vers l'utilisation de ces ciments ». « Tout cela se fera évidemment dans le temps long (deux à trois ans), ajoute-t-on à la SGP. Ce n'est pas dans l'immédiat que nous verrons ces bétons utilisés opérationnellement sur les chantiers du GPE, ou ailleurs. »

« La flash calcination de la totalité des argiles à meulières actuellement identifiées sur les chantiers du GPE générerait une économie potentielle de 100 000 tonnes d'équivalent (par rapport à une solution de béton classique constitué d'un ciment 100 % CEM I) », a pourtant calculé la SGP, qui s'est engagée à réduire d'un quart les émissions de CO2 pendant la phase de conception-construction du GPE, attendues à 4,4 millions de tonnes d'équivalent CO2 – dont plus de 70 % en lien justement avec l'utilisation de béton et d'acier dans les nouveaux ouvrages. Une économie de 100 000 tonnes, ce serait donc un bon début. Ou une suite satisfaisante pour l'aménageur, qui rappelle que « 80 à 90 % des bétons utilisés sur les chantiers en cours sont déjà bas carbone ». En partie grâce au déploiement à grande échelle de béton fibré. Mais ça, c'est une autre histoire. Et surtout le signe que le GPE constitue un vaste terrain d'expérimentation pour la mise en œuvre de nouvelles pratiques.

1. (1) Article 5.2.5.3 sur le concept de performance équivalente de l'EN 206+A2/CN : « Les principes du « concept de performance équivalente du béton » permettent de modifier les exigences relatives à la teneur minimale en ciment et au rapport maximal eau/ciment dans les cas où une ou plusieurs additions spécifiques sont utilisées avec un ou plusieurs ciments spécifiques, pour lesquels l'origine et les caractéristiques de chacun sont clairement définies et documentées (…). Il doit être prouvé à l'aide d'essais performanciels que le béton a une équivalence de performance avec celle d'un béton de référence (…) conformément aux exigences pour la classe d'exposition concernée. »

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